« Mémoires sélectives » : un faux polar au vrai goût d’humanité
Dans Mémoires sélectives, Catherine Deschepper signe un roman à la frontière du polar et du portrait social, entre humour tendre et mélancolie douce. Plus qu’une enquête, c’est un florilège de personnages attachants, drôles, un peu bancals, qui prennent vie sous la plume vivifiante de l’autrice bruxelloise.
© Photo WeyrichLe roman débute par un enterrement qui n’annonce rien de spectaculaire, si ce n’est la présence d’un inconnu parmi les proches du défunt. Cet élément apparemment anodin ouvre le roman sur une scène étrange, intrigante, qui interroge le lecteur dès les premières pages : pourquoi venir assister à une cérémonie funéraire si l’on n’a aucun lien avec la personne disparue ? Pour Catherine Deschepper, les enterrements sont des « jeux sociaux », des lieux où les présences et absences prennent un sens symbolique fort. Ce cadre lui permet d’introduire son personnage principal, Wilfrid, un inspecteur de police solitaire, un peu désabusé, à mille lieues des héros flamboyants du polar classique.
Sans prestige, Wilfrid est cantonné à une mission peu reluisante pour lui : retrouver des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer qui se sont égarées. Un rôle qu’il exerce sans grande conviction, errant entre les rues et les maisons de retraite bruxelloises, jusqu’à ce fameux enterrement qui marque le point de bascule. Peu à peu, ce simple geste se transforme en élément déclencheur d’une enquête improbable, qui pourrait bien offrir à Wilfrid une chance de sortir de l’ombre.
Si Mémoires sélectives s’inscrit formellement dans la tradition du roman policier, son ambition réelle est ailleurs. Catherine Deschepper le revendique : ce qu’elle cherche avant tout, c’est à « écrire des humains ». À travers son récit, elle dessine les contours d’une galerie de personnages hauts en couleur, parfois maladroits, souvent attachants, toujours profondément humains. Il ne s’agit pas tant de résoudre une énigme que d’observer les travers, les fragilités et les beautés de chacun.
Une plume à deux visages
Catherine Deschepper est née en 1975 à Louvain-la-Neuve, installée aujourd’hui à Bruxelles. Elle rédige des manuels scolaires, des articles scientifiques, et enseigne le français à de futurs enseignants. Une activité rigoureuse, cadrée, qui contraste avec son activité littéraire plus personnelle. Lorsqu’elle écrit de la fiction, c’est dans les cafés et les bars qu’elle s’installe, au milieu du bruit des conversations, des gestes quotidiens, des émotions ordinaires. « J’aime écouter le bruit des gens en travaillant », confie-t-elle, comme si ce fond sonore devenait une matière première pour nourrir son imagination.
Vous avez dit « faux » polar ?
Catherine Deschepper aime brouiller les pistes. En qualifiant son livre de « faux polar », elle assume pleinement ce mélange des genres. Il y a bien une enquête, un mystère à résoudre, un policier en quête de réhabilitation… mais tout cela sert surtout à faire émerger ce qui l’intéresse vraiment : les émotions humaines, les contradictions, les petits travers du quotidien.
L’humour est la ligne directrice de son écriture, une façon de tenir la distance avec le tragique, mais aussi d’en souligner les absurdités. Le roman ne cherche pas à faire peur ou à créer du suspense à tout prix : il amuse, il touche, il fait sourire. Ce n’est pas un polar sombre, c’est un polar lumineux, drôle, un peu mélancolique, qui révèle un regard tendre et profondément humain sur le monde. Les personnages ne sont jamais complètement « ratés » ni totalement « réussis » : ils vacillent, trébuchent, espèrent. Et c’est précisément cette imperfection qui les rend si proches.


"Derrière chaque livre se trouve un nom, une personne" (Marek Halter). Soulevons le voile sur les auteurs et acteurs du monde littéraire qui se livrent entre les lignes.
