Guadeloupe
Martinique : tout comprendre du mouvement contre la vie chère
La Martinique en proie à des tensions sur le pouvoir d'achat depuis la mi-septembre. Comme dans de nombreux départements et régions d’outre-mer, le coût de la vie est beaucoup plus élevé qu’en Métropole, jusqu’à 40 % pour l’alimentaire en Martinique.
Mardi de nouvelles manifestations ont une nouvelle fois bloqué la Martinique. Depuis la mi-septembre, la contestation s’amplifie autour de la vie chère dans l’île, quinze ans après un mouvement identique et après plusieurs crises sociales depuis 2021. Le problème est récurent et le différentiel des prix entre la Martinique et la Métropole est considérable.
40 % de plus dans l'alimentaire
Selon les données de l'Insee en 2022, les prix étaient en moyenne 14 % plus élevés dans l’île. Mais le fossé est encore plus grand concernant l'alimentaire plus 40 % plus élevés. L’inflation de ces dernières années a aussi été plus rapide aux Antilles.
"Aujourd'hui, une mère de famille martiniquaise avec deux enfants achète 8 steaks à 18 euros. Tandis qu’à Paris, une mère de famille avec deux enfants dans le même hyper marché achète une boîte de 10 steaks à 8 euros. Il y a une urgence alimentaire. On ne mange plus à notre fin chez nous" constate Aude Goussard, l’une des dirigeantes du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC), à l’initiative du mouvement actuel. En 2020, 27 % de la population était sous le seuil de pauvreté. Selon l’Insee, ce taux est plus élevé d'environ 12 points qu'en France métropolitaine.
Comment expliquer de tels écarts ?
L’insularité tout d’abord renchérit le coût du transport des produits importés par mer et par air. "La longueur de la chaîne logistique explique en partie les prix élevés. Il faut payer des droits de port, il faut payer des dockers, la logistique, des transitaires tous ces opérateurs margent bien évidemment les uns sur les autres" précise Olivier Sudrie, économiste spécialiste des Outre-mer au cabinet DME.
Autre facteur spécifique la fiscalité propre aux outre-mer notamment la taxe de l’octroi de mer. Très décriée, elle s’applique notamment en Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte et la Réunion.
L'octroi de mer et la TVA
Théoriquement, l’octroi de mer sert à protéger la production locale pour autonomiser ces territoires et surtout à financer les collectivités locales. En 2022, d’après la Cour des comptes, cette taxe a généré 1,6 milliard d'euros de recettes pour les cinq territoires concernés soit 32 % des ressources des communes. Le revers de la médaille, c’est qu’elle dope les prix lorsque les taux s'appliquent à des produits d'importation sans équivalent local. Les gens achètent des produits importés donc les plus chers. Dans son rapport de mars 2024, la Cour des comptes préconisait une réforme "en profondeur" de cet impôt.
La TVA pèse aussi "on arrive à une situation assez paradoxale ou un consommateur martiniquais va payer plus de taxes pour un produit alimentaire que pour un consommateur métropolitain" relève Olivier Sudrie.
Une absence de concurrence réelle
A cela, s'ajoute la question de la concurrence. Les manifestants martiniquais dénoncent des situations ou quelques acteurs dominants fixent leur prix. "En économie, on appelle cela une situation oligopolistique" explique Olivier Sudrie. Lorsqu’il y a peu d'acteurs, les opérateurs organisent les prix en fonction de leurs coûts, mais aussi en fonction de la disposition à payer des clients. Ils ont intérêt à monter les prix au niveau le plus élevé possible, tant que des clients achètent les produits. "Dans ce monde ultra marin, le niveau de vie est plus faible. Oui, mais pas pour tout le monde et la clientèle qui a une bonne disposition à payer existe. Notamment, les fonctionnaires dont les traitements sont majorés, par exemple en Martinique, de 40 % " rappelle l’économiste.
L'intervention de l'Etat se fait attendre
"Aujourd'hui, rien n'est fait pour réguler les situations oligopolistiques de certaines entreprises sur des territoires comme les nôtres" pointe Béatrice Bellay, députée PS de Fort-de-France. Elle demande de la part de l’Etat plus de "transparence et aussi comme première mesure d'urgence d’activer le blocage des prix". Lundi, le président du conseil exécutif de la Martinique Serge Letchimy a écrit à Michel Barnier pour réclamer un tel blocage des prix, et la suppression de la TVA sur les 54 familles de produits de première nécessité.
Jeudi, des négociations doivent reprendre à la préfecture de Martinique. L'Etat, les distributeurs et collectivités ont pour objectif une "baisse de 20 % en moyenne du prix" de 2 500 produits de première nécessité. Le RPPCR demande la présence du nouveau ministre des Outres Mer François Noël Buffet. A moyen terme, c’est sans doute le modèle économique ultra-marin qu’il faudra revoir.
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