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Ma Chance Moi Aussi, 10 ans de lutte contre le déterminisme social dans les quartiers

Ma Chance Moi Aussi, 10 ans de lutte contre le déterminisme social dans les quartiers

Un article rédigé par Anaïs Sorce - le 27 juin 2025 - Modifié le 27 juin 2025
L'invité de M Comme Midi · RCF LyonMa Chance Moi Aussi : 10 ans de lutte contre le déterminisme social dans les quartiers populaires

Depuis 10 ans, Ma Chance Moi Aussi veut donner une chance aux enfants les plus vulnérables, issus de familles en fragilité éducative, pour les aider à gagner confiance en eux afin qu'ils deviennent des citoyens engagés. L'association les accompagne avec du soutien scolaire et des loisirs, du CP au collège. Aujourd'hui, 13 structures existent en France dont deux dans le Rhône, dans le 8e arrondissement de Lyon et à Décines. Fanny Bozonnet est sa directrice générale.

Une association veut donner une chance aux enfants les plus vulnérables - Matese Fields via UnsplashUne association veut donner une chance aux enfants les plus vulnérables - Matese Fields via Unsplash

RCF Lyon : Vous accompagnez les enfants en grande vulnérabilité, issus de familles en fragilité éducative. Qu'est-ce que ça veut dire ?

Fanny Bozonnet : Ça veut dire que nous travaillons en lien étroit avec les écoles qui vont nous orienter vers des familles qui vivent dans les quartiers et n'arrivent pas à poser un cadre éducatif à la maison. On considère que ce sont les enfants qui grandissent dans ces familles qui sont les plus à risque de décrocher, à la fois scolairement mais aussi socialement. Donc on va repérer des familles avec des difficultés financières, sociales, les familles isolées, beaucoup de familles monoparentales aussi ou qui ne parlent pas le français, en difficulté à accompagner leur enfant.

Goûter, aide aux devoirs et ateliers culture

RCF Lyon : L'association agit auprès des enfants à partir de 6 ans, dès le CP et jusqu'à la fin du collège si nécessaire. On les repère si tôt ?

FB : C'est jeune, et c'est nécessaire parce que notre action se base vraiment sur de la prévention précoce. Plus on intervient tôt, plus les chances de réussite sont importantes. On intervient au moment où l'acquisition des fondamentaux se fait : lire, écrire, compter, mais aussi tous les codes, toutes les valeurs, le comportement. Après une journée d'école, ils arrivent à Ma Chance Moi Aussi : donc ça fait de grosses journées, mais souvent ces enfants-là, dès 6 ans, peuvent se trouver dans le quartier, en bas avec les grands, à rien faire. C'est nécessaire, vraiment, de les prendre le plus tôt possible.

RCF Lyon : Comment se construit Ma Chance Moi Aussi ?

FB : On a 13 établissements en France et tous construisent leur projet pédagogique sur les mêmes ambitions : leur transmettre les fondamentaux pour que les enfants puissent grandir sereinement. Ça veut dire que tous les soirs, on va les chercher à l'école, on les ramène dans nos locaux au cœur des quartiers, il y a un goûter et on revient sur la journée. Puis on a 45 minutes d'aide aux devoirs et 45 minutes d'atelier d'éveil : c'est de la musique, du théâtre, des ateliers psycho-éducatifs… L'idée, c'est vraiment de leur ouvrir le champ des possibles.

RCF Lyon : Qu'est-ce qu'on apprend à Ma Chance Moi Aussi ?

FB : On leur apprend à être bien dans leur tête et bien dans leur corps, pour que demain ils soient pleinement intégrés à notre société, qu'ils soient des citoyens acteurs et qu'ils aient envie de construire leur vie sereinement. On ne veut pas tous en faire des ingénieurs, ce n'est pas le but.

On leur apprend la base scolaire, en complément de l'école, mais aussi à avoir confiance en eux, à gérer leurs émotions, à respecter les autres

On va leur faire découvrir le territoire, les sortir du quartier, pour qu'ils se rendent compte que ce territoire est aussi le leur et qu'ils peuvent en faire partie à part entière. Souvent les enfants, à l'âge de 6 ans, ne sont jamais sortis de leur quartier. Donc il y a un vrai enjeu aussi de les sortir et de leur montrer qu'ils ont leur place aussi dans la société, mais qu'il faut aussi qu'ils en soient partie prenante.

RCF Lyon : Vous êtes aujourd'hui dans le 8e arrondissement de Lyon et à Décines-Charpieu. Pourquoi ces quartiers-là ?

FB : Quand on crée un établissement, il y a deux enjeux forts. Le premier, c'est l'adhésion de la mairie et des écoles, puisque ce sont elles qui vont nous permettre d'être en lien avec les acteurs locaux. On veut vraiment être dans la sphère éducative de chaque quartier. Et on va chercher aussi des mécènes, puisque le modèle de Ma Chance Moi Aussi repose sur un partenariat public-privé pour financer le dispositif. À Décines, on s’est installés avec le soutien de l'OL, il y a plus de 5 ans. À Lyon 8, c’était après une rencontre avec le maire. L'idée, c'est vraiment de répondre à une demande locale.

Une démarche d'inclusion radicale

RCF Lyon : Qu'est-ce qu'il veut dire ce nom “Ma Chance Moi Aussi” ?

FB : On veut que les enfants se disent « Moi aussi j'ai une chance de me construire sereinement, d'avoir un avenir, de pouvoir choisir ma vie, mon métier, de pouvoir m'intégrer ». C'est cette idée qu'aucun enfant doit être laissé au bord du chemin.

RCF Lyon : C'est une chance qu'on n'a pas dans les quartiers ?

FB : C'est une chance qu'on n'a pas, très clairement. C'est bien plus difficile à l'école mais aussi en termes de comportement, de taux de chômage… Il y a des indicateurs qui ne vont pas dans le bon sens depuis plus de 50 ans. Dans ces quartiers, un enfant sur deux vit sous le seuil de pauvreté. On sait aujourd'hui - et l'OCDE l'a rappelé récemment - qu’en France, il faut six générations pour sortir de la pauvreté. On est vraiment dans le déterminisme social. Quand on vit dans ces quartiers, qui plus est dans une famille qui n'a pas forcément les ressources pour nous éduquer, oui, on a moins de chance que les autres.

RCF Lyon : Le mercredi, vous emmenez les enfants dans des clubs sportifs ou de loisirs, hors des quartiers. Vous les emmenez aussi en vacances. Il faut tout ça pour aider les enfants ?

FB : On a des enfants 700 heures par an, c'est beaucoup et on les accompagne pendant 10 ans s'il le faut. C'est cette continuité qui fait la différence par rapport à certaines actions qui peuvent apporter une aide ponctuelle aux enfants. On a des programmes de vacances : une semaine à chaque petites vacances et un mois l'été, avec des sorties à la journée et des séjours éducatifs pour qu'ils découvrent les paysages qui les environnent, mais aussi les musées, les institutions, les mairies. C'est leur ouvrir les portes d'un monde qu'ils ne connaissent pas pour qu’ils n’aient plus peur de faire ces pas-là, d'aller seuls à la bibliothèque. Cette mixité sociale est cruciale à la fois pour eux mais aussi pour les enfants d'autres milieux.

RCF Lyon : Comment ne pas prendre la place des parents dans ce contexte-là ?

FB : C'est un sacré défi. Dès le départ, on a voulu impliquer les parents à travers un programme d'accompagnement comportant des temps individuels avec chaque famille pour poser des objectifs, faire le point sur le parcours de leur enfant, mais aussi des temps collectifs avec des sorties en famille, pour qu’elles se rendent compte que c'est facile d'aller au musée sans dépenser d'argent, en prenant le métro, le bus, que c'est facile de sortir du quartier. Mais c'est aussi des cafés parents avec des conseils sur les thématiques éducatives : l'hygiène, la santé, les écrans, l'alimentation, les devoirs.

Comment accompagner son enfant dans les devoirs quand on ne parle pas français ? Il y a des méthodes et on est à côté d'eux, c'est de la co-éducation. On ne peut pas faire sans les parents, c'est indispensable et nécessaire qu'ils soient au cœur de l'éducation de leurs enfants. On est comme une béquille pour eux.

Quelle place des parents et des pouvoirs publics ?

RCF Lyon : D’après une étude d'impact, plus de 80 % des enfants accompagnés ont connu une progression scolaire significative après deux ans d'accompagnement. Ça fonctionne, donc ?

FB : Oui, ça fonctionne. Cette étude a montré que sur tous les champs qu'on travaille, on a des résultats qui sont pertinents sur le champ scolaire mais aussi sur la thématique santé et bien-être, sur l'inclusion sociale, la citoyenneté. Aujourd'hui, 100 % des enfants qui ont suivi le programme ont obtenu le brevet et une orientation qui leur plaît, 95 % des parents ont à nouveau confiance en l'avenir de leurs enfants. On a aussi un impact économique puisque la prévention, c'est plus rentable que tous les coûts du décrochage scolaire. Il est crucial que les pouvoirs publics s'en rendent compte.

RCF Lyon : Quels sont vos objectifs après ces 10 premières années ?  

FB : C'est de poursuivre le développement. L’ambition du fondateur, André Payerne, c'était d'aller partout en France dans les quartiers, parce qu'il y a beaucoup d'enfants en vulnérabilité. Donc, on est sur ce chemin-là. On va continuer notre développement en Auvergne-Rhône-Alpes, en Ile-de-France, où on est déjà présent.

À côté de ça, on va accélérer le développement sur les autres régions à travers un modèle assez innovant de franchise sociale, où on va chercher des personnalités économiques pour transmettre le modèle pour qu'ils puissent le mettre en place. On espère ainsi aller plus vite dans notre développement.

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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