Lyon : 50 ans après, que reste-t-il de l'occupation de l'église Saint-Nizier par des prostituées ?
Le 2 juin 1975 marquait le début d’une occupation à Lyon : celle de l'église Saint-Nizier, dans le deuxième arrondissement. Des travailleuses du sexe y avaient trouvé refuge face à la répression policière qu'elles subissaient, mais aussi un espace de parole. Les prémices d'une organisation collective pour leurs droits, soutenue par plusieurs prêtres. Cinquante ans plus tard, une plaque commémorative vient d'être inaugurée par la municipalité lyonnaise.
Retour sur ce mouvement social emblématique avec la directrice adjointe des archives municipales de la ville de Lyon.
L'occupation de l'église Saint-Nizier par des prostituées a marqué l'histoire de Lyon - © INA - JT FR3 Rhône-Alpes du 2 juin 1975 - Journaliste : Raymond LeleuDepuis 1975, « leur situation ne s'est pas améliorée »
RCF Lyon : Ce lundi 2 juin, 50 ans jour pour jour après le début de l'occupation de l'église, vous avez organisé une conférence autour de cette histoire et de ce mouvement social marquant, et la projection de deux films documentaires, l'un datant de 1975 et l'autre de 2021. Un demi-siècle après, vos archives montrent que le combat n'a pas vraiment changé ?
Sonia Dollinger-Désert, directrice adjointe des archives municipales de la ville de Lyon : Effectivement. Même si les prostituées de Saint-Nizier ont quand même essayé de faire bouger les choses en 1975, des lois de plus en plus répressives font que leur situation ne s'est pas améliorée, bien au contraire : on en a la trace dans les archives, mais aussi dans la vie quotidienne qu'elles peuvent nous relater.
RCF Lyon : À quoi ressemblait leur quotidien il y a 50 ans ? Était-ce un « enfer » ?
SDD : C'était différent d'aujourd'hui, mais il y a eu plusieurs événements à Lyon qui ont fait qu'on aboutit à la situation de 1975.
En 1972, il y a eu un événement marquant : des policiers de la police des mœurs ont été mis en cause dans une affaire de proxénétisme, puisqu'à l'époque on avait des « hôtels de passe » parfois tenus par des policiers, où les prostituées pouvaient effectivement exercer leur métier.
Donc évidemment, gros scandale à Lyon en 1972 : pour se racheter un petit peu, pour se refaire « une virginité » (si je puis m'exprimer ainsi), la police va finalement traquer les prostituées, et ça va devenir très compliqué d'exercer leur métier.
Une loi de 2016 qui a rendu « les clients plus agressifs »
RCF Lyon : On approche aussi du 10e anniversaire de la fameuse loi de 2016, qui a mis fin au délit de racolage, qui visait notamment à renverser la responsabilité en pénalisant cette fois-ci les clients. Est-ce aujourd'hui la principale conséquence de ce mouvement social entamé il y a 50 ans à Lyon ?
SDD : Oui, mais finalement ce n'est pas forcément à l'avantage de ces travailleuses et travailleurs du sexe, puisque la loi de 2016 a fait peur à une partie des clients. Et, d'après les témoignages qu'elles nous ont livrés, ce qui reste des clients sont visiblement des clients un peu plus agressifs, donc ça n'aide pas à leur sécurité et à leurs conditions de travail.
RCF Lyon : C'est ce qu'elles revendiquaient déjà il y a 50 ans : comment s'était passée cette dizaine de jours d'occupation ? Le manque de sécurité faisait-il aussi partie de leurs principales revendications ?
SDD : Oui, tout à fait. En 1974, il y a eu une vague d'assassinats de travailleuses du sexe (TDS), c'était très violent, des vols, des viols, des meurtres : elles avaient du mal à assurer leur sécurité. Et puis une des autres revendications, toujours en 1974 : la police s'est un peu acharnée, on peut le dire, sur les travailleuses du sexe, avec des vagues régulières de PV. Elles étaient régulièrement taxées. Le souci, c'est qu'on a aussi essayé de ressortir une loi qui n'était jamais appliquée : si on avait un PV deux fois dans la même année pour la même infraction, on pouvait aller en prison.
C'était quand même compliqué pour ces femmes dont la plupart étaient mères : une de leurs revendications était évidemment de pouvoir éviter la prison : elles demander à travailler et donc d'éviter d'être en prison pour leur travail.
On leur faisait aussi payer des impôts, parfois avec des arriérés de 5 ans : celles qui voulaient éventuellement sortir de la prostitution se retrouvaient avec des arriérés tellement énormes à payer qu'elles étaient obligées de retravailler dans la prostitution, ce qui n'aidait pas. Je pense qu'elles revendiquaient un statut de travailleuses, tout simplement. Quel moyen à l'époque de se faire entendre ? Elles ont trouvé ce moyen d'« occuper » une église, avec l'accord du curé de l'époque de Saint-Nizier.
RCF Lyon : Comment l'État avait répondu il y a 50 ans à cette occupation ?
SDD : L'État a répondu de manière un peu dilettante. 1975, c'était l'année de la femme : on avait une secrétaire d'État à la Condition féminine, Françoise Giroud, qui a dit que les revendications des TDS n'étaient pas son problème mais celui du ministère de l'Intérieur, donc ça donne un peu l'ambiance. Les travailleuses et travailleurs du sexe avaient essayé de mobiliser Simone Veil qui a répondu assez mollement, en refilant un petit peu la question à d'autres. Finalement, un rapport a été commandé, le « rapport Pinot », qui reprenait quand même une certaine partie des revendications de ces femmes, mais qui a en fait été très vite enterrée. On a un peu mis ça sous le tapis.


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