Loi Duplomb : de quoi s'agit-il ?
Adoptée dans un climat politique tendu et dans l'attente d'une décision du Conseil Constitutionnel, la loi Duplomb cristallise l'indignation d'une partie de la société civile. En autorisant la réintroduction de l'acétamipride, un pesticide interdit depuis 2018 en France, ce texte législatif suscite un front commun de contestation, des scientifiques aux restaurateurs, en passant par certains syndicats d'agriculteurs.
Champ avec botte de paille / Artur Pawlak de PixabayAdoptée le 8 juillet dernier, la loi dite "Duplomb-Menonville", du nom des sénateurs de droite et du centre qui l'ont portée, prévoit la réintroduction sous conditions de l'acétamipride, de la famille des néonicotinoïde, interdit en France depuis 2018 mais toujours autorisé dans 26 des 27 pays de l'Union européenne.
Une loi portée au nom des agriculteurs ?
Les néonicotinoïdes, dont fait partie l'acétamipride, sont une famille de pesticide agissant sur le système nerveux des insectes, largement utilisés en agriculture pour leur efficacité, mais fortement critiqués pour leur impact sur les pollinisateurs comme les abeilles, ainsi que pour leurs effets potentiels sur la santé humaine.
Cette réintroduction, réclamée par les filières betteravières et de production de noisettes, qui dénoncent une "concurrence déloyale" et l'absence d'alternatives efficaces contre les ravageurs (ennemis des plantes cultivées). La ministre de l'Agriculture Annie Genevard défend le texte, estimant qu'il "vise à lever les entraves qui pèsent sur le métier des agriculteurs" et que "le texte sera promulgué de toute façon", rejetant l'idée d'une seconde délibération comme étant "extrêmement périlleuse".
Le président Emmanuel Macron, lui, joue la montre : il a déclaré vouloir "respecter le temps institutionnel" et attendre l'avis du Conseil constitutionnel - attendu ce jeudi 7 août - avant de s'exprimer. Mais il appelle à concilier "science" et "juste concurrence", rappelant que "tout ce qui nous désynchronise par rapport aux règles en vigueur dans les autres pays nous pénalise".
Une opposition massive
La loi Duplomb fait l'objet d'une pétition citoyenne. Lancée par une étudiante, Eléonore Pattery, elle a dépassé les deux millions de signatures, un record sur le site de l'Assemblée nationale. Pour Clément Beaune, Haut-commissaire au Plan, "ce n'est plus un fait divers (...), c'est un fait de société".
Une tribune, publiée dans le journal Le Monde et signée par des sociétés savantes médicales ou scientifiques et des associations de patients, appelle le Conseil constitutionnel à censurer la loi, jugée "dangereuse pour la santé de nos concitoyens". Elle pointe l'absence de médecins, toxicologues ou épidémiologistes parmi les personnalités auditionnées au Sénat.
"Le Conseil constitutionnel doit constater l'incompatibilité de la loi Duplomb avec le principe de précaution", écrivent les signataires, parmi lesquels Fleur Breteau, fondatrice de Cancer Colère, Agnès Linglart, présidente de la Société française de pédiatrie, et Olivier Coutard, président du conseil scientifique du CNRS.
Les signataires s’appuient notamment sur une étude de l’Inserm de 2021 analysant plus de 5.000 publications scientifiques, qui conclut à "une présomption forte de lien entre l'exposition aux pesticides et la survenue de certains cancers, de troubles neurodégénératifs, pulmonaires, endocriniens."
Une tribune de professionnels de la restauration, réunissant près de 400 signataires, affirme : "Nous faisons ce métier pour nourrir, pas pour empoisonner". Elle reconnaît cependant les dilemmes des producteurs "tiraillés par la rentabilité de leur métier et les demandes citoyennes croissantes à sortir du productivisme".
Face à cette contestation, le camp présidentiel est divisé. Tandis que certains, comme le patron de Renaissance Gabriel Attal, réclament une saisine de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail), d'autres, comme Bruno Retailleau, soutiennent fermement le texte, fustigeant une "immense hypocrisie" : "Sur 27 États membres, 26 utilisent cette molécule."
La décision du Conseil constitutionnel est attendue à partir de 18h00 et sera particulièrement scrutée.


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