Liquidation d’Ynsect : retour sur l’effondrement d’une start-up présentée comme un modèle écologique
L’entreprise Ynsect, symbole de la start-up nation écologique, est officiellement liquidée. Le tribunal de commerce d’Évry a prononcé hier la fin de cette société spécialisée dans l’élevage d’insectes pour l’alimentation animale. Les 43 derniers salariés du site de Poulainville, près d’Amiens, vont perdre leur emploi. Une faillite qui interroge, tant cette entreprise avait été soutenue par les politiques.
Les 43 salariés de l'usine Ynsect de Poulainville vont perdre leur emploi ©YnsectDe l’ambition scientifique à la success story politique
L’aventure Ynsect commence en 2011. Quatre scientifiques et militants écologistes imaginent un modeste projet : révolutionner l’alimentation animale en cultivant des insectes — en réalité des scarabées — dans des fermes verticales robotisées.
L’entreprise progresse rapidement. Dans les années 2010, elle lève ses premiers fonds, installe un site à Dole, dans le Jura, et revendique aujourd’hui plus de 440 brevets liés à ses procédés.
En 2018, la jeune pousse annonce un immense site à Poulainville, dans la métropole d’Amiens : 45 000 m² de fermes robotiques, jusqu’à 120 salariés dans ses meilleures années. Les insectes y sont élevés dans des conditions censées présenter un faible impact environnemental.
L’année suivante, tout s’emballe : Ynsect intègre le programme Next40, la vitrine des start-up françaises soutenue par le gouvernement.
Lors de l’inauguration de l’usine amiénoise, trois ministres font le déplacement. L’entreprise devient alors le symbole de la réindustrialisation écologique.
En quelques années, plus de 600 millions d’euros sont mobilisés.
Une usine en retard, des procédés instables
Mais derrière la vitrine, les difficultés s’accumulent.
- Surmortalité des larves
- Systèmes de refroidissement sous-dimensionnés
- Maintenance complexe des équipements robotisés
- Retards dans les lignes de production automatisées
- Procédés industriels difficiles à stabiliser
Le contexte extérieur aggrave la situation : Covid-19, flambée des prix des matériaux, pénurie de semi-conducteurs…
La direction admet que le choix d’un site aussi grand a compliqué la mise au point industrielle. Résultat :
le seuil de rentabilité n’a jamais été atteint.
Ce n’est qu’en 2024 que la production d’engrais démarre réellement. La fabrication de nourriture animale n’arrive qu’en août 2024, très loin du calendrier prévu.
Placée en redressement judiciaire la même année, l’entreprise échappe plusieurs fois à la liquidation grâce à des pistes de reprise… jusqu’à la décision définitive tombée hier.
Aujourd’hui : la question des responsabilités
Le député François Ruffin, dans un entretien à nos confrères d’ICI Picardie, demande l’ouverture d’une enquête : où est passé l’argent public investi dans le projet ? Question posée également par les ex-salariés d'Ynsect.
Comment une entreprise, qui n'a jamais été rentable, a-t-elle pu attirer autant de financements ? Comment une start-up si célébrée a-t-elle pu s’effondrer ainsi après quinze ans d’existence ?
Les responsables politiques tentent désormais de se défendre.
- Amiens Métropole rappelle que la politique d’aides aux entreprises a contribué à faire baisser le chômage et qu’Ynsect avait bel et bien embauché après avoir perçu les subventions.
- Le président de la Région Hauts-de-France affirme que « le consensus large témoignait d’une confiance partagée dans le potentiel du projet ».
Mais l’image reste celle d’une entreprise portée par tous — et dont l’effondrement aujourd’hui interroge tout autant.
Une success story qui s’achève en naufrage
Ynsect devait incarner la réindustrialisation durable, le croisement de l’innovation scientifique, écologique et politique. Elle s’éteint finalement liquidée, fusillée de lasers devant une salle comble qui avait projeté sur cette jeune pousse des espoirs plus grands qu’elle.
