"L’Insomnie" de Tahar Ben Jelloun
C’est une fable à dormir debout ! Le narrateur est insomniaque, et ceux qui manquent de sommeil savent à quel point une bonne nuit est un cadeau de Dieu. Mais voilà, ce héros toujours en éveil ne parvient pas à dormir sur ses deux oreilles. Car, dit-il, "l’insomnie n’abandonne pas sa proie. La fatigue abîme la mémoire, la rend fébrile et pleine de trous".
Bref : l’insomnie est une épreuve épouvantable. Sauf que… Sauf que notre héros se rend compte, en étouffant sa mère qui ne demandait qu’à en finir avec la vie, qu’il s’endormait ensuite du sommeil du juste… Pour s’assurer de douces nuits, il lui suffisait d’assassiner et de capitaliser des "points crédit sommeil". Plus les morts s’accumulent, plus notre héros s’endort facilement ! Attention, il y a quand même un peu de morale dans cette histoire : il choisit d’éliminer de préférence des truands, des personnes malades… Et le meurtrier se défend : "Je n’étais pas un tueur mais un hâteur de mort". Vous l’avez compris, une histoire loufoque, qui nous parle aussi des réalités de l’existence, à commencer par l’importance du sommeil : "J’ai lu il y peu que la privation de sommeil faisait partie des tortures les plus efficaces pratiquées par les dictatures »… De là à zigouiller à tour de bras pour dormir tranquille, il fallait l’humour d’un romancier sans scrupule !
Qui transformer un héros ordinaire transformé en insomniaque meurtrier…
"Ne pas dormir, c’est être privé de rêve", rappelle le narrateur qui aspire à une vie normale, alternant nuit et jour de la manière la plus commune, pourvu qu’il ait trucidé suffisamment de personnes. Drôle de tueur à gage qui exécute pour mieux s’endormir… Ce qui n’empêche pas un sursaut de culpabilité parfois : "Peut-être que certaines personnes dont j’avais hâté la mort n’étaient pas vraiment en train de mourir ? Peut-être que j’avais profité de leur faiblesse et les avais envoyées plus tôt que prévu au cimetière ?", s’interroge le héros qui se remet à l’ouvrage bien vite pour préserver son capital sommeil. C’est une fable, une farce, une histoire absurde, mais il y a là certainement une question capitale, sous-jacente : qu’est-ce que je suis prêt à sacrifier pour mon petit confort personnel ?
La vie, la mort, c’est une fois encore la leçon de cette fable…
Ce qui est intéressant dans le roman de Tahar Ben Jelloun, c’est qu’il montre à la fois la fragilité de la vie, mais aussi toutes les mauvaises raisons qu’on peut trouver pour écourter l’existence d’un voyou, d’un proche acariâtre, d’un être menaçant… C’est drôle, grinçant, et ça fait froid dans le dos… On n’a qu’une envie, c’est de se réveiller, c’est un cauchemar cette histoire ! La prochaine fois que vous n’arrivez pas à dormir, n’allez pas flinguer votre voisin. Prenez un livre ou bien goûter la profondeur de la nuit vue du bon côté : "Les nuits sans sommeil ont souvent leurs lots de fulgurances. Des vérités se révèlent à vous avec une belle évidence".
L’insomnie, c’est le livre de Tahar ben Jelloun, paru chez Gallimard.
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