Violences sexuelles dans l'Église : L'INIRR, une réponse à l'absence de justice pénale ?
Le 5 octobre 2021, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (CIASE) rendait son rapport : 330 000 enfants ont été agressés sexuellement entre les années 1950 et 2020. Trois ans plus tard, RCF publie un podcast pour décrypter et décoder les abus dans l'Église, Silence, on crie, offrant également l'occasion de faire le point avec Marie Derain de Vaucresson, présidente de l'INIRR (Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation).
Les révélations concernant l'abbé Pierre ramènent au cœur des préoccupations la nécessité d'offrir reconnaissance et réparation aux victimes de violences sexuelles. La mission de l'INIRR est d'apporter une réponse à la souffrance des victimes, dans un contexte où souvent il n'existe pas de réponse judiciaire en raison de la prescription des faits.
Comment indemniser les victimes ?
Au 1er octobre, 1 475 demandes de reconnaissance et de réparation ont été adressées à l'INIRR. Parmi elles, 717 ont abouti à un processus d'accompagnement et de réparation. La réparation comporte une dimension financière, explique Marie Derain de Vaucresson. "Sur les 717 personnes, seules une quinzaine n'ont pas souhaité inclure une dimension financière. Celle-ci constitue un marqueur de reconnaissance et un facteur de réparation. L'INIRR a fixé un barème avec un plafond à 60 000 euros. Nous ne tenons pas compte de la nature de l'agression, mais bien des conséquences et des répercussions, qui peuvent être durables."
L'argent est un facteur de réparation pour les victimes, notamment à travers le financement de soins ou des aménagements favorisant leur bien-être au quotidien. Ces projets sont souvent partagés, précise la présidente de l'INIRR, avec leurs enfants ou des associations luttant pour les droits fondamentaux des enfants.
Sur les 717 personnes, seules une quinzaine n'ont pas souhaité inclure une dimension financière. Celle-ci constitue un marqueur de reconnaissance et un facteur de réparation.
Il n'y a pas seulement une dimension financière dans le processus de réparation développé par l'INIRR. "La démarche restaurative commence par le travail exceptionnel et inédit que les référents réalisent avec les victimes. Certaines actions sont spectaculaires, mais il existe aussi des démarches plus privées, telles que la médiation familiale. Enfin, il y a la force du témoignage, qui peut constituer un élément clé dans ce chemin de réparation", conclut Marie Derain de Vaucresson.
L'INIRR, une réponse à l'absence de justice pénale ?
Dans les affaires de violences sexuelles traitées par l'INIRR, il n'y a pas de réponse judiciaire possible en raison du décès des agresseurs ou de la prescription des faits. "Le sens de la réponse que les évêques ont souhaité mettre en place, et qu'ils m'ont demandé de piloter, réside justement dans cette absence de réponse possible", rappelle la présidente de l'INIRR.
Les procédures judiciaires sont très longues lorsque les agresseurs sont encore vivants, et la place de la victime dans le procès peut être difficile à trouver. "Il est préférable pour elles d'engager avec nous une démarche de réparation. Dans une démocratie et un État de droit, la meilleure réponse reste judiciaire. Nous intervenons parce qu'elle n'est pas possible."
Dans une démocratie et un État de droit, la meilleure réponse reste judiciaire. Nous intervenons parce qu'elle n'est pas possible.
L'INIRR a ouvert son dispositif à l'accueil des victimes mineures de l'abbé Pierre. La question du financement des réparations versées aux victimes sera traitée dans le cadre de discussions entre le Fonds SELAM, le fonds de dotation permettant la réparation financière, et les instances d'Emmaüs. "L'objectif est de mettre en place un dispositif permettant de s'engager dans une démarche d'indemnisation et de réparation financière des victimes."
Quelle est l'ampleur des demandes de réparation ?
Le premier appel à financement, qui s'élevait à 20 millions d'euros, a été atteint. Un second appel a été lancé par l'INIRR pour satisfaire les décisions de réparation prises pour les victimes. "Nous en sommes à plus de 20 millions aujourd'hui pour les indemnisations. Il existe une légère variation dans les montants des indemnisations car, après analyse des profils des personnes qui se sont adressées à nous, les conséquences dans leur vie sont moindres, ce qui entraîne des niveaux de réparation financière légèrement inférieurs", explique Marie Derain de Vaucresson.
Dans certains cas, la responsabilité des diocèses n'est pas immédiatement identifiable, ce qui complique le processus de réparation et d'indemnisation. Toutes les activités effectuées en dehors du cadre paroissial par une personnalité religieuse rendent plus difficile l’identification de la responsabilité de l'Église. "C'est un peu comme pour la question de la responsabilité autour de l'abbé Pierre. Est-ce que c'est la responsabilité directe de l'Église lorsque quelqu'un agit, même avec les meilleures intentions, de manière indépendante de l'institution ?" s'interroge la présidente de l'INIRR.
La capacité à entendre le cri, et à l'entendre collectivement, est absolument indispensable. Dans ce sens, les podcasts publiés aujourd'hui sont extrêmement importants. La prise de conscience de la colère intérieure persistante et des obstacles que la victime rencontre dans sa vie doit absolument être prise en compte.
RCF a publié un podcast intitulé Silence, on crie dans lequel on peut entendre ces victimes. Dans le deuxième épisode, intervient le père Patrick Goujon, jésuite et théologien, qui a lui-même été victime d'abus sexuels lorsqu'il était enfant. Pendant 40 ans, il a tout oublié avant de se souvenir un jour. Pour Marie Derain de Vaucresson, "La capacité à entendre le cri, et à l'entendre collectivement, est absolument indispensable. Dans ce sens, les podcasts publiés aujourd'hui sont extrêmement importants. La prise de conscience de la colère intérieure persistante et des obstacles que la victime rencontre dans sa vie doit absolument être prise en compte."
La CIASE a reçu 7 000 témoignages par mail, courrier ou téléphone, qui manifestent la volonté des victimes de faire connaître leur situation, voire d’obtenir réparation. Cependant, certaines victimes ne souhaitent pas s'engager dans cette démarche car cela peut raviver des traumatismes. Il est donc essentiel d’évaluer ce que l'on a à gagner, souligne la présidente de l'INIRR. "L'enjeu de notre démarche est de nous assurer que les victimes souhaitant entamer un processus de reconnaissance et de réparation connaissent l'INIRR, la CRR, et puissent s'adresser à ces instances."
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