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Van Gogh : une peinture pour "consoler et apprendre à contempler"

Van Gogh : une peinture pour "consoler et apprendre à contempler"

Un article rédigé par Marie-Lucie Walch - RCF Alsace, le 16 octobre 2025 - Modifié le 16 octobre 2025
Focus en AlsaceL'exposition immersive sur Van Gogh débarque à Strasbourg

Strasbourg accueille jusqu'en mars 2026 Van Gogh : The Immersive Experience. Pour son installation dans la capitale alsacienne, les organisateurs de l'exposition itinérante ont fait appel au spécialiste du peintre néerlandais et fondateur de la Van Gogh Academy, Wouter Van der Veen qui est aussi strasbourgeois. 

Wouter Van der veenWouter Van der veen

RCF Alsace : Vous avez contribué à l'élaboration scientifique de l'exposition Van Gogh : The immersive experience qui se veut délibérément pédagogique et émotionnelle. Comment s'est passée la collaboration ? 

Wouter Van der Veen : Un jour, je reçois un coup de fil de la part du producteur de cette exposition qui me dit : "Nous allons venir à Strasbourg. On sait que vous êtes à Strasbourg, on sait que vous êtes spécialistes de Van Gogh, est ce que est ce qu'on pourrait discuter ?" Il avait à cœur d'ajuster la présentation, sachant qu'il y avait effectivement quelques quelques faits concernant la vie de Vincent Van Gogh qui n'étaient pas présentés avec la précision historique qu'on aurait souhaité. J'ai donc pu réécrire un certain nombre de textes pour cette exposition ce qui permet de faire un contenu justifié sur le plan historique.

RCF Alsace : L'un des enjeux de cette exposition est justement vulgariser des données précises sur Van Gogh.

W. V.D. V. : Il faut vulgariser et démocratiser le vrai, sachant qu'il ne faut jamais avoir la prétention d'avoir la vérité historique et rester humble. Moi je n'étais pas là. J'ai la chance de savoir beaucoup de choses sur Vincent Van Gogh et son époque, mais cela reste des petits fragments qu'on assemble modestement et dont on essaye de deviner la cohérence. C'est ce que cette exposition fait. Elle ne joue pas dans l'interprétation, elle partage l'émotion, elle partage le beau et le beau sauvera le monde ! Et notre époque en a bien besoin. C'est donc une célébration de la beauté qui est présentée à Strasbourg. J'en suis très heureux.

RCF alsace:  Van Gogh n'a jamais peint de toiles de grande dimension. Or, dans cette exposition, certains de ses tableaux sont revisités en 3D, avec des formats gigantesques et des couleurs mouvantes. N'y a-t-il pas une sorte de trahison ? 

W. V.D. V. : Il y a nécessairement une trahison quand on reproduit Vincent Van Gogh, quel que soit le moyen : que ce soit en vignette minuscule dans un livre sérieux ou par des projecteurs qui permettent d'agrandir les tableaux à l'infini comme c'est le cas dans cette exposition immersive. Van Gogh n'a jamais fait un tableau de 15 mètres ni des tableaux de 3 cm. La reproduction est toujours une trahison de l'œuvre. La seule façon de bien profiter de l'œuvre est d'aller dans un musée et de ne pas regarder des toiles qui bougent comme ici, ou la plupart des choix immersifs. 

Les toiles de Van Gogh sont réparties sur les 1 400 m2 du hall Tivoli au parc des expositions de Strasbourg jusqu'au 1er mars.

RCF Alsace : Il est toutefois tentant pour les producteurs d'animer ces tableaux, comme l'avait fait en 2017 le film La Passion de Van Gogh

W. V.D. V. :  Je pense que ce n'est pas nécessaire. Il faut l'animer avec son cerveau et sa sensibilité. Quand on se place devant l'œuvre, on peut prendre le temps de rêver pendant dix minutes devant La chambre à coucher au musée d'Orsay. Et le tableau va se mettre à bouger. C'est un vagabondage intellectuel et émotionnel qui me paraît extraordinaire et parfois préférable à celui-ci [l'expérience immersive]. Les toiles de Van Gogh sont une école de contemplation.

RCF Alsace : Difficile toutefois d'entrer dans le processus de la contemplation tant nos cerveaux sont habitués aux formats animés.... 

W. V.D. V. : J'ai étudié la réception du travail de Van Gogh à travers le temps. Chaque époque s'approprie cette œuvre, la transforme et la restitue avec le langage qui est le sien. Aujourd'hui, on est dans un monde où les images galopent dans tous les sens. On voit des milliers d'images animées dans tous les sens. Un langage nouveau est en train de s'installer. Je crois qu'il ne faut pas être trop conservateur, accompagner le temps et essayer d'occuper le terrain. On peut se dire que ce n'est peut être pas un moyen idéal pour la contemplation, parce que c'est trop agité, trop lumineux, et parce qu'il y a un côté vulgaire, ce que l'on ne veut pas dans la vulgarisation. Mais en même temps, le public est là. Et donc que fait-on ? Doit-on rester sur la touche en faisant les snobs, en disant "c'est pas bien ?" Au contraire, je vais m'associer à ce mouvement pour tenter de contribuer à ce que ce soit le plus juste possible.

Les toiles de Van Gogh sont une école de contemplation.

RCF Alsace : Van Gogh est souvent réduit à son mal- être et son image d'artiste maudit. Vous cherchez à casser ces clichés.

W. V.D. V. : Vincent Van Gogh est sans doute l'artiste dont on sait le plus de choses. Sa vie est extrêmement bien documentée, ne serait-ce que par les 900 lettres de sa correspondance, où l'on peut suivre sa pensée au jour le jour, une immense richesse documentaire pour expliquer sa vie ! En fait, on ne comprend pas du tout parce que ce qui reste c'est l'oreille coupée, le suicide, et les scandales. Autrement dit ces points forts dans sa vie, mais qui ne le définissent pas. Tout le monde peut avoir un moment dans sa vie particulièrement spectaculaire qui ne vous définit pourtant pas. Vincent Van Gogh est beaucoup mieux défini par les 150 auteurs de 4 langues qu'il cite dans ses lettres et avec lesquels il réfléchit, les 36 adresses à travers les 37 pays qu'il a traversés, par les milliers de peintres qu'il voit et qu'il cite. Il est beaucoup mieux défini par ça et par son travail acharné : 14 h par jour, pas de week-end, pas de pas de pas de vacances pendant dix ans non-stop. ça définit Vincent Van Gogh. C'est celui qui arrive, c'est celui là qui arrive à toucher nos émotions. C'est avec celui-là qu'on communique quand on regarde les tableaux et non avec celui qui s'est tranché l'oreille.

RCF Alsace : Que nous apprend Van Gogh de la vulnérabilité?

W. V.D. V. : Van Gogh est un explorateur de l'infra-ordinaire. C'est l'inverse de l'extraordinaire, tout ce qui sort du lot. L'infra-ordinaire, ce sont les choses extrêmement simples : un enfant qui mange un bout de pain, une fleur dans un vase, une nuit étoilée, c'est à portée de main de tout le monde.Vincent Van Gogh se met à nu aussi parce qu'il faut se confronter à ce qui est extrêmement simple. C'est très difficile. Il faut du courage de montrer ce qu'il y a de plus banal pour essayer d'en tirer le plus sublime. Lorsqu'il réalise son autoportrait à l'oreille bandée où il se montre lui même blessé par la vie en traversant une crise abominable, il doit se regarder en face dans le miroir pendant des heures. Il regarde un homme blessé qui se livre à tous et qu'on regarde encore aujourd'hui. Il faut un courage invraisemblable, mais c'est aussi un élément de consolation, autre ingrédient fondamental de sa peinture qu'il réclame à corps et à cri. Lui, il veut que sa peinture console les gens. 

RCF Alsace : Comment son art est-il consolateur ?

W. V.D. V. : Quand on regarde une œuvre d'art, on est au moins deux à la voir : celui qui la faite et celui qui la découvre. Mais il faut aussi compter ceux qui la regardent en même temps, ou plus tard, ou avant. On est des milliers, on est ensemble et on sent les mêmes émotions. Quand on est plusieurs à sentir une émotion, on est consolé. Un des ingrédients fondamentaux de la peinture de Van Gogh.

Van Gogh est un explorateur de l'infra-ordinaire.

RCF Alsace : Avant de se lancer dans sa carrière de peintre, il s'est d'ailleurs beaucoup intéressé à la religion chrétienne. L'exposition évoque justement brièvement son cheminement intérieur. Comment sa foi inspire-t-elle son travail de création ? Il disait que "un beau tableau vaut une bonne action."

W. V.D. V. : La foi chrétienne est absolument centrale dans l'œuvre de Van Gogh. C'est un fils de pasteur qui a donc grandi dans un environnement religieux. Il voulait devenir pasteur et pour cela devait faire des études de théologie. Malheureusement, il n'avait pas l'esprit assez scolaire. Il a pourtant gardé ce cheminement spirituel jusqu'au bout. Par la voie de l'art, il a trouvé une autre forme de prédication pour apporter cette même forme de consolation qu'il souhaitait apporter aux "coeurs navrés". En protestant calviniste, il pensait que la nature était la manifestation du divin en permanence. Donc sa contemplation de la nature, les paraboles sont présentes. Jusqu'au bout, il va croire qu'"il y a quelque chose là-haut", comme il le dit lui même, "qui le guide", vers lequel il tend et qui est effectivement très important pour lui.

Par la voie de l'art, il a trouvé une forme de prédication pour apporter la consolation aux coeurs navrés.

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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