Les 800 ans du Cantique des Créatures : quel enseignement pour aujourd'hui ?

 RCF Alsace : Un cantique, c'est un poème de louange fait pour être chanté. Existe-t-il une partition originale que François d'Assise aurait écrite et composée pour accompagner son poème ?

Hélène Rendu : Nous n'avons pas la musique originale, seulement le texte. François était très spontané. Il a possiblement improvisé la mélodie qui accompagnait son Cantique. 

RCF Alsace : Comment celui que l'on surnomme "le Poverello" en arrive à ce si beau texte qui a traversé les âges ? Il ne l'écrit pourtant pas dans des conditions très lumineuses... 

H.R. : Saint-François a beaucoup médité dans son cœur toute sa vie tout ce qu'il vivait et tout ce que tout ce que Dieu lui a donné autour de lui. A la fin de sa vie, il avait des problèmes de peau et était aveugle. Il ne voyait plus cette beauté de la création, mais il l'avait tellement ingurgité dans son cœur et dans son âme que ce cantique jaillit de son coeur, trois ans avant sa mort. 

RCF Alsace : 300 ans plus tard, Jean de la Croix compose lui aussi le Cantique spirituel, un cantique de 40 strophes, dans des conditions un peu dramatiques aussi. Il est malade, enfermé dans un cachot pendant huit mois. Et pourtant, lui aussi exprime des réalités spirituelles de haute voltige. Qu'est ce qui explique selon vous  un tel décalage entre ce qui est vécu et ce qui est exprimé ?

H.R. : Ils sont très tournés vers leur intériorité et la présence de Dieu en eux. Cela devient pour eux plus fort que tout le reste. Le fait de souffrir les unissent encore plus au Christ, car ils ne restent pas focalisés sur leur souffrance. Ils méditent la Passion du Christ, ils méditent la l'amour de Dieu pour eux. Cette union fait jaillir la lumière et la joie. 

RCF Alsace: Quelle est votre strophe favorite ?

H.R.: L'avant-dernière sur la mort corporelle me touche particulièrement. Je pense que plus  on a une relation avec Dieu et moins la mort fait peur parce que tu sens que tu vas le rejoindre vraiment quoi. 

RCF Alsace : Justement, le Cantique est une ode à la vie à travers la Création et cette strophe sur la mort arrive à la fin. Aujourd'hui, la planète va mal. Est-ce aussi une façon de se dire que la mort n'aura le dernier mot, même pour la planète?

H.R. :  je suis sûre que Dieu a des plans que nous. Il a ressuscité son Fils, donc il peut faire des choses folles, même pour ce qui semble perdu. 

RCF Alsace : Depuis 7 ans, le couvent de Reinacker vit une transition écologique. 

H.R. : Cela a commencé un peu avant, mais depuis 2018, nous sommes labellisées "Église verte". Cela nous a obligées à faire des petits pas. Nous avons mis des panneaux photovoltaïques, 7 gros récupérateurs d'eau. On a fait des espaces plantes médicinales et de plantes aromatiques, un potager. Nous avons également coupé quelques lignées de sapins dont les racines abîmaient les tuyaux. Nous avons replanté des arbustes de différentes tailles et des fleurs de différentes couleurs pour montrer tout cette diversité. Pour cela, nous avons été aidés par des personnes du village (Reutenbourg, ndlr) très engagées dans le soin des plantes et qui avaient soif de nous transmettre ce qu'ils savaient pour rendre ce lieu très beau. Nous sommes également estampillées Refuge pour les oiseaux avec la Ligue protectrice pour les Oiseaux (LPO). 

Quand tu aimes quelqu'un, tu as envie de prendre beaucoup soin de lui, et donc, tu cultives cet émerveillement.

RCF Alsace : En tant que Franciscaine, c'est-à-dire religieuse suivant l'enseignement de François d'Assise. Est-ce si facile de garder l'esprit de louange qui l'habitait ? Par exemple, de suivre son incitation à louer le Seigneur pour "Soeur la pluie"? 

H.R. : Il y a plein de moments où ça nous agace, mais je pense qu'il faut regarder ces éléments dans la prière, avec le regard de Dieu. Comment Lui regarde ça? Dieu fait quelque chose de magnifique avec ça, même avec le froid, même avec la pluie. Dieu peut faire quelque chose de bon. La grâce que nous avons de la vie communautaire, c'est que nous prions ensemble tous les jours. Même si parfois on ne s'entend pas, le fait de se rassembler chaque jour pour prier ensemble nous fait regarder les choses autrement. On élève nos coeurs et il y a quelque chose de plus grand que tous nos petits travers et nos petits conflits qui nous rassemblent. Cette prière au quotidien nous rappelle toujours notre humble personne : il y a Quelqu'un de plus grand que nous. Par conséquent, on est également moins dominateur face aux éléments qui nous entourent. 

RCF Alsace : Dans son Cantique, François ne mentionne pas ses frères en communauté.

H.R. : Il dit quand même : "Loué sois-tu, mon Seigneur, pour ceux qui pardonnent grâce à ton amour qui supporte épreuves et maladies." Il parle bien des humains ici. Saint François invitait toujours à se faire mineur par rapport aux autres. Et pardonner, c'est une manière de rejoindre l'autre sans le dominer. Et et pour pour saint François, c'était c'était la chose la plus importante en fait. Et c'est ce qui fait que la famille franciscaine, c'est c'est la fraternité quoi. C'est c'est c'est majeur chez nous.

François invitait toujours à se faire mineur par rapport aux autres. 

RCF : Vous êtes responsable du jardin du Couvent. Avez-vous vécu une "conversion écologique" au niveau personnel ?

H.R.: Avant d'arriver à Reinacker, je n'avais jamais touché la terre, jamais ! Je ne connaissais rien, mais je vois bien que le fait de toucher la terre, de prendre soin des plantes a changé mon regard. Je suis obligée de prêter attention à tout, d'essayer de négocier avec les indésirables (insectes, limaces) qui mangent les légumes. Depuis mon arrivée ici, je me rends compte qu'il y a plein de choses que je ne voyais pas. Je passais devant les plantes sans les voir. Maintenant qu'on m'a appris le nom des plantes et leurs vertus, j'ai trop envie de les regarder et d'en prendre soin ! Quand tu aimes quelqu'un, tu as envie de prendre beaucoup soin de lui et donc tu cultives cet émerveillement.