Ambiance glaciale entre Rome et l’Eglise d'Allemagne. Les évêques allemands ont reçu le 16 février dernier un courrier de Rome leur demandant de reporter une réforme destinée à instituer une cogestion des diocèses avec les laïcs. Pourquoi cette réforme fait-elle grincer des dents à Rome? Eléments de réponse avec Olivier Echappé, professeur à la faculté de droit canonique de l’institut catholique de Paris au micro de Pauline de Torsiac.
Les évêques allemands dans le viseur de Rome. Ils ont reçu le 16 février 2024 un courrier du Vatican leur demandant de reporter une réforme destinée à instituer une cogestion des diocèses avec les laïcs.
La décision de lancer cette gouvernance partagée entre laïcs, prêtres, diacres et évêques a été actée par le synode de l’Eglise nationale allemande en septembre 2022. Les statuts de ces comités synodaux c'est-à-dire de ces instances de conseils et de décision ont été adoptés en novembre 2023. Ils auraient dû être votés par les 61 évêques allemands cette semaine en vue d’être appliqués en 2026. C’était sans compter sur le veto de Rome. Mais avant de revenir sur ce bras de fer entre le Saint Siège et les évêques allemands, Olivier Echappé nous rappelle le contexte de cette réforme voulue par l’Eglise allemande. “C'est la crise des abus sexuels qui a provoqué en Allemagne une crise de confiance, explique le professeur à la faculté de droit canonique de l’institut catholique de Paris. En Allemagne, ajoute t'il, les crises de confiance sont très visibles. Les fidèles sortent de l'Eglise et ne paient plus l'impôt.
Les évêques allemands ont le sentiment que face à cette crise de confiance, Il leur faut davantage faire participer les laïcs.
Ce conseil voulu par l’Eglise d’Allemagne serait constitué d’évêques et de laïcs. Il aurait vocation à faire des recommandations aux évêques diocésains, mais aussi à prendre des décisions dans un certain nombre de domaines, décrypte Olivier Echappé. “Dans le projet de statut de ce comité synodal, les membres peuvent prendre des décisions en matière de hiérarchie, de gouvernement ecclésiastique, de statut des clercs mais aussi en matière de morale, en fait sur toutes les questions qui sont un petit peu complexes actuellement dans l'Eglise. Cela heure aujourd'hui la constitution hiérarchique de l'Église, telle qu'elle résulte de la tradition et du droit canonique actuel.”
Rome a déjà lancé plusieurs avertissements aux évêques allemands. Le dernier rappel à l’ordre date du 16 février 2024. Un courrier, cosigné au sommet de l’Eglise par le secrétaire d’État du Saint siège, le préfet du dicastère pour la Doctrine De la foi et du préfet du dicastère pour les Évêque. Dans le fond ce qui pose problème au Vatican c’est que ces comités de gestion remettent en cause la mission et la conception de «l’évêque» car nous dit Olivier Echappé "C'est un système qui s'est forgé dans les tous premiers siècles de l'histoire de l'Église. On l'appelle le système de l'épiscopat monarchique. Ce système a été validé sous Vatican II parce qu'à l'époque il fallait lutter contre la centralisation romaine triomphante après le pontificat de Pie XII. Le concile Vatican II insiste sur la notion de sacramentalité de l'épiscopat, dans laquelle les évêques, reçoivent l'intégralité des trois pouvoirs: Exécutif, législatif et judiciaire. Alors évidemment, cette doctrine de la sacramentalité de l'épiscopat, renforce la vieille tradition juridique de confusion des pouvoirs au sein de l'évêque.
Ce qui pose problème dans la démarche des évêques allemands, c'est qu'ils ont pris une initiative, sans en discuter avec les autres églises et avec Rome. Or cette initiative implique un changement complet de la structure hiérarchique de l'Église.
“Dans la démarche romaine", dit Olivier Echappé, "l'idée c'était de déléguer quelques compétences en matière de liturgie, de gestion des prêtres, que tout ne soit pas centralisé à la Congrégation pour le Clergé. " Dans le projet de l'église allemande, la démarche va beaucoup plus loin", ajoute t'il.
"Admettons que l'Église allemande décide d'ordonner les femmes, ça va se heurter à l'opposition d'autres conférences épiscopales qui vont être très hostiles à cela. Cela peut porter un coup de canif à l'unité de l'Eglise. La démarche allemande peut conduire vers un schisme.
Le professeur de droit canonique admet toutefois que "les évêques allemands ne sont pas aussi "va t'en guerre" car ils ont annoncé qu'ils allaient ouvrir un cycle de discussion avec Rome à ce sujet". En attendant d’engager des discussions avec Rome, la Conférence des évêques d’Allemagne a décidé de retirer ce point de l’ordre du jour de son assemblée.
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