
Lundi, le Sénat a sérieusement épinglé l’Etat dans le dossier des eaux minérales en frauduleuses. La commission d’enquête sénatoriale a publié un rapport mettant en lumière la complaisance des autorités publiques face au non-respect de la réglementation par plusieurs géants du secteur notamment Nestlé Waters.
Le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur les eaux en bouteille publié lundi est sans concession pour l'Etat. Il fait suite aux révélations depuis deux ans de nos confrères du Monde, Médiapart et Radio France sur le non-respect de réglementation des eaux minérales par plusieurs géants du secteur notamment Nestlé Waters.
Le droit européen stipule en effet qu'une eau minérale naturelle ne peut faire l'objet d'aucune désinfection ou traitement de nature à modifier ses caractéristiques. Or le géant suisse propriétaire de Vittel, Contrex, Hepar ou encore Perrier l’a fait au moins depuis 2021 en installant d’abord des dispositifs de désinfection. Cette année-là, le groupe décide de révéler la situation au gouvernement puis de proposer une microfiltration à 0,2 micron pourtant interdite. L’Etat donnera son feu vert de façon plus ou moins tacite contre l’avis de la direction génale de la santé.
"Nous savons qu'à partir de 2022, l’Elysée et Matignon sont au courant de l'affaire. Ils sont au courant que des traitements illégaux sont en place dans les usines du groupe Nestlé. Ça, c'est très clair" détaille Alexandre Ouizille, rapporteur PS de la commission. "Ce que nous savons aussi, c'est que finalement, c'est à l'Élysée que les dialogues ont été le plus nourri entre les différentes autorités et le groupe Nestlé. Nous savons qu'Alexis Kohler, secrétaire général de l'Élysée, a rencontré et a eu des entretiens téléphoniques à plusieurs reprises avec les représentants du groupe Nestlé". Le désormais ex-secrétaire général de l’Élysée a lui refusé d’être entendu par la commission au nom de "la séparation des pouvoirs".
Le sénateur Ouizille évoque aussi "une république des cabinets" ou même "Élisabeth Borne n’a pas été informé de cette situation" pourtant problématique sur le plan sanitaire en raison de la contamination de plusieurs sources. Certes, le président LR de la commission, Laurent Burgua, relève qu’il "n’y a pas de contamination avérée" du public mais il y a bien eu fraude puisque ces eaux ont été finalement commercialisées sous l’appellation "eau minérale naturelle" alors qu’elle ne pouvait plus en bénéficier.
Ce rapport de la commission d'enquête du Sénat dévoile même la modification à la demande d’un rapport de l’ARS Occitanie concernant la qualité de l’eau de Perrier contaminée.
Les sénateurs dénoncent donc un "système de dissimulation" et l’inertie complète des pouvoirs publics. Pour donner suite aux révélations de Nestlé en 2021, le gouvernement se limite à saisir l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), mais n’effectue aucun signalement auprès de la justice, malgré la fraude. Pour la commission le groupe Nestlé à fait pression sur gouvernement afin d'obtenir une adaptation de la réglementation en sa faveur en brandissant notamment d’éventuelles suppressions d’emplois souligne Alexandre Ouizille."Dans la documentation à laquelle nous avons eu accès, le chantage à l'emploi est plusieurs fois évoqué clairement par l'industriel. Est-ce qu'il y a d'autres intérêts que je ne mesure pas ? Peut-être. Mais ce qui est apparu de manière claire, c'est cette question-là".
La filière représente 11 000 emplois directs en France qui totalise en effet 104 sites d’exploitation d’eau minérale naturelle et d’eau de source, répartis à travers 59 départements. Le secteur est dominé par trois groupes pesant 80 % du marché, dont les deux géants Danone et Nestlé, pour un chiffre d’affaires cumulé de 2,7 milliards d’euros, selon le Sénat. "Il y a d'une part les intérêts économiques, la France est le premier pays exportateur d'eau dans le monde. Et puis d'autre part, il y a la puissance de la multinationale qui est très, très proche du pouvoir" estime Bernard Schmidt président et porte-parole du Collectif Eau88-Vosges Nature Environnement.
"Près de quatre ans après, la transparence n’est toujours pas faite", alerte le Sénat.
Le rapport de la commission fait 28 recommandations parmi lesquelles, une meilleure protection et un meilleur suivi qualitatif des nappes, la prise en compte de nouveaux polluants comme les PFAS un cadre réglementaire plus clair mieux structurer les contrôle ou encore un étiquetage plus précis pour les consommateurs "mais pour le moment rien ne change pour les consommateurs, rien ne distingue une bouteille qui respecte les règles d’une qui ne les respecte pas" déplore Ingrid Krugle porte-parole de l’association Foodwatch. L’ONG qui milite pour la qualité de l'alimentation et la transparence de la production a déposé plainte au pénal en 2024 contre Nestlé et espère un procès contre la multinationale.
Pour le Sénat, à ce stade, Nestlé Waters "n’est toujours pas en conformité avec la réglementation". Le 7 mai dernier, le préfet du Gard a mis en demeure le géant de l’agroalimentaire de retirer ses filtres sous deux mois pour le site de Perrier. La préfecture des Vosges a pris une décision similaire pour le site de Vittel. Quant au statut eau minérale naturelle de Perrier, il est en suspens le préfet du Gard doit rendre sa décision d’ici le 7 août.
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