Le mot de la semaine : continuer
LE MOT DE LA SEMAINE - Jean Pruvost nous raconte ce matin l'histoire du mot "continuer". Et assurément, on continue d'avancer !
Jean Pruvost © Pascal HausherrIl y a des mots que l’on utilise sans y penser, et il suffit de s’y arrêter pour se dire qu’ils nous sont indispensables, bien qu’on ne se préoccupe jamais de leur histoire. C’est en écoutant une chanson de Francis Cabrel, avec ce refrain « Et ça continue, encore et encore », que je me suis dit que, dans le fond, ces deux mots sont des concepts à la fois si courants et si mystérieux qu’il faut vraiment les expliquer.
"Continuer" : un mot magique de l'existence
On se lève le matin, et on se doit, dès cet instant, de « continuer, encore et encore ». Ce verbe, même après notre dernier jour, garde toute sa force mystérieuse, on « continue » en effet, nous avons été créés pour « continuer, encore et encore », sur Terre puis au-delà. Alors d’où vient ce verbe ? Du latin continuare, signalent en chœur tous les dictionnaires. Et de préciser plus utilement qu’il faut y repérer le fait de « tenir », du verbe latin « tenere » de même sens, mais pas « tenir » n’importe comment : tenir « ensemble ». « Ensemble », c’est bien effectivement le sens du préfixe « con -» du verbe « con-tinuare ». En vérité, « con-tinuer » consiste assurément à faire un tout entre ce qui précède et ce qui, suit, un tout bien « tenu ensemble » et le tout s’enchaînant. Alors, en belle continuité si j’ose dire, quels sont les différents sens du verbe « continuer » ? Il s’agit tout d’abord de poursuivre ce qui est entrepris, je continue mes études, mes travaux, ma route, et on pense à Romain Rolland dans Jean-Christophe cité dans le Grand Robert, soulignant en 1904 : « On ne revient pas au passé. Il faut continuer sa route. » Un autre sens du verbe « continuer » est le fait de durer, par exemple la pluie continue. On peut ici citer Gide, dont je n’approuve pas le pessimisme, déclarant en 1925 dans Les Faux-monnayeurs : « Dans la vie, rien ne se résout ; tout continue. » Enfin, au verbe « continuer » revient encore un autre sens, celui qui consiste à prendre une suite, par exemple Jean de Meung a continué d’écrire dès 1230 le Roman de la Rose, long poème commencé par Guillaume de Lorris. Et la littérature de continuer ensuite son chemin encore et encore.
Mais encore ?
Je ne sais pas si je peux dire qu’il y a un « continuum » entre les mots « continuer » et « encore », mais de fait ce terme, « continuum », issu du latin et passé en français en 1905, relève des mathématiques et de la philosophie. Il est défini dans le Trésor de la langue française comme un « espace qui n’est pas interrompu », en somme une continuité, mais depuis Einstein, c’est aussi l’espace-temps désignant la fusion en une seule structure du temps et des trois dimensions de l’espace –longueur, largeur, hauteur. « Continuum », c’est d’ailleurs un des « dix mots » proposés cette année par la DGLFLF dans l’opération Dis-moi 10 mots. En fait là, je ne vais pas « continuer » l’explication de ce mot, le « continuum » Einstein est en effet remis en cause par la physique quantique, et vous devinez que ça me dépasse complètement. En revanche je peux signaler « encore » est une déformation du latin populaire « hincad horam », c’est-à-dire littéralement, « d’ici », « hinc », jusqu’à l’heure, « ad horam ». Et en se soudant, ce hic ad horam a abouti au XIe siècle à « uncor », et au XIIe siècle à « encore », l’idée restant bien de marquer la persistance d’une action, d’un état, d’un moment, en somme une continuation. Laissons les derniers mots à Francis Cabrel.


Jean Pruvost, lexicologue passionné et passionnant vous entraîne chaque lundi matin dans l'histoire mouvementée d'un simple mot, le mot de la semaine !




