Le manuscrit "Enseignements à sa fille" d'Anne de France retrouvé

Jérémi Coulon : L'histoire de l'ouvrage est mouvementée : Passé dans la bibliothèque du chancelier Pierre Séguier (1588-1672) puis dans celle de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, avant d'en disparaître, probablement dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, il parvint à échapper aux nationalisations, avant de réapparaître dans la bibliothèque de Saint-Pétersbourg dans les années 1930. Sa redécouverte aujourd'hui est donc inespérée. 

Aubrée David-Chapy : C'est une grande surprise dans le monde finalement un peu restreint de la recherche puisque les enseignements d'Anne de France à sa fille sont le premier traité féminin d'une femme à sa fille du début de la Renaissance. Donc à ce titre, il représente un grand enjeu scientifique. On le pensait perdu depuis un siècle. Or en fait, on vient de retrouver sa trace en France ces dernières semaines [Dans la salle des ventes parisienne christie's, NDLR]. C'est évidemment une très très bonne nouvelle, notamment pour les chercheurs et puis aussi pour tous ceux qui apprécient Anne de France et qui sont très nombreux en Bourbonnais.

Jérémi Coulon : Vous avez eu le privilège de voir ce manuscrit il y a quelques mois. Pouvez-vous nous le décrire ?

Aubrée David-Chapy : Ce manuscrit, qui fait une centaine de folios, ressemble finalement à un petit livre que l'on peut tenir dans les mains puisqu'il était destiné à l'usage personnel de Suzanne de Bourbon. On imagine qu'Anne de France a commandé elle-même ce livre pour sa fille. Pour l'instant, je pense qu'on ne sait pas à qui puisque la recherche n'a pas encore eu le temps de véritablement se pencher sur ce document. Sur la page de garde, il y a l'écriture autographe de Suzanne. On y voit aussi une enluminure en couleur qui représente Anne de France face à sa fille. Elle est en train de lui tendre un livre, évidemment le livre des enseignements. Une page très émouvante qui représente la mère et la fille ensemble. Ces enluminures ne sont pas d'une qualité exceptionnelle, car ce n'est pas un manuscrit royal, mais c'est quand même très intéressant d'avoir ces images en couleur. 

Jérémi Coulon : "Enseignements à sa fille" est un ouvrage destiné à la jeune princesse Suzanne, qui devra hériter du très important duché de Bourbonnais. Quels sont les principaux conseils qu'Anne de France décide d'y inscrire ?

Aubrée David-Chapy : Dans ce livre, il n'y a que très peu d'enseignements véritablement politiques. Je pourrais même dire qu'il n'y en a presque pas. L'ensemble des enseignements sont très tournés vers la morale, vers la vertu. Il s'agit de faire son salut sur terre. C'est-à-dire que Suzanne doit être une bonne chrétienne et aller au paradis. Donc on lui apprend tout d'abord qu'elle est une chose bien faible comme finalement toute personne, tout humain, parce qu'elle est de nature pécheresse et qu'il va falloir qu'elle lutte contre tous ces défauts qui lui sont intrinsèques. Il lui faudra acquérir la vertu qui s'oppose sans cesse au mal et au péché. Elle devra être vertueuse, discrète, prudente. Anne de France, qui connaît aussi très bien la cour, apprend à sa fille aussi qu'il faudra qu'elle sache se montrer très méfiante. Elle devra écouter plus que parler. Elle devra regarder plus que se montrer. Elle devra éviter de tomber dans le piège des courtisans, de ceux qui voudraient se servir d'elle pour telle ou telle raison, la flatter, etc. Donc on a surtout un recueil de vertu morale à appliquer pour savoir bien se comporter.

Jérémi Coulon : le manuscrit des "Enseignements à sa fille" (et sa suite, "l'Histoire du siège de Brest") vient d'être déclaré comme trésor national par un décret paru au journal officiel. Qu'est-ce que cela implique ?

Aubrée David-Chapy : Pendant 30 mois, le manuscrit n'a pas le droit de quitter le territoire français afin d'être éventuellement acquis par une institution étatique comme une bibliothèque, des archives, etc. Et au-delà des 30 mois, il faut que les négociations aient pu aboutir pour que le manuscrit puisse intégrer les collections nationales.