Le grégorien, un chant dépassé ?
De moins en moins utilisé, le chant grégorien semble tomber en désuétude. Davantage associé à la liturgie tridentine, il est souvent le grand absent des messes Paul VI, c'est-à-dire des messes postérieures au Concile Vatican II. Pourtant, il reste discrètement au cœur des débats, aussi bien pendant le concile qu’après son adoption. Retour sur un chant qui traversa les siècles.
partition grégorienne © DRLa tendance actuelle en matière de musique liturgique est au succès des groupes de pop louanges et des disques des chants de la communauté de l’Emmanuel, avec plus de 100 000 disques vendus de l’album il est vivant depuis 2000. Pourtant, le succès grandissant du pèlerinage de Chartres qui rassemble des pèlerins de 20 ans en moyenne et toujours plus nombreux, a de quoi questionner quant à l’attrait des jeunes pour le grégorien.
Ce qui fait du grégorien un chant sacré
Si le chant grégorien est par excellence le chant de l’Église, il est important de comprendre ce qui fait sa spécificité. Des mélismes tout d’abord, c'est-à-dire le fait d’étirer les notes pour laisser la parole en suspension le temps d’un instant. Cette lenteur du grégorien qui étire les syllabes parfois sur de longues secondes n’est pas anodine. Il s’agit en fait d’une volonté bien étudiée de laisser le temps au fidèle qui l’écoute, de méditer les mots un à un. C’est aussi un moyen de rendre grâce et de louer Dieu en magnifiant sa parole en utilisant la plus belle composition qui se fait à l’époque. Car la spécificité du grégorien est qu’il lie véritablement le chant et la prière. Tout le chant doit être orienté de façon à permettre la longue résonance de la parole. Une vocation qui est permise aussi par la sobriété du rythme. Bien moins fournie d’indications de nuances et de rythme, l’écriture grégorienne laisse libre cours à l’adaptation rythmique du chantre ou de la chorale. L’explication de cette sobriété est aussi le fait que l’écriture de cette musique fut tardive. Le grégorien était en effet une tradition orale et les élèves qui l'apprenaient devaient mémoriser chaque chant par cœur. Et ce n’est pas une mince affaire lorsque l’on sait qu’il est non seulement le répertoire le plus ancien mais aussi le plus vaste de l’histoire de l’humanité. Il fallait 15 ans pour former un chantre tant le répertoire était vaste. Ce n’est qu’à partir du XIe siècle que le grégorien est mis par écrit lorsque Guido d’Arezzo invente la portée musicale.
Le grégorien et le concile Vatican II
Lorsque l’on parle de grégorien, on a souvent tendance à imaginer un répertoire désuet qui a pris fin avec le concile Vatican II. Pourtant, le texte officiel du Concile ne souhaite en aucun cas le voir disparaître. Bien au contraire, il est formellement explicité dans la troisième Constitution conciliaire Sacrosanctum Concilium que “L’Église reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine : aussi, toutes choses égales par ailleurs, il occupera la première place dans les actions liturgiques. Les autres genres de musique sacrée, et notamment la polyphonie, ne sont nullement exclus de la célébration des offices divins, pourvu qu’ils répondent à l’esprit de l’action liturgique, selon l’article 30.” Une volonté manifeste de préserver un monument liturgique et musical qui nous a été transmis par la voie de l’Église. En France pourtant la plupart des paroisses l’ont presque, voire complètement, abandonné. On estime à environ 300 le nombre de lieux de cultes de l’hexagone qui continuent d’utiliser le répertoire grégorien en 2025. Certaines associations comme Rencontres grégoriennes proposent des formations sous forme d’académies d’été pour les jeunes afin de transmettre ce patrimoine musical et historique et faire en sorte qu’il ne tombe pas dans l’oubli. Par ailleurs, la messe d’investiture du Pape Léon XIV qui mettait le grégorien en première place laissait aussi entrevoir un certain attachement du nouveau souverain pontife à l’esprit de Vatican II concernant le chant liturgique.




