Céline, 32 ans, Darius, 45 ans, Paul, 59 ans et bien d'autres encore… 855 personnes sans abris sont mortes dans la rue en 2024 selon le collectif Les Morts de la Rue. Mardi soir à Paris, un hommage organisé par l'association leur était rendu. Elle est également présente à Grenoble où, comme partout en France, les chiffres sont en hausse.
À Grenoble, comme dans d'autres villes en France, des bénévoles veillent à ce que les personnes mortes dans la rue ou dans l’isolement ne soient pas enterrées dans l’indifférence. Le collectif Morts de la Rue et Personnes Isolées témoigne d’un engagement fort pour la dignité des défunts les plus précaires.
Entretien avec Guy Thomas, membre actif du collectif Morts de Rue et Personnes Isolées à Grenoble.
RCF Isère : Le constat fait par votre collectif au niveau national est accablant : 855 décès de sans-abris en 2024. Qu'en est-il à Grenoble ?
Guy Thomas : Pour l'année 2024, nous avons accompagné 36 décès. On sait que beaucoup de gens meurent des conséquences de la vie dans la rue, ici à Grenoble. Dans les 36 accompagnements, quelques-uns sont morts dans la rue, mais ce n'est pas la majorité. On a davantage de décès de personnes isolées.
Quelles sont vos différentes actions à Grenoble, et au niveau national ?
Notre mission est celle de la fraternité. Il est impensable pour nous d'imaginer qu'en France, des défunts ne soient pas accompagnés. Dès qu'un défunt arrive aux pompes funèbres sans aucune famille ni aucun contact, nous le veillons et nous l'accompagnons au cimetière pour faire une petite cérémonie. Je précise que ce collectif est laïc. Ces défunts sont enterrés dans ce qu'on appelle le carré commun, ce qui n'est pas une fosse commune. C'est souvent au fond des cimetières.
Comment réussissez-vous à comptabiliser ces personnes, à les retrouver dans la rue en ayant leur prénom, leur âge ?
Pratiquement toutes les personnes du collectif ont des engagements dans la rue, on a le souci de ces personnes. Ce qui témoigne des conditions très rudes de la vie dans la rue, c'est notamment l'espérance de vie des sans-abris. Aujourd'hui elle est de 50 ans, 30 ans de moins que la moyenne nationale. Pas étonnant lorsque vous subissez constamment les pots d'échappement, le froid, la chaleur…
Sont-elles affectées à la fois sur le plan physique et psychologique ?
Oui, il y en a qui sont affectées par toutes ces conséquences de la rue. C'est un peu une condamnation à une double exclusion, celle subie dans la vie et celle subie dans la mort.
Dans Grenoble, vous ne pouvez pas faire 50 mètres sans voir quelqu'un qui est assis par terre dans la rue. Il faut ouvrir les yeux.
Dans son 30e rapport, la Fondation pour le logement des défavorisés estime qu'il y a 350 000 personnes sans domicile en France cette année, et plus de 2,7 millions de ménages en attente d'un logement social mi-2024. Un chiffre record.
Est-ce que vous constatez vous aussi cette croissance du nombre de personnes sans abri ?
Ça fait 11 ans que j'habite Grenoble, et je trouve qu'il y en a de plus en plus. Le problème de l’habitat est extrêmement important. D'ailleurs, il y a des gens dans la rue qui ont un toit pour loger, d’autres qui ne l'ont pas. Ces personnes gardent pourtant une fraternité de la rue : parfois, lorsqu'ils ne se sentent pas bien dans leur appartement, ils retournent dans la rue, ou font parfois de la cohabitation.
Je pense également que Grenoble est une ville privilégiée dans l’associatif, et qu'il y a beaucoup de générosité : ils peuvent parler, recevoir des formations, prendre leur douche, laisser leurs affaires, etc.
Qu'est-ce que vous aimeriez voir changer aujourd'hui ?
J'ai surtout un souhait : qu'on les considère.
Imaginez-vous dans la rue : un sourire, un bonjour, cela fait du bien au cœur. C'est donner une existence, et c'est très important. Ils ont tous des souffrances, un divorce, un problème d'alcool, une rupture avec leur famille…
Dans les personnes isolées, beaucoup ont 70, 75 ans. On peut avoir aussi des suicides. Ils n'ont personne, et on ne sait rien sur eux.
La fraternité fait partie de la devise de notre pays. On a eu des drames, des noyades, des bébés abandonnés, qui n'ont pas été accompagnés. On devrait accompagner tous les défunts, au nom de la fraternité humaine.
Il y a de plus en plus de personnes isolées, c'est un triste fait de société. La pauvreté, les licenciements, le manque de liens sociaux, cela se ressent depuis le Covid. 36 décès pour l'année 2024. En 2025, on est déjà à 20, on peut s'attendre à 45 décès d'ici fin décembre.
Les personnes sont là avec leurs douleurs, leurs histoires qu'on ne connaît pas. Qui ont cette vie finalement assez triste, de dégradation.
Le 1er novembre, tous les ans, à Grenoble, dans les deux cimetières Petit Sablon et Grand Sablon, on vient honorer les morts que l'on a accompagnés. Mais surtout, on propose aux gens de déposer une fleur dans le carré commun, sur les tombes des personnes de la rue et des personnes isolées décédées.
Chaque jour, une personnalité de la vie locale présente un événement ou revient sur une question d'actualité.
Suivez l’actualité nationale et régionale chaque jour
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !