Le CHU de Rennes prépare ses soignants à une loi sur l'aide à mourir
La proposition de loi prévoyant un renforcement de l'accès aux soins palliatifs et consacrant un droit à l'aide à mourir devrait être débattue fin octobre au Sénat. Sans attendre l'issue des échanges, le CHU de Rennes a décidé de préparer ses soignants aux évolutions à venir. Les explications du Dr Vincent Morel, chef de l'unité de soins palliatifs de l'établissement.
Chef de l'unité de soins palliatifs du CHU de Rennes, Dr. Vincent Morel est l'auteur de Face à la fin de vie aux Presses Universitaires de Rennes © Archives RCFQu'est ce qui a poussé le CHU de Rennes à réfléchir collectivement à la mise en place de cette loi ?
Dr Vincent Morel : "On s'est aperçu que sans préjuger des débats parlementaires qui vont venir, de ce que sera la loi dans sa version définitive, il était important pour les professionnels de santé d'anticiper cette démarche car nous sommes déjà interrogés par des patients, des familles et aussi par des collègues sur la loi. Il ne s'agit pas de dire si une telle modification de la loi est opportune ou pas mais de voir comment on peut réfléchir à ce en quoi cette nouvelle loi va venir nous mobiliser et modifier nos pratiques.
Il s'agit finalement de se préparer pour ensuite pouvoir mieux accompagner les patients et les familles sachant que nous avons déjà un texte de loi qui nous permet d'avoir les grandes lignes directrices et donc de réfléchir en amont".
Entendre ce "je veux mourir"
Qu'est-ce qui est abordé pendant les conférences que vous proposez à vos collègues ?
Dr Vincent Morel : "Il y a trois éléments en terme de pédagogie à faire. Le premier, ça a été d'expliquer dans une approche sociologique et anthropologique le pourquoi de cette loi. Pourquoi la société veut modifier une loi sur la fin de vie, comment elle interpelle le législateur pour cela et comment elle dit d'une nouvelle définition de son rapport à la mort.
L'autre élément qui est pour nous indispensable est de former les professionnels à entendre une personne qui dirait "je veux mourir". Aujourd'hui nous sommes capables d'entendre cette demande dans un contexte où la loi interdit l'acharnement thérapeutique et ouvre un droit à la sédation profonde et continue. Mais il va falloir entendre ce "je veux mourir" dans un contexte où la loi autoriserait l'aide à mourir.
Avec derrière l'objectif de bien décrypter cette demande car il ne faudrait pas qu'un patient bénéficie de l'aide à mourir par un défaut d'accès aux soins ou par une mauvaise compréhension de ce qu'il dit. Donc, il faudra que les professionnels, en termes de compétences, soient sûrs de bien accompagner le patient pour bien décrypter sa demande.
Et puis après, dans un troisième temps, il faudra arriver à ce que le professionnel, dans une approche juridique, comprenne bien la loi, connaisse bien la loi, pas simplement dans son approche parfois formaliste, mais surtout comprenne aussi le sens de la loi. Et donc c'est toute cette démarche pédagogique qu'on a mise en place au CHU de Rennes, de façon à se préparer à accueillir les patients et à bien prendre en charge les patients."
Trouver un équilibre
Dans votre ouvrage, Face à la fin de vie, publié cette année aux presses universitaires de Rennes, vous indiquez que "la mort s'inscrit de plus en plus dans un choix personnel plutôt que dans un accompagnement collectif". Et pour autant, aujourd'hui, avec le CHU de Rennes, vous voulez porter ce travail de préparation collective?
Dr Vincent Morel : "Oui parce qu'on voit bien qu'il y a un point de tension sur ce débat entre l'approche individuelle d'un individu qui pour lui-même voudrait faire un choix d'aide à mourir et une vigilance qu'il faut porter aux collectifs et aux personnes les plus vulnérables. C'est à dire qu'il faut être capable, dans un même élan finalement, d'entendre une personne qui crierait, qui dirait qu'elle veut mourir dans un périmètre d'une loi qui aurait changé et être en capacité aussi d'entendre les personnes qui n'arrivent plus à dire qu'elles veulent vivre. Et ça, c'est l'enjeu d'un soignant, c'est l'enjeu d'un professionnel de santé d'être à l'écoute de ces personnes en situation de fragilité et de vulnérabilité, avec le risque derrière, finalement, que l'aide à mourir devienne ou pourrait devenir une solution de facilité qui viserait à nous épargner finalement toute l'approche soignante que l'on devrait avoir.
Donc, il y a cet équilibre qui est précieux entre l'écoute de l'individu et la vigilance au collectif, entre l'écoute de l'autonomie et notre nécessaire solidarité aux personnes qui sont en situation de fragilité. Pour un établissement de santé et pour des professionnels de santé, c'est essentiel de tenir cet équilibre."
Une réflexion qui va servir à tous les patients
C'est quand même surprenant la position que prend le CHU de Rennes ! D'autres établissements en France mène la même démarche de réflexion collective ?
Dr Vincent Morel : "Notre prise de parole ne vise pas à légitimer ou non, une dépénalisation de l'aide à mourir. Je ne suis pas un homme politique, je suis un soignant et donc je me dis que je dois me préparer. On doit se préparer à une loi qui potentiellement va changer. On a été habitué à travailler dans le périmètre de la loi Claeys-Leonetti. Je crois que c'est notre enjeu est de nous préparer à travailler dans le cadre d'une nouvelle loi qui qui arriverait. Et il ne s'agit pas pour moi de dire si une telle législation, une telle nouvelle loi est opportune ou pas, c'est simplement de se préparer parce que ce que l'on va observer, c'est que le jour où la loi va être définitivement votée, on aura ensuite que quelques jours ou quelques semaines pour réfléchir sur la question parce qu'immédiatement les patients vont nous demander de mettre en œuvre la loi.
Là, on a le temps finalement, de réfléchir sur nos pratiques. Et ce que je vois, c'est que cette réflexion, finalement, elle va servir à tous les patients, pas seulement aux patients qui vont demander une aide à mourir, mais à tous les patients qu'on va accompagner dans la fin de vie, parce que finalement on mobilise cette nouvelle loi qui va arriver pour renforcer nos compétences et mieux accompagner l'ensemble des patients."


Chaque jour, les rédactions de RCF en Bretagne vous proposent une rencontre avec un acteur local sur un sujet d'actualité. Ne manquez pas le grand invité de Bretagne soir, tous les jours à 18h30.
