C'est une arrestation qui a fait beaucoup de bruit. Le maire d'Istanbul, Ekrem Imamoglu, a été incarcéré dimanche 23 mars. Principal opposant au président Recep Tayyip Erdogan, il allait se porter candidat à la prochaine élection présidentielle de 2028. Beaucoup d'observateurs voient là une rupture majeure avec l'héritage de Mustafa Kemal Atatürk, qui avait fondé la République de Turquie. Lundi 24 mars, l'Union européenne a exhorté le pays à "respecter les valeurs démocratiques". Analyse de la situation turque avec Nicolas Monceau, politologue, maître de conférences à l'université de Bordeaux et auteur de Turquie : un dilemme européen ?, aux éditions de l'Aube.
Depuis l'incarcération du maire d'Istanbul, Ekrem Imamoglu, la situation en Turquie est particulièrement tendue. Les manifestations se multiplient à travers le pays. Depuis mercredi 19 mars, des dizaines de milliers de manifestants envahissent tous les soirs la place de la mairie de la ville de plus de 15 millions d'habitants. Une question se pose alors : cette arrestation était-elle une prise de main du président turc Recep Tayyip Erdogan ?
La République de Turquie a été fondée par Mustafa Kemal Atatürk il y a plus d'un siècle. Elle s'est métamorphosée avec l'arrivée au pouvoir de Recep Tayyip Erdogan. L'arrestation du maire d'Istanbul en est une nouvelle illustration. L'évènement provoque la colère des turques.
Au moins 55 des 81 provinces ont été gagnées par les manifestations, soit plus des deux tiers du pays. Tout cela dans un contexte très particulier, puisque dimanche 23 mars avaient lieu les primaires du parti du maire d'Istanbul Ekrem Imamoglu. Il est candidat du Parti républicain du peuple, le CHP, pour la primaire des élections de 2028. "Il faut rappeler que le maire d'Istanbul a été soumis à des accusations et à des procédures judiciaires depuis de longues années ", relate Nicolas Monceau, spécialiste de la Turquie.
C'est le passage de la République à une autocratie ou un régime autoritaire
Cette "élimination de l'opposition" est perçue en Turquie comme un changement de modèle politique. En effet, cela met en lumière le "passage de la République à une autocratie ou un régime autoritaire", explique l'auteur de Turquie : un dilemme européen ?. "Désormais, il semblerait qu'il n'y ait plus d'opposition au parti dominant en Turquie, qui est le parti du président, à savoir l'AKP", poursuit-il.
La Turquie est candidate à l'adhésion à l'Union européenne depuis 1987. Les évènements récents pourraient compromettre ce projet. La France parle d'une atteinte grave à la démocratie. "Ces événements et leurs conséquences, parce qu'elles ne sont pas terminées, ne vont effectivement pas améliorer les relations entre la Turquie et l'Union européenne", estime Nicolas Monceau.
Ces événements et leurs conséquences ne vont pas améliorer
les relations entre la Turquie et l'Union européenne
Depuis 15 ans, la Turquie diversifie ses partenariats. Que ce soit avec l'Union européenne ou avec d'autres pays autour d'elle comme l'Iran, la Syrie, la Russie et les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). "Il y a donc des interrogations sur ce qu'a représenté l'alignement pro-européen ou pro-occidental de la Turquie depuis la fondation de la République il y a plus d'un siècle", souligne le spécialiste de la Turquie.
Pour rappel, la Turquie cherche à se placer comme médiateur dans le conflit russo-ukrainien comme dans le conflit israélo-palestinien. "La Turquie joue un rôle de médiation en accueillant des sommets ou des réunions de négociation à Istanbul", poursuit-il.
Le 1er mars, Abdullah Ocalan, le chef du PKK, annonçait un cessez-le-feu historique entre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et la république turque. Un épisode qui marque un tournant dans le pays. Le chef du PKK, emprisonné en Turquie depuis 1999, a déclaré "qu'il était temps pour l'organisation de mettre un terme à sa lutte dans un contexte politique qui avait changé. Il fallait désormais privilégier plutôt une solution politique à ce conflit."
Il y a une division de la classe politique face à la question kurde en général
et en particulier face à cette annonce
Cet appel historique a suscité des réactions contrastées au sein des différents partis politiques turcs qui la considère comme prématurée et donc peu crédible. "Il y a une division de la classe politique face à la question kurde en général et en particulier face à cette annonce, explique Nicolas Monceau. Pour l'instant, on ne peut pas dire qu'il y a un consensus en Turquie autour de cette annonce. Il est trop tôt pour vraiment apprécier ou mesurer son importance et ses conséquences."
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