La mort en direct de Jean Pormanove, streamer sur Kick, interroge les autorités
Lundi dernier, en direct sur la plateforme de streaming Kick, le streamer Jean Pormanove, Raphaël Graven de son vrai nom, mourrait dans son sommeil devant des milliers de spectateurs. Une mort qui a remis en lumière les violences physiques et psychologiques auxquels il était confronté quotidiennement au cours d'émissions diffusées en direct avec deux partenaires. Depuis, l'affaire a été prise en main par le gouvernement par le truchement de Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique, qui a saisi l'Arcom. L'autopsie de Raphaël Graven n'a pas révélé de liens entre la mort de Jean Pormanove et les actes des ses partenaires.
Jean Pormanove est décédé dans la nuit du dimanche 17 au lundi 18 août après 298 heures de direct © Instagram / JPF Jean PormanoveC'est au bout de la 298ème heure d'émission en direct sur la planeforme de streaming Kick que le streamer Raphaël Graven, plus connu sous le pseudonyme de Jean Pormanove, est décédé, en direct, devant plusieurs milliers de spectateurs. Pendant trois quarts-d'heure son corps inanimé restera visible des internautes consultant sa chaîne Kick, avant qu'un de ses co-streamer, Owen "Naruto" Cenazandotti constate le décès et coupe la trabsmission en direct. Immédiatement, la toile s'enflamme. En cause, les multiples violences physiques et psychologiques infligées à Jean Pormanove par Owen Cenazandotti et un autre partenaire, Safine "Safine" Hamadi, qui, pour certains, auraient causées le décès de Raphaël Graven, à 46 ans. Des images montrant Jean Pormanove étranglé et violenté quelques heures avant sa mort ont été diffusées sur sa chaîne Kick. Des agissements qui duraient depuis plusieurs années et que Mediapart avait mis en lumière en décembre 2024, alertant alors la ministre déléguée en charge de l'intelligence artificielle et du numérique Clara Chappaz, sans réponse de sa part.
"Faire le buzz" par tous les moyens
Depuis plusieurs années, à Drap dans les Alpes-Maritimes, avec leur collectif du "Lokal", les streamers JeanPormanove, Naruto et Safine créent du contenu en direct sur Kick pour une communauté rassemblant plusieurs milliers de personnes. Si au départ le contenu était surtout tourné vers le jeu vidéo, il évolue rapidement vers du contenu beaucoup plus tendancieux. Humiliation, violences physiques et psychologiques, le collectif du Lokal entre dans une logique de surenchère pour chercher "le buzz". Des "mises en scène" assurent les avocats d'Owen Cenazandotti et Safine Hamadi, Maîtres Yassin Saoudini et Kada Sadouni. C'est pourtant assez pour que Mediapart décide d'y consacrer une enquête publiée fin 2024 mettant en lumière les dérives de la chaîne Kick de Jean Pormanove sur laquelle ce dernier est violenté physiquement. Ancien militaire, ce dernier est systématiquement pris pour cible des sévices infligés par ses partenaires. L'enquête de Mediapart est suffisante pour que le parquet de Nice ouvre une enquête pour "violences volontaires en réunion sur personnes vulnérables (...) et diffusion d'enregistrement d'images relatives à la commission d'infractions d'atteintes volontaires à l'intégrité de la personne". Sollicitée par Mediapart, la ministre Clara Chappaz ne réagira pas à l'affaire. Naruto et Safine sont placés en garde en vue puis relâchés et du matériel est saisi par la police.
Si de tels agissements sont diffusables en direct sur la plateforme Kick, c'est parce que la plateforme australienne a des règles extrêmement souples, beaucoup plus que son concurrent Twitch qui interdit par exemple la violence. Un business exrêmement juteux qui rapporte au groupe "au moins 13 500 € sur le mois de novembre 2024" selon Mediapart. Suite à la garde à vue, les membres du "Lokal" reprennent leurs activités et lancent notamment à partir de début août un marathon de direct, dont la 298ème heure consécutive sera fatale à Raphaël Graven.
Des réactions en chaîne
Suite au décès de Jean Pormanove les politiques et associations ont fait connaître leur indignation. La ministre Clara Chappaz a notamment qualifié "d'horreur absolue" la mort de Jean Pormanove et a déclaré avoir saisi l'Arcom au sujet de la réglementation de la plateforme Kick. Une action qui arrive trop tard pour beaucoup. Mediapart avance que la ministre n'avait pas donné suite à leur alerte 8 mois plus tôt et la Ligue des Droits de l'Homme fait savoir qu'elle avait déjà déposé un signalement auprès de l'Arcom : "on avait alerté sur le fait qu'il y avait des violences commises" sur des "personnes vulnérables" affirme Nathalie Tehio, présidente de la Ligue des Droits de l'Homme et ce sans réponse de l'instance en charge du contrôle de l'audiovisuel.
Les proches de Raphaël Graven ont également fait connaître leur point de vue dans les médias. Sa sœur déclare "qu’il n’aurait pas dû mourir comme ça" et que "ce qu’il a vécu est inacceptable." Les proches des streamers Naruto et Safine prennent position en faveur d'un accident sans rapport avec le contenu diffusé en direct. "On faisait pas mal de conneries, de défis mais c’était quand même assez contrôlé, scénarisé" explique Gwen, le frère de Naruto. Owen Cenazandotti et Safine Hamadi n'ont pas pris publiquement la parole depuis le mort de leur ami, si ce n'est pour annoncer son décès sur les réseaux sociaux. Owen Cenazandotti a simplement fait savoir par son avocat son intention de porter plainte pour cyber-harcèlement. Selon RTL il serait aujourd'hui réfugié chez sa grand-mère.
L'autopsie de Jean Pormanove, dans le cadre de l'enquête ouverte par le parquet de Nice, s'est déroulée jeudi 21 août. Les médecins légistes ont affirmé dans leur rapport que le décès n'avait pas été causé par un tiers. Il est précisé : "Les causes probables du décès apparaissent donc d'origine médicale et/ou toxicologique". Pour l'heure, il n'existe donc pas de preuve d'un éventuel lien entre la mort de Jean Pormanove et les actes de ses partenaires.
Légiférer au niveau transfrontalier
Désormais se pose la question de la réglementation pour contraindre les plateformes de diffusion en direct à mieux contrôler les images en direct. Nathalie Tehio, présidente de la Ligue des Droits de l'Homme déclare au micro de RCF et Radio Notre-Dame "On voit bien que la plateforme, dès lors que c'est médiatisé, elle arrête". L'avocate pénaliste plaide donc pour des mesures de contrôle de la part de tous les états européens, au sein desquels l'application de la législatio européenne diffère. "Les plateformes se moquent des frontières et donc de ce fait il faut absolument que l'Europe, qui a prévu un certain nombre de dispositifs, fasse que ça soit applicable et que chaque instance puisse agir rapidement et en accord avec les différentes instances. Puisque là, par exemple, dans ce cas-ci, il faut que l'ARCOM se mette en relation avec Malte pour appliquer et faire supprimer les vidéos." Sur franceinfo la ministre Clara Chappaz partage ces difficultés "Kick a attendu qu'il y ait un décès sur la plateforme pour désigner leur représentant légal en Europe. J'ai appris par exemple qu'ils ont 75 personnes en charge de la modération, mais aucune ne parle français."
Le contrôle des plateformes sera sans doute un des sujets de la rentrée politique. L'ancien Premier Ministre a fait savoir sur X sa volonté d'interdire les réseaux sociaux aux jeunes de moins de 15 ans et les conclusions de la commission d'enquête parlementaire sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs devrait rendre son rapport début décembre.


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