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La fin de Barkhane, "c’est l'échec de l'État malien"
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La fin de Barkhane, "c’est l'échec de l'État malien"

Un article rédigé par Baptiste Madinier - RCF, le 17 février 2022  -  Modifié le 17 juillet 2023

Que va-t-il se passer au Mali après le "retrait coordonné" des forces militaires confirmé ce jeudi ? Le spécialiste des questions de défense et de stratégie, Pierre Servent, ne se montre guère optimiste sur l'avenir de la région. Selon lui, avec le retrait de Barkhane, les djihadistes vont récupérer du terrain. Un échec qu'il attribue au Mali et aux autorités maliennes putschistes qui sont en place.

Image d'un soldat. ©Unsplash Image d'un soldat. ©Unsplash

La France, ses partenaires européens et le Canada ont confirmé ce jeudi 17 février le "retrait coordonné" des forces militaires au Mali. Retrait qui signe officiellement la fin des opérations militaires Barkhane et Takuba. La décision fait suite à la dégradation des relations diplomatiques avec la junte à Bamako depuis plusieurs mois. Aujourd’hui, l’avenir du Mali s’écrit donc en pointillé. De leur côté, Emmanuel Macron et ses partenaires souhaitent toutefois "rester engagés dans la région" sahélienne dans un format qui reste donc à définir.

 

Quelque 2.500 à 3.000 soldats français resteront déployés au Sahel au terme de leur retrait du Mali d'ici environ six mois contre 4.600 actuellement, dont 2.400 au Mali. Emmanuel Macron "récuse complètement" l'idée d'échec français. "Que ce serait-il passé en 2013 si la France n'avait pas fait le choix d'intervenir ? Vous auriez à coup sûr un effondrement de l'Etat malien", a assuré le chef de l’État.

 

Analyse de Pierre Servent, spécialiste des questions de défense et de stratégie, auteur de "Cinquante nuances de guerre" (éd. Robert Laffont, 2018).

 


 

Après neuf ans d’intervention française, le départ se déroule dans un contexte de vive tension. Les tensions communautaires dans le pays sont vives, l’ambassadeur français a été chassé par la junte au pouvoir et des mercenaires russes de Wagner sont présents dans le pays. On ne peut vraiment pas parler d’échec ?

 

Pierre Servent : Je pense que l'échec est l'échec du Mali et des autorités maliennes putschistes qui sont en place. Le problème ne concerne pas que la France puisque c'est l'ensemble de la communauté internationale, les Européens, les Français... On va voir ce que l'ONU va faire, et aussi les partenaires africains qui sont touchés.

Pour moi c’est l'échec de l'État malien qui a été totalement incapable ces dernières années, derrière les succès militaires importants de Barkhane, de rétablir la souveraineté, d'envoyer des instituteurs, des médecins, des gouverneurs fiables et surtout, qui a été incapable de rétablir le dialogue intercommunautaire. Aujourd’hui, vous savez qu'il y a des tensions ethniques extrêmement dures et violentes, notamment entre les Peuls qui sont suspectés, à tort ou à raison, d'être des soutiens des djihadistes et d'autres ethnies.

Par ailleurs, sur l'amélioration de la gouvernance de Bamako qui était une demande française et internationale depuis longtemps : nous sommes aujourd’hui à trois coups d'État en l'espace de 10 ans. C'est un État profondément corrompu et le problème, c'est que c'est la population malienne qui qui en paie les pots cassés.

 

Il n’y a pas eu de manquement côté français ?

 

Je pense qu'il y a eu certainement une erreur du côté français car il aurait fallu partir plus tôt, dès que les premiers mercenaires de Wagner ont mis le pied au Mali. Au final, c'est vrai que la sortie du Mali n'est pas infiniment glorieuse après l'éviction de l'ambassadeur de France à Bamako et l’arrivée de Wagner.

 

L’arrivée des mercenaires russes, c’était la ligne rouge qui a provoqué le départ français selon vous ? C’est la goutte d’eau en trop ?

 

Depuis des mois, nous sommes plutôt sur des trombes d'eau ! Wagner, ce sont donc des mercenaires qui sont surtout là pour protéger la junte et certainement pas pour combattre les djihadistes. Ils n'ont ni les capacités, ni le matériel, ni surtout la volonté.

Il faut rappeler que la France a dépensé pratiquement un milliard d'euros par an pour sa force militaire au service du Mali et du Sahel. Donc, il y a cette goutte d'eau et d'autres gouttes d'eau : des insultes absolument incroyables de la part de la junte malienne, comparant par exemple la Légion étrangère à des mercenaires ou des accusations selon lesquelles la France soutenait et finançait les djihadistes ou entretenait la partition du Mali.

Pour moi, c'est vraiment l'ensemble de la communauté internationale qui porte un regard extrêmement critique sur l'État malien. D’ailleurs, lors de sa conférence de presse, Emmanuel Macron était entouré du président en exercice de la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest), du président en exercice de l'Union africaine, et d'un haut représentant de l'Union européenne.

 

Le Mali a toujours été décrit comme un rempart à la venue du terrorisme au Maghreb puis en Europe. Ce paradigme est-il menacé aujourd’hui ?

 

Je pense qu'on peut s'inquiéter oui ! Malheureusement, avec le retrait de Barkhane et des Européens, on va voir la démonstration par défaut de tout ce que ces opérations ont apporté au Mali. Une fois qu'ils seront partis, tout va s'effondrer. Hélas, aujourd’hui, il est impossible de rester dans un pays, dans ces conditions-là, et c'est la population qui va payer le prix.

 

Donc c’est une victoire pour les djihadistes au Mali ?  

 

Non seulement les djihadistes vont récupérer du terrain, mais ils vont passer des accords. Une partie des groupes, notamment les Touaregs les plus radicalisés, vont passer des accords avec la junte qui est strictement incapable de faire face. C'est une armée qui reste très fragile.

En 2012, quand les groupes djihadistes sont passés à l'offensive, c'est une armée qui s'est effondrée immédiatement. Cela n'est pas dû d'ailleurs à un manque de courage ou de combativité des soldats, mais au fait qu'en général, dès qu'il y a une confrontation, les officiers partent en premier avec les véhicules et laissent les soldats derrière à pied. Donc c'est vraiment un problème de structure des élites locales qui sont défaillantes.

À terme, il va donc y avoir des reconstitutions de petits ou grands califats djihadistes, où la charia sera appliquée et où vous reverrez ce qu'on a vu sur Tombouctou, il y a une décennie.  Dans un premier temps, je pense que cette influence djihadiste va continuer de métastaser au Sahel, notamment dans les pays les plus faibles. Plus tard, si on assiste à la formation d’une sorte de sanctuaire djihadiste au Sahel, on peut craindre effectivement que certains cherchent à remonter vers le nord.

 

Les alliés ont clairement exprimé leur volonté de rester au Sahel, quelle forme va prendre la présence française et européenne ? Le Niger va-t-il devenir une nouvelle base arrière ?

 

Emmanuel Macron a rappelé que la France pouvait être une nation cadre sur le plan militaire pour aider les pays qui le souhaiteraient. Par exemple le Niger se dit aujourd'hui ouvert à la présence de la force Takuba, qui ne s’appellera plus Takuba. Globalement, les points d'appui dans la région sont assez nombreux : le Tchad, bien sûr, avec l'état-major de Barkhane qui va se restructurer, les avions de combat au Niger, avec notamment les drones, les forces spéciales au Burkina Faso et la Mauritanie a eu longtemps une très bonne coopération, très discrète, avec les forces spéciales françaises. Et puis la France a des éléments permanents au Sénégal, au Gabon, en Côte d'Ivoire. Maintenant il faut réarticuler tout cela.  

Il ne faut pas croire croire qu'on va avoir un Barkhane 2, 3 ou 4. Barkhane, c'est fini ! Takuba, tel que c'était, c'est terminé. Donc, il faut tout rebâtir étroitement avec les pays de la zone qui sont très inquiets de voir ce qui se passe au Mali. 

 

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