Les hommages se succèdent dans le monde entier après l’annonce de la mort du pape François, ce lundi 21 avril. En Alsace, de quelle manière sa disparition résonne-t-elle dans la communauté protestante ? Entretien avec Isabelle Gerber, présidente de l’UEPAL, l’Union des Eglises protestantes d’Alsace et de Lorraine.
RCF Alsace : Le pape François est mort, le week-end de Pâques, c'est un symbole très fort. Lorsque vous avez appris la nouvelle de son décès, quelle a été votre première réaction ?
Isabelle Gerber : La première réaction, c'était de se dire : c'est incroyable, c'est arrivé à pâques. Un homme d'espérance, un homme de foi qui a vraiment fait sa mission de pape jusqu'au bout. Je l'ai entendu à la radio pour ses salutations Orbi et urbi de la veille, et on voyait bien qu'il cherchait ses dernières forces. Jusqu'au bout, il aura tenu, et il aura tout remis entre les mains de Dieu le jour de Pâques. Moi, j'ai trouvé que c'était extraordinaire.
RCF Alsace : Et d'un point de vue pédagogique, pouvez-vous expliquer ce que représente le pape pour des chrétiens protestants ? Est-ce que c'est quand même une figure d'inspiration pour vous ?
I.G : C'est quelqu'un qui représente la grande famille catholique. Donc évidemment, c'est quelqu'un avec qui nous sommes en dialogue. Je suis moi-même luthérienne, cette confession “pont” entre le reste du protestantisme et le catholicisme. On se sent proche, on écoute, on lit avec intérêt. Alors bien sûr, on n'est pas toujours sur la même ligne. Mais en particulier, ce pape-là, on s'est senti proche pour un certain nombre de choses.
RCF Alsace : Un pape progressiste pour certains, un pape aux positions clivantes pour d'autres. Vous, Isabelle Gerber, que retiendrez-vous de sa personne ?
I.G : Je retiens quelqu'un qui est centré au cœur même de l'Évangile. C'est quelqu'un qui a défendu les petits et les sans-voix. Et pour moi, c'est ça être dans la suivance du Christ. Et il n'a pas eu peur de tenir cette position, parce qu'il n'avait pas que des amis précisément, comme vous l'avez dit. En restant dans la ligne du Christ, on ne peut pas plaire à tout le monde, on ne peut pas plaire aux puissants et on ne peut pas plaire à ceux qui oppriment les autres.
RCF Alsace : On dit aussi de lui qu'il était un pape évangélique. Comment cette notion résonne en vous ?
I.G : C’est cette proximité par rapport au message du Christ. Or c'est ça notre travail, ce n'est pas de maintenir des institutions. Elles sont là parce qu'elles sont des canaux pour transmettre. Sinon ça n'a pas de sens, nous sommes là pour transmettre le message du Christ et le rendre audible pour nos contemporains.
RCF Alsace : Et si vous deviez garder un moment en particulier de ces 12 années de pontificat, ce serait lequel ?
I.G : Je me souviens d'un discours qu'il a prononcé assez vite après son élection. Cette expression m'était restée, et je la fais mienne aussi, pour l'institution que je représente : “nous devons arrêter d'inventer des douanes pastorales”. Il voulait dire par là que ce n'est pas à nous de trouver des choses qui peuvent éloigner du Christ et de son message. Alors bien sûr, ces églises sont des vieilles dames et elles charrient une certaine histoire. Pour un fonctionnement, il faut des cadres, je ne dis pas le contraire, c'est ça une institution. Mais ce n'est pas notre travail premier. Nous sommes en train de renier le Christ si nous oublions les fondements. Et les fondements, c'est être auprès de ceux que la société méprise. Quand Jésus dit “les prostitués seront avant vous dans le royaume de Dieu” aux pharisiens qui sont face à lui, ça ne plaisait certainement pas à tout le monde et certainement pas à l'institution.
RCF Alsace : Et d'après vous, quels sont les axes de l'action du pape qui ont fait bouger les lignes durant cette décennie ?
I.G : Je retiens aussi un pape qui a écrit Laudato si'. Donc toute la question de l'urgence climatique. Chaque jour qui passe, nous prouve que le climat a changé et que nous sommes non seulement dans un réchauffement, mais dans un dérèglement climatique majeur. Si on ne se coordonne pas autour de ce combat, il n'y aura plus personne pour faire quoi que ce soit, on ne pourra juste pas survivre. Je retiens aussi quelqu'un qui a été dans une grande ouverture, sans oublier récemment son travail sur la synodalité. Pour nous protestants, c'est exactement comme ça qu'on vit l'église aujourd'hui et déjà depuis un petit moment. Je me dis que c'est juste, c'est-à-dire cette intuition de ne pas parler “sur les gens”, mais de les inclure, on ne va pas dire, “qu'est-ce qu'on pourrait faire pour la place des femmes dans l'église” sans inclure les femmes autour de la table.
RCF Alsace : Et à l'inverse, si vous aviez un regret à exprimer par rapport à une de ces prises de position ?
I.G : Il y a toujours une difficulté autour de ce qu'on appelle “l'éthique de principe” par rapport à une “éthique de situation”. Les positions sur l'avortement ne sont pas très audibles pour nous, parce qu'il y a des situations qui ne se ressemblent pas. On pourrait rajouter les problèmes de l'inceste, ce n’est pas audible pour nous de dire que la vie serait absolument à maintenir à tout prix. Il faut s'imaginer ce que cela veut dire, d'avoir en face de soi quelqu'un qu'il faut élever avec amour et qui vous rappelle les violences dont vous avez fait l'objet.
RCF Alsace : Et dans les prochains jours, les cardinaux du monde entier vont rejoindre Rome pour les obsèques du pape François. Parmi eux, 135 cardinaux électeurs, âgés de moins de 80 ans, prendront part au conclave pour désigner le futur pape. Selon vous, sur quel dossier le successeur du pape François devrait-il centrer son action ?
I.G : Alors déjà, j'espère que l'Esprit-Saint sera bien présent, car les cardinaux ont une lourde responsabilité. J’espère aussi qu'on ne sera pas dans un retour en arrière, ni un virage à 180 degrés, mais qu’il y aura là le souci de cet héritage de l’ouverture dans la synodalité et dans la proximité des plus petits. Et j'espère vraiment qu'on aura le souci de mettre au cœur les urgences du moment. C'est-à-dire, le climat, et ce que j'appelle l'urgence démocratique. On voit quand même fleurir des dictateurs, des gens qui n'ont que faire des contre-pouvoirs. Je pense que l'église doit défendre la démocratie, car elle a le souci de l'altérité, de la place de l'autre et de celui qui a une autre opinion que la mienne. Le débat contradictoire, mais avec courtoisie, sans violence. C'est un pouvoir qui limite son propre pouvoir, parce qu'on délègue aux gens, on organise des mandats qui ont une durée limitée et que nous sommes dans un état de droit. Et j'espère que le prochain pape aura ce souci puisque quand on est dans un dialogue fraternel entre nations, pas seulement entre concitoyens, cela permet de préserver la paix.
RCF Alsace : On souligne aussi son travail dans le cadre du dialogue interreligieux. Est-ce que c'est un chantier à poursuivre dans les années à venir ?
I.G : Absolument. Nous faisons toujours fausse route quand nous désignons en l'autre, parce qu'il est différent, puisqu'il a une autre croyance, une figure d'ennemi, c'est monstrueux. Et c'est vraiment, car on a appris et qu'en tout autre, on peut voir un frère ou une sœur. Donc oui, ce dialogue est à poursuivre absolument dans le même temps que le dialogue œcuménique entre chrétiens.
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