Inceste : oser parler pour briser le tabou
Parler d’inceste reste difficile, tant le sujet touche à l’intime. Pourtant, en moyenne, trois enfants par classe en seraient victimes, souvent au sein du foyer, dès l’âge de 7 à 8 ans, filles et garçons confondus. Témoignages.
© FreepikMalgré quelques affaires médiatisées, le silence demeure la norme. Seuls 5 % des pères et 6 % des mères portent plainte, tandis que 40 % des professionnels n’interviennent pas. La peur, la honte et le manque d’information nourrissent encore cette omerta familiale et sociale.
Briser le silence pour voir l’ampleur du drame
"Si un peu plus de 10 % de nos concitoyens déclarent avoir été victimes d’inceste, c’est probablement un minimum", rappelle Alain Grangé-Cabane, trésorier de l’association Face à l’inceste. Car, explique-t-il, "la honte et la peur enferment encore trop souvent les victimes dans le silence". Ces chiffres, loin d’être abstraits, traduisent l’ampleur d’un phénomène massif, longtemps ignoré. Pour Solène Podevin-Favre, membre du collège directeur de la CIIVISE (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants) et présidente de Face à l’inceste, la mise en lumière du problème est indispensable : "on ne peut pas résoudre un problème qu’on ne mesure pas". La CIVISE a recueilli près de 30.000 témoignages depuis sa création en 2020, dont 80 % concernaient l’inceste. Autant de voix qui, enfin, se font entendre.
Ça a fait exploser la famille.
Mais parler, c’est aussi provoquer des ruptures. Comme en témoigne Colette, auditrice de l’émission Je pense, donc j’agis : "j’ai appris après le suicide de mon fils qu’il avait violé ses deux sœurs. Mon mari a voulu se taire. Ça a fait exploser la famille". Ce drame illustre toute la complexité du sujet : dans l’inceste, la victime et l’agresseur appartiennent au même cercle affectif. La révélation du crime "fait voler en éclats l’équilibre familial", constate Solène Podevin-Favre, qui rappelle que seulement 6 % des mères et 40 % des pères osent porter plainte après la révélation de faits incestueux.
Nommer, protéger, réparer : un combat de longue haleine
Oser nommer. Pour Alain Grangé-Cabane, il faut appeler les choses par leur nom. "Ce n’est pas de la pédophilie, c’est de la pédocriminalité. Ce n’est pas une simple agression sexuelle, c’est de l’inceste". Nommer le crime, c’est déjà le combattre. Car, dit-il encore, "le silence ne profite qu’au criminel. La victime, elle, n’a rien à gagner à se taire". Mais les témoignages révèlent aussi une justice encore défaillante. "Il n’y a pas de justice" confie Anna, dont le fils de 4 ans a été abusé par son père. Après dix ans de procédure et 48 jugements, l’affaire s’est terminée par un non-lieu. "Nous avons été démolis". Des récits comme celui d’Anna, ou celui de Marie, dont la petite-fille de 17 ans a vu sa plainte classée sans suite, témoignent d’une même impuissance institutionnelle. "Une personne sur cinq seulement dépose plainte, et parmi elles, à peine 13 % des affaires aboutissent à une condamnation", souligne Solène Podevin-Favre. Elle milite pour l’instauration d’une ordonnance de protection immédiate de l’enfant, afin d’éviter qu’un enfant ne soit renvoyé chez son agresseur présumé pendant l’enquête.
Nous devons apprendre à écouter les gestes, les silences, les regards.
La CIIVISE a déjà formulé 82 recommandations, parmi lesquelles la reconnaissance de l’imprescriptibilité du crime d’inceste, car de nombreuses victimes, comme Charles, ne retrouvent la mémoire du traumatisme que des décennies plus tard. "Il m’a fallu 57 ans pour affronter ce passé", confie-t-il. Mais la vérité rend libre. Aujourd’hui, former les professionnels à repérer les signaux faibles, protéger les enfants dès la révélation, accompagner les victimes dans la durée : voilà les combats que mènent la CIVISE et Face à l’inceste. "Nous devons apprendre à écouter les gestes, les silences, les regards", insiste Alain Grangé-Cabane. "Un enfant ne parle pas toujours avec des mots". Le tabou se fissure, lentement. Mais comme le rappelle Solène Podevin-Favre, "parler, c’est déjà agir". Et chaque parole libérée est une victoire contre le silence qui protège les bourreaux.


Cette émission interactive présentée par Melchior Gormand est une invitation à la réflexion et à l’action. Une heure pour réfléchir et prendre du recul sur l’actualité, et pour agir, avec les témoignages d’acteurs de terrain pour se mettre en mouvement et s’engager dans la construction du monde de demain.
Intervenez en direct au 01 56 56 44 00, dans le groupe Facebook Je pense donc j'agis ou écrivez à direct@rcf.fr




