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"Heureux comme Lazzaro" d’Alice Rohrwacher

RCF,  - Modifié le 7 novembre 2018
Chaque mercredi Valérie de Marnhac vous propose une chronique sur un film qui sort en salles.

Aujourd’hui je vais vous parler d’un film italien, comme le nom de sa réalisatrice ne nous l’indique pas, puisqu’il s’agit du nouveau long métrage d’Alice Rohrwacher. Le cinéma en dit souvent plus long sur un pays que les seules actualités, et Heureux comme Lazzaro est à la fois un film politique et une fable sur l’Italie d’aujourd’hui.

L’action démarre au sein d’une communauté paysanne hors du temps, où vit le jeune Lazzaro, incarnation de la bonté absolue, mais que le bon sens populaire qualifierait plutôt d’« imbécile heureux ». Les paysans sont exploités par la propriétaire des lieux, la Marquise de Luna, dans une gigantesque supercherie qui leur fait croire au maintien du servage. A leur tour ils utilisent le jeune homme pour toutes leurs tâches quotidiennes ingrates. Mais l’amitié entre Lazzaro et le fils de la marquise va permettre de révéler l’escroquerie. Et Le film bascule alors, par une ellipse spectaculaire, au temps d’aujourd’hui, à la périphérie misérable d’une ville grise, où tous les protagonistes ont vieilli… sauf le jeune Lazzaro, intact !

L'histoire a été inspirée par un fait divers qui a bien eu lieu ! Mais effectivement le film est un conte, un voyage dans le temps et dans l’espace, qui laisse toute sa place à la poésie, aux mythes et à la nature. Mais qui dénonce surtout l’exploitation des hommes par les hommes, le passage d’une pauvreté matérielle archaïque à une pauvreté humaine moderne, encore pire.  Pour la réalisatrice, seule demeure l’existence d’une pureté et d’une innocence originelles que les hommes persistent toujours à refuser ou à détourner.

Le jeune acteur, non-professionnel, qui est la véritable révélation du film, apporte sa grâce et son visage d’ange au rôle. Son personnage de Lazzaro est authentiquement religieux, au sens étymologique de celui « qui relie », ici les personnes, les époques, les lieux. Et même si Alice Rohrwacher se dit non-croyante, on sent son film profondément enraciné dans ce pays catholique où les références culturelles sont nombreuses. Mais le regard qu’elle porte à travers Lazzaro sur la société italienne actuelle est plus sombre. Une société où les hommes se font embaucher aux enchères par les moins offrants et sont devenus incapables de reconnaitre les plantes comestibles qui poussent à leurs pieds !

Avec ce 3ème long métrage, Alice Rorhwacher confirme un vrai style et une filmographie bien à elle, qui nous rappelle quelques grands maitres, notamment du néo-réalisme italien, qu’il soit social et rural comme celui d’Ermano Olmi ou plus spiritualiste comme celui de Pasolini. Elle fait aussi le choix de rester fidèle à la pellicule 16mm. Ce qui donne un rendu très charnel et des lumières très naturelles. Elle dit enfin aimer découvrir ses rushes le soir, comme « le fruit d’un mystère et d’une rencontre entre la pellicule, le réalisateur et les acteurs ». Allez donc découvrir Lazzaro en salles et vous pourrez dire alors avec le poète « Heureux qui comme Lazzaro a fait un beau voyage ».

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