Frédérique Badoux : « Milo » et « Le Roi furieux », la voix des Celtes face au vacarme du monde moderne
Autrice passionnée par l’Histoire et la culture celte, Frédérique Badoux fait revivre une page oubliée de notre passé dans ses romans Milo et Le roi furieux. À travers l’odyssée d’un jeune Celte, elle nous invite à redécouvrir une civilisation où l’on vivait en harmonie avec la nature et où le pouvoir ne s’exerçait jamais trop longtemps.
©MartagonÀ travers une plongée minutieuse dans le Ier siècle avant notre ère, Frédérique Badoux met en lumière les destins de ces peuples celtes qui résistèrent vaillamment à la conquête romaine. Au cœur du récit, le jeune Milo, à peine quinze ans, rejoint le roi des Éburons, Ambiorix, pour défendre sa terre et son peuple. Leur combat est celui de l’identité, de la liberté, et d’une certaine idée du monde, face à une puissance conquérante et structurée autour de la domination.
Loin des récits héroïsants ou manichéens, Frédérique Badoux pose une question fondatrice : faut-il résister jusqu’au sacrifice ultime pour préserver sa culture, ou faut-il s’adapter, accepter l’assimilation pour garantir la survie de ses descendants ? Cette tension, au cœur de l’histoire de Milo, résonne étonnamment fort avec les préoccupations coloniales contemporaines. Le roman propose un regard nouveau sur une époque souvent résumée par le prisme romain, où l’on oublie trop souvent la richesse et la complexité des sociétés vaincues.
Ces deux romans ont eux-mêmes connu une destinée mouvementée. Initialement publiés en 2008, ils ont d’abord été victimes de mésaventures éditoriales, avant que leur autrice ne récupère les droits et ne parvienne, plusieurs années plus tard, à convaincre les éditions Martagon de leur offrir une seconde vie. Une « renaissance » à la fois symbolique et littéraire, tant le projet s’inscrit dans un travail de longue haleine. Frédérique Badoux a mis plusieurs années à rassembler les éléments nécessaires à la construction de son univers : un univers ancré dans l’Histoire, nourri d’archéologie, mais aussi traversé par les passions, les doutes et les rêves de ses personnages.
Aux origines : Tolkien et le souffle du mythe
C’est à l’adolescence que naît la vocation de Frédérique Badoux. Fascinée par les œuvres de Tolkien, elle s’interroge très tôt sur les racines mythologiques qui ont inspiré le maître de la fantasy. En découvrant que l’auteur du Seigneur des Anneaux puise abondamment dans les traditions irlandaises et galloises, elle se passionne à son tour pour ces mythologies celtiques, et finit par remonter à leur source : la culture des peuples celtes. À l’origine, elle s’était lancée dans l’écriture d’un roman de fantasy pure. Mais ce basculement vers l’histoire ancienne s’est imposé comme une évidence : pourquoi inventer un monde quand une civilisation réelle, aussi riche et mystérieuse, attend encore qu’on la raconte ?
La mythologie celtique est à la base de la fantasy
Et pour Frédérique Badoux, cette mythologie n’est pas un simple folklore : elle faisait pleinement partie de la réalité vécue des Celtes. L’imaginaire, le sacré et le quotidien s’y mêlaient sans frontière. Cette fusion entre mythe et réalité donne toute sa force aux romans, qui offrent une immersion totale dans un monde où les légendes structurent la vie.
Une nature respectée, un monde en mouvement
Ce qui la touche profondément chez les Celtes, c’est d’abord leur relation au monde naturel. Contrairement à la logique de notre modernité, les Celtes vivaient avec la nature, et non de la nature. Leur mode de vie, encore empreint de nomadisme, laissait la terre libre de se régénérer. Leurs maisons, éphémères, étaient conçues pour être abandonnées si nécessaire, et pour retourner sans violence à l’écosystème dont elles étaient issues. Pour Frédérique Badoux, imaginer cette symbiose, c’est retrouver une forme d’harmonie perdue. En arpentant les paysages de nos régions, elle aime à les rêver encore vierges, respirant au rythme des saisons, des fleuves et des forêts.
Cette attention à l’environnement s’accompagne d’une dynamique sociale particulière. Chez les Celtes, aucun pouvoir ne peut s’installer durablement : les hiérarchies sont constamment remises en question. Les jeux politiques évoluent au fil du temps, des alliances, et même des saisons. Ce mouvement permanent, presque organique, innerve la structure même du récit. Il rend palpable une société où la stabilité n’est jamais figée, mais vivante, en perpétuelle recomposition.
Des romans historiques portés par une quête initiatique
Le personnage central de cette fresque est Milo, un adolescent confronté à des choix plus grands que lui. À travers son parcours initiatique, Frédérique Badoux rend hommage à une tradition littéraire ancestrale, celle de la quête, de la construction de soi à travers les épreuves. Mais au-delà du destin individuel, c’est toute une société que le lecteur découvre en filigrane, avec ses codes, ses croyances, ses fragilités. En cela, Milo s’inscrit autant dans la lignée de la fantasy que dans celle du roman historique.
Ce récit de formation s’insère aussi dans une réflexion plus large sur la communauté. Chez les Celtes, il n’y a pas de pouvoir vertical, pas d’aristocratie figée. Ce qui fonde la reconnaissance, c’est l’honneur, le courage, la parole tenue. Ce modèle social plus horizontal, fondé sur la réputation et le mérite, tranche avec la verticalité et les rigidités de nos sociétés modernes.
Quand l’Histoire se construit à hauteur d’humain
Pour parvenir à cette reconstitution fidèle et sensible, Frédérique Badoux s’est livrée à un véritable travail d’historienne. Elle a exploré des archives, consulté des ouvrages spécialisés, collaboré avec des archéologues, participé à des reconstitutions historiques et bénéficié des ressources du musée des Celtes de Libramont. Cette rigueur documentaire donne une assise solide au roman, tout en permettant de s’écarter des clichés véhiculés par les textes de propagande romaine, à commencer par la Guerre des Gaules de Jules César.
Mais l’autrice a fait un choix subtil, plutôt que d’adopter un point de vue global ou idéologique, elle privilégie la narration du point de vue des individus. C’est à travers leurs regards, leurs émotions, leurs contradictions que l’Histoire se dessine. « Au niveau humain, les biais disparaissent », dit-elle. Et c’est sans doute là que réside la force de son écriture : dans cette capacité à créer des ponts entre les cultures, à faire surgir l’universalité à partir de la singularité.
Écrire pour dire le monde autrement
Au fond, cette fresque historique est aussi une forme d’utopie personnelle. Frédérique Badoux ne cache pas que l’écriture est, pour elle, une échappatoire, un moyen de composer avec un monde parfois difficile à accepter.
Écrire, c’est fuir un monde qui ne me convient pas, ou du moins dénoncer ce que je ne peux supporter
Ce qu’elle dénonce ? D’abord, notre rapport destructeur à la nature, mais aussi les structures de pouvoir autoritaires et centralisées, si éloignées de l’esprit celtique.
Elle admire chez les Celtes une pensée plus holiste, moins fragmentée, que l’on doit selon elle à la tradition orale. Une tradition fluide, vivante, mouvante, à l’opposé de l’écrit figé, contrôlé, hiérarchisé. Ce contraste entre l’oralité celte et l’écrit romain illustre à ses yeux deux conceptions du monde : l’une ouverte, l’autre dominatrice.
Frédérique Badoux n’envisage pas de prolonger l’histoire après la colonisation romaine. Si elle devait écrire un troisième tome, ce serait plutôt un préquel, un voyage encore plus lointain dans le passé celte, à la recherche des origines. Car ce monde englouti n’a pas fini de révéler ses secrets... ni de nourrir l’imaginaire de celles et ceux qui refusent de croire que l’Histoire s’écrit seulement du point de vue des vainqueurs.


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