Festival de Saintes : pour David Théodoridès, "le baroque, c'est le Woodstock de la musique classique !"
Du 12 au 19 juillet, l'Abbaye aux Dames organise la 54e édition du Festival de Saintes. Retour sur l'événement et les particularités de la musique baroque avec David Théodoridès, directeur général de l'Abbaye et codirecteur artistique du festival.
David Theodorides est le directeur général de l'Abbaye aux Dames depuis septembre 2021. @RCF17Créé en 1972, le Festival de Saintes est devenu une référence en matière d'événement dédié à la musique classique. De retour cette année pour une 54e édition, il accueillera 29 concerts, mais également des moments suspendus en-dehors, avec par exemple des "Bach and Breakfast" en plein air pour célébrer en public la musique classique, et plus précisément la musique baroque. Retour sur la programmation et sur ce registre bien particulier avec David Théodoridès, directeur général de l'Abbaye aux Dames, organisateur et co-directeur artistique du festival.
RCF : Le Festival de Saintes fête donc cette année sa 54e édition.
David Théodoridès : C'est ça, 54 ans d'histoire de la musique, d'amour de la musique. Il a été à l'origine de la redécouverte du mouvement baroque en France, qui déjà était très florissant dans d'autres pays européens. Quelques passionnés, qui voulaient sauver l'Abbaye aux Dames vouée à la destruction, ont eu l'idée de ce festival pour rendre à ce lieu sa beauté originelle, ce qui a permis sa rénovation, sa reconstruction et son inauguration avec François Mitterrand.
Depuis 54 ans, on explore tous les répertoires, toutes les formes les plus innovantes de l'interprétation musicale, avec des musiciens totalement inconnus qui faisaient leurs premiers pas en France, tels Jordi Savall, William Christie, Philippe Herreweghe, et qui aujourd'hui font des carrières internationales. Ce festival, c'est un goût pour la découverte, pour le partage, et aussi un esprit de convivialité, de proximité avec le public, ce qui est très important pour nous.
RCF : Que contient pour vous le terme de musique "baroque" ?
Le mot "baroque" vient du portugais barocco, c'est cette perle un peu irrégulière qu'on utilisait pour les bijoux que l'on portait à l'époque. Si on a donné ce nom à cette musique dès l'époque, c'est qu'elle était très innovante par rapport à la musique de la Renaissance, faite d'une forme de friction qui aboutit à un plaisir harmonique et donc on est sur une musique pleine de dynamiques et d'inventivité. Les compositeurs de l'époque, parce que la lutherie fait également d'énormes progrès, inventent de nouvelles formes d'écriture, de nouvelles façons d'utiliser les instruments.
C'est aussi la naissance et l'affirmation du clavecin. Tout ce répertoire foisonne d'inventivité et pose les cadres de tout ce que sera la musique occidentale dans les années à venir. Il y a dès le XVIIe siècle une simplicité, une approche de la musique d'une modernité extraordinaire, et c'est cela d'une certaine façon l'esprit de la musique baroque.
RCF : C'est la richesse de la musique baroque qui a mené à la création de ce festival en 1972 ?
Oui, et vous savez, dans les années 1970, quand on parlait de musique classique, on avait - pardon de le dire ainsi - des musiciens habillés en pingouins avec des noeuds papillons de vingt centimètres de haut, qui arrivaient sur une scène avec un chef portant une queue-de-pie magnifique et tout cela se faisait dans le froufrou des robes et des costumes des spectateurs et des musiciens. Puis, il y a quelques musiciens qui en ont marre de cet académisme et qui vont amener ce mouvement.
En quelque sorte, le baroque, c'est le Woodstock de la musique classique ! On est sur un mouvement underground, révolutionnaire, une volonté de casser les codes, et en même temps de retrouver la fraîcheur originale de ces répertoires, qui n'avaient plus beaucoup d'intérêt - à part d'être une musique d'ascenseur. On a redécouvert des répertoires avec une énergie, avec des musiciens qui ont été d'une créativité incroyable et qui ont rendu hommage à la beauté, l'inventivité, la créativité de ces compositeurs. C'est cet esprit qui nous fascinait à l'Abbaye aux Dames et c'est la raison pour laquelle on a choisi cette orientation d'une modernité incroyable, pour des répertoires pourtant souvent plus anciens que ceux interprétés à l'époque.
RCF : Quelles sont les têtes d'affiche de cette 54e édition ?
Il n'y a que des têtes d'affiche ! Je plaisante, mais c'est vrai que nous avons des musiciens qui, que ce soit en début de carrière ou à la plénitude de leurs moyens, font partie des plus innovants en matière d'interprétation aujourd’hui sur la scène européenne. Bien sûr, on pourrait parler des Arts Florissants, qui depuis 30 ans font un travail extraordinaire de redécouverte des répertoires. De Philippe Herreweghe, qui a tant apporté à la musique, à la fois baroque avec ses interprétations lumineuses de Bach et d'autres, mais aussi sur les répertoires romantiques, que ce soit de Mahler, de Beethoven...
On a vraiment des stars extraordinaires qui sont présentes et en même temps d'autres musiciens, comme Vincent Dumestre ou, évidemment, notre directrice artistique Ophélie Gaillard, qui, par un parcours moins starifié, ont apporté un regard nouveau, ont marqué de leur empreinte et influencé les générations qui viennent. Être musicien, c'est s'inscrire dans un courant, un fil, qui fait que, d'héritage en héritage, on apporte une pierre à l'édifice et on construit un temple : le temple de la beauté, le temple de la spiritualité.


Chaque jour de la semaine, un sujet d’actu avec un invité interviewé par chaque radio RCF de Nouvelle Aquitaine.
