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Le profil des néo-ruraux par la sociologue Danièle Hervieu-Léger

Le profil des néo-ruraux par la sociologue Danièle Hervieu-Léger

Un article rédigé par Constantin Gaschignard - RCF, le 5 avril 2023  -  Modifié le 17 juillet 2023
L'Invité de la Matinale Le profil des néo-ruraux, par la sociologue Danièle Hervieu-Léger

Les néo-ruraux, cela fait plus de 40 ans que la sociologue Danièle Hervieu-Léger les étudie. Autrefois il s'agissait d'individus poussés par la vague utopiste de l'après-Mai 68, qui s'installaient en Ariège, dans le Gard ou les Alpes-de-Haute-Provence. Aujourd'hui, les néo-ruraux s'installent un peu partout. Et leur profil a changé : ce ne sont plus des personnes qui se disent à la marge de la société mais des cadres, d'anciens DRH...

"Un certain nombre de néo-ruraux se sont installés, et sont devenus quelquefois maires de leur village, instituteurs ou facteurs". Vue plongeante de Millau (Occitanie), 2021  ©François Laurens / Hans Lucas "Un certain nombre de néo-ruraux se sont installés, et sont devenus quelquefois maires de leur village, instituteurs ou facteurs". Vue plongeante de Millau (Occitanie), 2021 ©François Laurens / Hans Lucas

"La distribution des néo-ruraux sur le territoire s'est extraordinairement élargie", constate la sociologue Danièle Hervieu-Léger. Deux de ses ouvrages, publiés en 1979 et 1981 mais d'une actualité aiguë, viennent tout juste d'être réédités*. "Une première enquête où nous nous étions intéressés (avec le sociologue Bertrand Hervieu, ndlr) au phénomène dit des néo-ruraux, c'est-à-dire ces personnes qui, souvent en communauté à l'époque, partaient dans les régions désertifiées du sud de la France pour constituer une société alternative", retrace-t-elle. 

 

"Nous étions dans les retombées de l'après-68. La vague contre-culturelle refluait, son horizon politique s'éloignait, et donc l'objectif était de pouvoir inventer un monde social alternatif en marge. Le rapport à la nature était avant tout une manière de sortir du monde social pour créer des conditions nouvelles", rappelle-t-elle, évoquant des "personnes dotées culturellement, qui avaient fait des études, des enseignants, médecins, intermittents du spectacle". "Les communautés phares ont toutes explosé en vol, mais un certain nombre de néo-ruraux se sont installés, et sont devenus quelquefois maires de leur village, instituteurs ou facteurs".

 

 

Nous avions découvert l'existence de groupes beaucoup plus invisibles qui vivaient déjà dans l'attente de la catastrophe écologique

 

 

"Deuxième volume, en 1981", poursuit méthodiquement l'ancienne présidente de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). "Nous avions découvert l'existence de groupes beaucoup plus invisibles qui vivaient déjà dans l'attente de la catastrophe écologique, dans une certitude apocalyptique", et qui "partaient non pas avec le projet de prendre pied dans les campagnes, mais avec le projet de créer les conditions de la survie dans un monde menacé".

 

Enquêtes d'une actualité saisissante

 

"L'éditeur nous a proposé de rééditer d'abord le premier, il y a quelques années, puis plus récemment les deux ensemble, pose-t-elle, tout simplement parce qu'on a vu arriver une demande autour de ces livres. Ils rencontraient une nouvelle phase de départ à la campagne, qui a couru à bas bruit pendant des années avant d'être effectivement très activée par l'expérience du confinement lié au Covid". La chercheuse note qu'il s'agit "beaucoup moins d'un retour à la nature que d'un retour à la campagne, au village, la sociabilité locale, une vie plus lente - largement rêvés, parce que vivre à la campagne, très souvent ça veut dire être continuellement sur la route en voiture", sourit-elle.

 

Profils nouveaux

 

En 40 ans, la géographie des néo-ruraux a sensiblement évolué. "Il y en a partout maintenant, pas seulement au fond de l'Ariège, dans les Cévennes et les Alpes-de-Haute-Provence", remarque Danièle Hervieu-Léger. Leur profil, aussi. "La morphologie sociale de ceux qui partent a aussi varié. Il ne s'agit plus seulement d'intermédiaires culturels un peu à la marge par rapport au système dominant. Vous avez d'anciens DRH, cadres financier, généralement plus dotés économiquement que les premiers immigrants."

 

 

C'est le politique qui menait à l'écologie. Aujourd'hui, c'est le contraire

 

 

Avec l'accélération du réchauffement climatique, les raisons de l'exode également ne sont plus tout à fait les mêmes. "Dans les années 70, ceux qui partaient avaient en tête une alternative politique", expose-t-elle, et "sur place, ils découvraient l'importance des questions écologiques". "Aujourd'hui, la motivation de ceux qui partent est avant tout un changement de modèle de consommation", soutient-elle. "C'est à partir de là que quelque chose d'une forme politique émerge". "C'est le politique qui menait à l'écologie. Aujourd'hui, c'est le contraire", théorise Danièle Hervieu-Léger.

 

*Danièle Hervieu-Léger, Bertrand Hervieu, Le retour à la nature en vue des temps difficiles, éditions de l'aube, 2023, 28 euros

 

 

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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