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Eric Serfass : « En Auvergne, le sujet de la corruption ne doit pas être tabou »

Eric Serfass : « En Auvergne, le sujet de la corruption ne doit pas être tabou »

Un article rédigé par Stéphane Marcelot - RCF Puy de Dôme, le 11 décembre 2025 - Modifié le 11 décembre 2025
L'invité actu AuvergneEric Serfass : "En Auvergne, le sujet de la corruption ne doit pas être tabou"

Trois mois après son arrivée à la tête du parquet de Clermont-Ferrand, ce spécialiste de la lutte contre le narcotrafic était ce jeudi l'invité de la matinale des antennes RCF en Auvergne. Entretien. 

Eric Serfass, procureur de la République de Clermont-Ferrand © RCFEric Serfass, procureur de la République de Clermont-Ferrand © RCF

Emmanuel Macron doit réunir de nouveau à l'Elysée ce jeudi les acteurs de la lutte contre les trafics de drogue dans le même format qu'une première réunion Le 18 novembre. Après le meurtre du frère du militant écologiste Amine Kessaci, plusieurs hauts responsables du gouvernement avaient parlé de « point de bascule ». Concrètement, qu’est-ce qui peut changer dans votre champ d’action ?

Localement, dans le Puy-de-Dôme, la consommation des drogues existe et n'est pas nouvelle. Et si on a vu en 2025 des manifestations particulièrement violentes, la consommation n'a pas non plus explosé cette année. Simplement, il y a une guerre des territoires, une guerre des marchés. Et effectivement, sur certaines villes comme Marseille, il y a des manifestations de violences particulièrement sauvages et inquiétantes. Et donc il y a une prise de conscience des politiques, mais aussi de l'ensemble de la société, sur le quoi faire pour pouvoir juguler le trafic de stupéfiants. À Clermont-Ferrand, cette année, il y a eu des manifestations de violences particulièrement sordides, qui sont aussi la conséquence d'opérations judiciaires réussies, qui ont déstabilisé le marché de la drogue. 

Marseille où le Président de la République a prévu de revenir la semaine prochaine. Il y a quelques jours, dans la cité phocéenne, un jeune majeur a été arrêté. Il est suspecté d'avoir commis en octobre un assassinat dans les quartiers nord de Clermont-Ferrand. Est-ce qu'il est lié à la DZ-Mafia, l'organisation criminelle ultra-violente qui sévit sur Marseille ? Est-ce que c'est avéré aujourd'hui ? 

Ce que je peux vous dire, c'est qu'il y a des investigations en cours. Il y a eu effectivement des faits criminels qui se sont passés à Clermont-Ferrand le 31 octobre dernier. La  juridiction interrégionale spécialisée de Marseille est saisie de cette affaire. Les mises en examen et les placements en détention provisoire qui ont été prononcés ont un lien avec l'affaire qui s'est déroulée le 31 octobre à Clermont-Ferrand. Mais je n'en dirai pas plus parce que les investigations sont en cours. Et qu’il y a un principe de secret de l'enquête, d'autant plus que le parquet de Clermont n'est plus saisi de ces faits-là. 

Clermont-Ferrand est une tête de pont aujourd'hui pour le trafic marseillais ?

Clermont-Ferrand, comme beaucoup d'autres grandes villes, est un lieu de trafic parce que c'est un endroit où il y a beaucoup de personnes qui achètent de la drogue pour la consommer. Ce sont des places à garder ou à prendre en termes de marché de la drogue, qui est un marché extrêmement lucratif. Et les grands acteurs du trafic de drogue, qui peuvent être à Marseille ou ailleurs, sont nécessairement intéressés par ce qu'ils peuvent rapporter comme affaire. Et pas forcément que sur Clermont-Ferrand d'ailleurs. 

Nous avons besoin de plus d'enquêteurs sur le narcotrafic

La lutte contre le narcotrafic, ce sont des interpellations rapides, parfois des flagrants délits. Mais à côté de ça, vous en faisiez mention, il y a des enquêtes de fond qui prennent du temps, qui visent à cibler des individus ayant une grande responsabilité. Qu'en est-il aujourd'hui depuis votre prise de fonction ? 

Lorsque des personnes sont interpellées sur un point de deal, un point de vente, cela donne lieu à des interpellations, gardes à vue et des procédures rapides comme les comparutions immédiates. Et puis, et c'est très important d'insister, il y a les enquêtes de fond, c'est-à-dire des enquêtes d'initiative qui peuvent démarrer à partir de renseignements et pour lesquelles pendant des semaines, voire des mois, il va y avoir une enquête secrète, contre X, qui va permettre d'investiguer sur les organisations ou l'organisation criminelle, le trafic de stupéfiants, qui est en place pour pouvoir mener ensuite, au bout de quelques mois, une opération judiciaire qui permettra des interpellations. Ces investigations, pendant cette période de plusieurs mois, sont menées notamment avec des techniques spéciales d'enquête, c'est-à-dire par exemple des écoutes, des surveillances et d'autres techniques qui sont, voilà, assez attentatoires aux libertés individuelles, mais qui sont permises par le code de procédure pénale, de manière à pouvoir identifier le plus haut possible, dans le trafic de stupéfiants, les commanditaires.

Et avez-vous suffisamment de moyens en la matière ?

La réponse est clairement non. Pour mener ces enquêtes qui sont très chronophages, il faut des enquêteurs de police judiciaire et aujourd'hui en France, comme dans notre région, nous avons besoin de plus d'enquêteurs sur le narcotrafic, sur la criminalité organisée et y compris sur la criminalité financière. Ce narcotrafic touche des jeunes et indirectement beaucoup de familles, tous milieux socios. Il y a des parents qui peuvent être pris de stupeur, apprennent que leur enfant baignent dans le milieu. Avez-vous des parents qui vous demandent de l’aide ? Il y a des parents qui contactent le parquet, les enquêteurs ou des services sociaux qui s'occupent des enfants, pour dire qu'effectivement, ils sont démunis devant le comportement de leur enfant qui est pris au piège du narcotrafic, avec des rémunérations qui sont évidemment hors de proportion avec le travail fourni, qui sont totalement illicites. Et pour des parents, c'est vraiment important de pouvoir repérer dès le début les premiers signes d'une implication dans le narcotrafic et de pouvoir, avec le soutien de tel ou tel organisme ou d'association, y mettre fin. C'est plus facile à dire qu'à faire, mais je pense que c'est une responsabilité des familles qui est vraiment importante. Après, on sait qu'il y a des familles qui sont plus ou moins en difficulté. Il y a aussi des femmes seules qui, en termes d'autorité par rapport à un adolescent, et ça arrive également aux pères, ont des difficultés. Ce n'est pas propre aux femmes. Il y a aussi des familles qui sont fragiles avec des adolescents qui peuvent ramener de l'argent. Et ça, c'est vraiment le piège dans lequel peut tomber la famille. Et plus on va attendre, plus ce sera difficile.

Sur la corruption, aujourd'hui, je mets le sujet sur la table 

Le narcotrafic, c'est de la violence, mais ce sont aussi des tentatives de corruption qui peuvent toucher les autorités, qui peuvent toucher les élus. On sait que les élections municipales pointent le bout de leur nez. Vous serez vigilant à ce sujet ? 

Les organisations criminelles ont une puissance financière très importante. Je rappelle que le chiffre d'affaires de la drogue en France, c'est entre 6 et 7 milliards d'euros. Et sur le Puy-de-Dôme, c'est des dizaines de millions d'euros par an. Et donc, entre la corruption et les menaces, effectivement, il y a un risque.

Avez-vous lancé un dispositif pour contrer ce fléau ?

Ce que je fais aujourd'hui, c'est que j'aborde le sujet, c'est-à-dire que le sujet de la corruption ne doit pas être tabou. Et donc dans des réunions, y compris des réunions avec toutes les institutions dans lesquelles j'interviens, je mets le sujet sur la table. C'est également un sujet qui a été abordé hier, par exemple, à l'Assemblée générale des magistrats. Nous en avons parlé parce que c'est un sujet qui peut concerner tous les acteurs qui représentent une autorité de l'État et qui ont une action possible contre le narcotrafic. 

Beaucoup de familles vont passer du temps ensemble dans les prochains jours, au moment de Noël, du Nouvel An, période où la vigilance est de mise face aux violences intrafamiliales. Que souhaitez mettre en place, vous, sous votre juridiction, pour lutter contre ces violences ? 

C’est un sujet de société absolument prioritaire, sur lequel, je dis très clairement, notre société a du mal. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, contrairement à ce qu'on pourrait croire, ces violences existent, y compris chez des jeunes générations. Et donc, le message de la justice, c'est que, d'une part, elle a une vigilance particulière, en termes de réponse pénale, en termes de services spécialisés, au niveau du parquet et au niveau du siège, et qu'il faut absolument inviter les personnes à signaler, à déposer plainte et à parler. C'est-à-dire que lorsque une personne, et on sait que la plupart du temps, dans la majorité des cas, ce sont des femmes, subissent des violences, même si ces violences ne sont pas d'une extrême gravité en termes de blessures, elles sont d'une extrême gravité par leur principe, et il faut déposer plainte. Et aujourd'hui, la manière de faire, le mode opératoire des policiers et des gendarmes a tout à fait évolué et est tout à fait réceptif à ces plaintes.

 

 

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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