Entreprises en difficulté : un accompagnement renforcé en Bretagne
L'Ursssaf Bretagne et les associations Apesa des Côtes d'Armor, du Morbihan et du Finistère viennent de signer un partenariat pour renforcer l'accompagnement psychologique des entrepreneurs en difficultés. Pourquoi ce rapprochement et qu'est ce qu'il change ? La réponse avec le grand témoin, de la rédaction Christian Blais, président de l'Apesa [Aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë] des Côtes d'Armor.
Photo de Mimi Thian sur UnsplashChristian Blais : C’est tout d'abord un renfort financier de notre organisation, de notre association, puisque toutes nos APA qui maillent le territoire français sont indépendantes financièrement. Ce sont des associations qui vivent des dons de leurs donateurs ou d'institutions tels que l'Urssaf. Cela va nous permettre de nous rassurer financièrement devant les contraintes que nous avons pour faire face aux prises en charge des entrepreneurs en difficulté.
D'autre part, ça nous permet de mailler avec l'Urssaf un lien, puisque notre organisation est basée sur un contact direct avec les chefs d'entreprise qui peuvent être en danger. Et l'Urssaf, bien entendu, par sa fonction est souvent en contact avec ses chefs d'entreprise. Donc, c'est un double but : nous rassurer financièrement, et d'autre part nous augmenter le nombre de sentinelles que nous avons, de gens qui sont directement en contact avec les chefs d'entreprise.
Ce partenariat avec l'Urssaf Bretagne prévoit la formation de quarante de leurs membres par l'APESA pour détecter les signaux. C'est donc cela les sentinelles, ça consiste en quoi très concrètement ?
Christian Blais : Nous avons sur le territoire un certain nombre de sentinelles, deux psychologues, et nous avons l'environnement nécessaire pour répondre aux difficultés. Les sentinelles sont formées par un psychologue spécialisé dans le suicide. Elles reçoivent une formation d'une journée qui leur permet de détecter la difficulté momentanée d'un chef d'entreprise.
La question essentielle est de dire : en fait, comment allez-vous ?
Lors de l'entretien, qu'il soit pour parler de leur entreprise, qu'il soit pour parler de leur difficulté économique, en fait, quelle que soit la raison, on voit la difficulté du chef d'entreprise devant la situation qu'il rencontre et la question essentielle est de dire : comment allez-vous ? Et à ce moment-là, le dialogue s'enclenche éventuellement sur sa difficulté psychologique du moment.
S'il en est d'accord, et en respectant les règles du RGPD, s'il en est d'accord, nous établissons en tant que sentinelle une fiche alerte. Cette fiche alerte est une fiche normalisée qui permet de reprendre un certain nombre de renseignements et qui lui demande de bien vouloir la confirmer d'une part et d'autre part, nous lui demandons s'il est d'accord pour que nous entrions dans le processus d'aide à cette difficulté.
S'il en est d'accord, la fiche est transmise à un organisme à Nantes qui s'appelle RMA qui est une plateforme de psychologues formés aux risques suicidaires et qui ont la mission d'appeler la personne qui a été détectée. La grande différence que nous avons, c'est que nous allons vers la personne en difficulté, nous n'attendons pas qu'elle appelle ou qu'elle réagisse. La RMA, en fait, en règle générale intervient dans l'heure qui suit l'émission de la fiche alerte. Et ensuite, après cet entretien assez long avec une psychologue, ça peut durer une demi-heure, trois quarts d'heure, une heure, la psychologue détecte réellement le risque suicidaire et adresse ou du moins choisit sur le territoire un des psychologues qui a été sélectionné par APESA.
Nous avons sur le territoire des Côtes-d'Armor 31 psychologues sélectionnés et obtient pour cette personne là un rendez-vous très rapidement, dans la semaine, voire moins. C'est-à-dire que notre credo, c'est la rapidité de mise en place du dispositif pour éviter justement ce risque.
On sait que les chefs d'entreprise ont souvent la tête dans le guidon quand ils connaissent des difficultés, c'est encore plus complexe. Est-ce un frein à la mise en place à temps de de vos actions ?
Christian Blais : Oui et non, c'est-à-dire que il est évident qu'un chef d'entreprise qui pousse la porte du tribunal de commerce, c'est un des freins certainement. Mais il est évident que la personne qui va au tribunal de commerce pour porter son dossier, pour prendre, je dirais, secours auprès du tribunal de commerce, peut s'effondrer. C'est d'ailleurs dans ce cadre que s'est créée la première APESA, en septembre 2013 au sein du tribunal de commerce de Charente-Maritime. C'est de là qu'est partie l'idée en disant : "Eh bien, si on créait quelque chose pour les accueillir rapidement, gratuitement, confidentiellement, on ferait un pas extraordinaire au niveau d'abord de la personne."
L'autre source en ce qui nous concerne, ce sont les des salariés de notre chambre de commerce qui sont sur le terrain. Chacun, chacune spécialisée dans un métier, certains plus spécialistes du bâtiment, d'autres de la restauration, de l'hôtellerie, et cetera, et qui en rencontrant une personne de ce secteur d'activité, peuvent détecter sa fébrilité et sa souffrance. Donc, vous voyez qu'à partir du moment où nous avons comme sentinelles des gens très proches du terrain, très en direct avec les entreprises, eh bien, nous détectons les les faiblesses des chefs d'entreprise de notre territoire.
Dans les Côtes-d'Armor, l'APESA a été créée en 2019, c'était en 2017 pour le Morbihan et le Finistère. Qquel regard vous portez sur l'évolution des situations auxquelles vous avez été confronté auprès de ceux et celles que vous avez accompagnés dans ces difficultés ?
Christian Blais : Nous sommes liés fortement à la situation économique quelle que soit la période, avec depuis notre création 2019, des faits nationaux ou internationaux qui ont marqué la vie économique de nos entreprises. On pense naturellement à la crise Covid qui a qui nous a fait craindre fortement à un moment une recrudescence des alertes.
Mais, comme il fallait à tout prix, comme disait le Président de la République, sauver l'économie, la crise est apparue après. C'est-à-dire que la mise en place des des prêts a à un moment freiné les difficultés économiques. Ceci étant dit, nous avons connu ensuite l'explosion au moment où il a fallu commencer à rembourser les prêts garantis par l'État.
Les années 2019, 2020, 2021, ont été relativement calmes par rapport aux moyennes nationales des autres APESA, c'est-à-dire que nous avions environ 20 fiches alertes. Par contre, nous avons connu un pic en en 2023 avec 63 fiches alertes et nous sommes actuellement sur des bases de 50 fiches alertes, ce qui est quand même beaucoup, et qui nous oblige à faire extrêmement attention à la gestion de notre association et surtout à l'obligation que nous avons de trouver des donateurs généreux pour que nous puissions faire face à chacune des prises en charge.


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