Dominique Folscheid, professeur émérite de philosophie morale et politique, dépeint les événements de notre époque en faisant référence à un personnage de premier plan, le Président de la République française, vu par un fabuliste bien connu. "En même temps", quand Jean de La Fontaine raconte Emmanuel Macron est un livre paru aux éditions du Cerf.
C'est les deux. Fabrice Lucchini avait diffusé les fables par la radio durant la pandémie. Il a cité un vers qui avait toute son importance dans le contexte : “la raison d'ordinaire n'habite pas longtemps chez les gens séquestrés”. Cet extrait a attiré mon attention car à cette période où le confinement était en vigueur, tout le monde s'était précipité sur les fables et sur La peste de Camus.
Macron aura eu à affronter plusieurs "pestes" durant son premier quinquennat.
Or, la pandémie était une peste au sens où Jean de la Fontaine l'entendait, c'est-à-dire dans sa considération antique, un trouble générique auquel on donne le nom de “peste”, mais qui peut ravoir un aspect symbolique aussi. Macron aura eu à affronter plusieurs "pestes" durant son premier quinquennat (la Covid, la guerre que nous menait l'islamisme, la peste des antivax et puis la peste russe à la fin avec l'invasion de l'Ukraine). En regardant cette fable de la peste de très près, je me suis aperçu qu’elle ne tenait pas debout à première vue. Ça commence par : “Tous les animaux étaient frappés, tous ne mourraient pas” ; ça se termine tout à fait autrement : “Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous feront blanc ou noir”. Donc c'est une fable étrange dont le secret est finalement dans une autre beaucoup moins connue…
Cette approche n'était pas possible parce que le Macron que nous connaissons est très inspiré par Mitterrand, mais il a fait exactement l'inverse de ce dernier. Mitterrand s'était illustré à la fin de son mandat par sa célèbre formule « ni privatisation, ni nationalisation». L’initiateur de la République en Marche a inversé la chose dans un effet «et, et», donc du “en même temps” ! Tout est parti de l’expression “en même temps” qui convenait bien à notre époque.
La chauve-souris et les deux belettes, est une fable amusante qui se termine par une leçon politique. Le côté amusant, c'est qu’il s’agit d’un animal monstrueux qui est biface, d'où l’expression “en même temps” qui a été inventée par La Fontaine, et non par Emmanuel Macron. La fable démarre par deux belettes qui voulaient dévorer la chauve-souris. Elle décide alors d’aborder la première : “Je suis oiseau, voyez mes ailes” ; à la seconde belette elle dit : “Je suis souris, vive les rats”. Revenons à l’époque de La Fontaine, sous le règne de Louis XIV, pour mieux en comprendre toute la portée. Au 17e siècle, la Fronde a lancé les hostilités contre le pouvoir royal. Le fabuliste conclut alors ceci :”Le sage dit, selon les gens, vive le roi, vive la ligue”. Une invitation à ne pas choisir son camp et à préférer le “en même temps” ! C'est bien une fable politique, et je pense que la chauve-souris convient mieux que la comparaison – pas très gentille – de l’ex-président François Hollande de la grenouille qui saute de place en place.
En réalité, je pense que la chauve-souris représente davantage ce que Macron a voulu faire en occupant “l'extrême centre”, un “extrême centre” actif. Pourquoi ? Déclinons la fable d’Ancien Régime dans le contexte des présidentielles de 2022. Emmanuel Macron, candidat à sa réélection, a éliminé les belettes qui voulaient sa peau, et personnifiées par deux femmes : Marine Le Pen du Rassemblement National, et Valérie Pécresse, candidate pour Les Républicains. Lors de sa première élection en 2017, il avait usé de ce même stratagème en éliminant le parti socialiste, et le parti Les Républicains. Finalement, il a repris exactement le discours que la Fontaine faisait tenir à la belette : aux gens de droite que faisaient rebuter ses ailes de gauche, il a exhibé ses poils de rat ; à ceux de gauche qui voyaient en lui un rat de droite, il a fait valoir ses ailes d'oiseau de gauche. Une tactique gagnante pour lui dans les deux cas.
Pour Jean de la Fontaine, la fable n'est pas que fable de fabuliste. Ce sont des fables qu'on qualifie de moralistes. D’une certaine manière, comme le soulignait André Siegfried : il était notre Machiavel à la française. Il y a chez ce fabuliste natif de Château-Thierry du philosophe et du politique. En comparant les hommes à des animaux, il veut dire qu’ils sont un peu des animaux comme les autres avec un caractère constant. Quel que soit le moment politique dans lequel nous nous situons, il se trouve que le caractère des hommes va peser sur la manière dont ils vont gérer les événements. Et le plus amusant, c'est qu'à l'époque de la Fontaine, on a connu une série d'événements historiques presque contemporains. En 1661, il y a eu l'invasion de l'Ukraine par le tsar Alexis Ier, puis l'invasion de la Pologne. Il y a eu également des conflits avec l'Empire Ottoman. L'histoire se répète. Les ambitions d’Emmanuel Macron d’être le président de l’Union Européenne dès le 1er janvier 2022 n’a que peu de différence avec le désir de Louis XIV qui se voyait empereur du Saint-Empire romain germanique.
Sous couvert de la maladie, de nombreux maux de notre société ont remonté à la surface. C'est une cause accidentelle. Donc, c'est un phénomène, disons, apocalyptique au sens grec du terme, c'est-à-dire dévoilement. Tout cela montrait que nous étions en fait un véritable bouillon de culture, mêlée d'inculture. On a vu reparaître aussitôt tous les anciens démons de la Seconde Guerre mondiale. On s'est mis à parler de résistance à propos de la lutte contre la vaccination. Certains évoquaient la “libération” en anticipant la fin de la pandémie. Des élus se sont vus “nazifiés”, le président n’a-t-il pas été “hitlérisé” ? Cette réalité nous rappelle que quand survient une crise majeure, la tendance est à chercher un bouc-émissaire. Ce fauteur de trouble, il faudra le sacrifier pour que la paix revienne. Une paix tout à fait provisoire qui évidemment ne durera pas.
Il a effectivement beaucoup atténué son “en même temps”. L'exemple type, c'est son comportement à l'égard du conflit entre la Russie et l’Ukraine. Son attitude va contre la Russie. Puis, du côté des relations avec l’Amérique, il préfère ne pas fâcher Donald Trump à qui il téléphone presque quotidiennement. On peut comprendre cette manière d’agir sachant qu’avec un Premier ministre de plein exercice, il se retrouve dans un rôle de politique internationale. Dans ce domaine il a proposé en avril 2025 la reconnaissance d’un Etat palestinien en y mettant des conditions qui ressemblent plutôt à des promesses verbales. Une autre leçon de la Fontaine vient ici à point : la fable du berger jouant de la flûte pour essayer d'apprivoiser les poissons, séduire la bergère et lui permettre d’en remplir son filet. Pourtant, les poissons ne se laissèrent pas séduire. Macron a essayé de séduire. En conclut la Fontaine : la puissance fait tout. "Que vous soyez puissant ou misérable, les jugements de cour vous feront blanc ou noir”.
Non, je ne l'ai pas envoyé. J'ai hésité. Bien que je sois plus aimable que d’autres à son égard, je lui donne un caractère sacrificiel qui, sans doute, ne lui aurait pas plu. Cela dit, cet aspect sacrificiel pourrait expliquer les raisons d’un déclenchement de haine tout à fait étrange à son égard. Parce qu’à travers ce récit, il y a un fil noir : pourquoi tant de haine ? C’est comme s’il fallait que tous les maux de la société française finissent par trouver leur responsable. Le président n’a d’ailleurs pas échappé à plusieurs atteintes à son intégrité physique. Je pense que sa dimension personnelle est passée au second plan. C'est un personnage très mystérieux, il y a une énigme Macron.
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