Élection du Pape Léon XIV : entretien avec Monseigneur Jordy

RCF Touraine - A 18h08, jeudi soir, la fumée blanche est sortie du toit de la chapelle Sixtine, à Rome. Qu'est-ce que vous avez ressenti à ce moment-là ? Et puis, après avoir vu notre nouveau pape Léon XIV au balcon ?

Les journalistes et les grands experts avaient tous dit 'ce ne sera pas un Américain' 

Monseigneur Vincent Jordy - Moi, je ne risque pas d'oublier parce qu'il se trouve que j'étais à Argenteuil, dans le diocèse de Pontoise, dans le cadre des ostensions de la Sainte Tunique du Christ. J'avais été invité par l'évêque Mgr Benoît Bertrand, vice-président de la Conférence des évêques de France. J'étais dans ce lieu tout à fait splendide avec énormément de monde. Il y avait une queue de 400, 500, 600 mètres de fidèles, très calmes, joyeux, qui venaient vénérer la Sainte-Tunique. Et nous devions célébrer à 19h. Et puis, avec le recteur, qui est un homme prévenant, nous avions posé l'hypothèse de l'élection du pape. Et donc nous avions évoqué plusieurs scénarios. Que faisions-nous si 10 minutes avant de commencer à célébrer, il y avait la fumée blanche ? Que faisions-nous si on avait l'annonce pendant la messe parce qu'on savait bien que ça provoquerait un peu de tumulte ? Parce que les gens regardent un peu leurs notifications, même pendant une messe. Ça arrive, oui. C'est une discipline qu'on n'a pas encore vraiment réussi à maîtriser. Le fait que la fumée soit sortie à 18h08, ça nous a vraiment permis, je dirais, d'entrer pleinement dans la joie. Les cloches ont sonné. Très gentiment, le vicaire général diocèse m'a même appelé pour me faire écouter les cloches de la cathédrale chez nous à Tours. Nous avons partagé la joie d'avoir un nouveau pape. Et puis, il y avait énormément de monde qui était là à Argenteuil, parmi eux le préfet de région, la présidente de région, Mme Pécresse, beaucoup d'élus, des autorités civiles et militaires. Tout le monde s'est mis à attendre sur le parvis, où il y avait deux écrans géants. Et nous avons patiemment attendu, en spéculant un peu. C'était le moment où chacun y allait de son hypothèse. Est-ce que ce serait un pape français ? Est-ce que ce serait un Italien à nouveau ? Tout le monde avait, je crois, été résigné sur le côté des Américains, puisque les journalistes et les grands experts avaient tous dit « ce ne sera pas un Américain ». Nous avons eu un petit peu une surprise, comme avec Jean-Paul II. Avec François aussi, d'une certaine manière. Ce qui nous faisait aussi échanger avant l'arrivée de Léon XIV au balcon de Saint-Pierre, c'était le fait que c'est allé assez vite, finalement. Un tour d'élection le premier jour et puis le deuxième jour. Alors est-ce que ça a été le troisième ou quatrième scrutin qui a amené l'élection ? Il y a certainement  eu un mouvement très fort vers la figure de Léon XIV. Et puis nous l'avons vu arriver...

RCF Touraine - Cela veut dire qu'il y avait de l'unité parmi les cardinaux ? On dit qu'ils ne se connaissaient pas très bien.

Mgr V.Jordy - Vous savez, le jeu médiatique c'est un peu de jouer sur la confrontation et le clivage. Alors que j'avais lu un article d'un théologien américain, Cavanaugh, que j'aime beaucoup, qui disait lui-même « on joue beaucoup et on exagère les divisions » . Bien évidemment, il y en a, mais on est d'abord tous au service de l'Église. Donc je pense que l'unité est beaucoup plus forte que les différences qui peuvent exister, légitimes. Dès que nous avons entendu le prénom du nouveau pape, quelques-uns d'entre nous qui connaissons un peu le Collège des cardinaux, nous nous sommes dit : oui, c'est lui, cet Américain que nous connaissons, qui est un homme discret, humble, presque effacé. Mais en même temps, qui est un homme qui a un parcours tout à fait intéressant et qui, surtout, est un homme qui maîtrise très bien ses dossiers. Et donc, ça nous a plutôt rassurés et réjouis en même temps. Et il est arrivé au balcon de Saint-Pierre. On a aussi vu qu'il avait repris les attributs pontificaux. Qu'est-ce que ça signifie ? Beaucoup vont commencer à interpréter. Mais, c'est quelqu'un qui était très proche du pape François, il ne faut pas se leurrer. C'est le pape François qu'il avait rencontré lors d'un voyage au Pérou, qui avait eu un échange personnel avec lui assez long. Et c'est lui qu'il avait appelé pour être responsable d'un des dicastères les plus importants, un des ministères du pape : celui qui fait le choix des évêques et des nominations des évêques. Donc, c'est un lieu absolument essentiel dans la vie de l'Église.

RCF Touraine - L’arrivée du nouveau pape au balcon était très émouvante.

Mgr V.Jordy - Oui, C'était très émouvant. J'échangeais avec mon frère Mgr Benoît Bertrand de Pontoise et on se disait, nous qui savons un tout petit peu dans nos responsabilités que parfois, les choses peuvent être émouvantes et signifier aussi du poids et de la responsabilité. Son émotion montre aussi toute son humanité, toute sa capacité à se laisser toucher. Vous savez, le pape François avait dit, la foi, “c'est un tressaillement en nous”. Il y a un tressaillement de l'émotion, aussi, de la mission qui est donnée.

RCF Touraine - Votre sentiment sur le choix du nom ?

Mgr V.Jordy - Ça signifie un lien, une filiation, souvent. Le prénom du pape, qui est choisi, dit quelque chose. Alors, on sait que Léon XIII, c'était un grand pape de la fin du XIXe siècle, avec le souci du catholicisme social. C'est quelqu'un qui a construit une partie de la doctrine sociale de l'Église, sur la protection du monde ouvrier, sa pénibilité, ses droits. C'est quelqu'un qui a aussi renouvelé profondément les études de théologie. En donnant Saint Thomas d'Aquin comme maître de théologie dans une encyclique qui s'appelle Aeterni Patris, en renouvelant les études d'exégèse et de théologie. Et c'est quelqu'un qui a fait des grands textes aussi sur le rapport politique entre l'Église et la société, sur la liberté, sur la place de l'Église, dans la société. C'est un peu un programme qu'il nous a donné là, une certaine filiation sociale. Et puis, on a aussi entendu son message de paix. La paix pour le monde, la paix pour les états, la société, puis la paix dans le cœur, la paix dans les familles.

RCF Touraine - Il a précisé Mgr Jordy aussi, le mal ne gagnera pas.

C'est un homme de pondération, un homme de médiation, un homme de sagesse.

Mgr V.Jordy - Le mal ne gagnera pas, parce qu'il a annoncé cette paix dans la lumière de Pâques et donc de la victoire du Christ. Le Christ est vainqueur du mal par sa résurrection. Donc, c'est aussi un message, il a parlé de mission, d'évangélisation. Je vous rappelle qu'il est né aux États-Unis, dans une famille de classe moyenne. Il a un père qui est d'origine française. Il ne parle pas très bien le français, mais il le comprend. Avec la présidence de la Conférence des Évêques de France, nous allons souvent à Rome pour des rencontres dans les dicastères, et j'ai rencontré le cardinal Prévost. C'est un homme qui est né à Chicago, qui a fait des études de mathématiques et de philosophie. Il a un esprit certainement très structuré. Et puis, Il est rentré chez les Augustiniens, qui est un ordre religieux, avec la figure de Saint-Augustin, qui est un des grands théologiens de l'Église, qui a beaucoup réfléchi sur le rapport entre la Cité terrestre et la Cité céleste. Il a été responsable de son ordre religieux et est parti aussi en mission au Pérou, où il a fondé d'ailleurs une paroisse. Il a été missionnaire, évangélisateur, fondateur. Le pape François l'avait nommé ensuite évêque au Pérou. Et c'est là que le pape l'a rencontré, lorsqu'il a fait une visite pastorale au Pérou, où il y avait de grosses difficultés dans l'épiscopat et où la sagesse de Mgr Prévost a fait, je crois, beaucoup de bien. C'est un homme de pondération, un homme de médiation, un homme de sagesse. Je crois qu'il y a là quelque chose, une figure que nous avons vue au balcon de Saint-Pierre,  qui exprime la paix, l'universalité. Un homme à la fois américain, mais qui a vécu en Amérique du Sud. Cela veut dire aussi que la dimension universelle de l'Église va être assumée certainement de manière très forte, comme avec le pape François.

L'Archevêque de Tours célébrera ce vendredi 9 mai 2025 à 19h une messe d’action de grâce en la cathédrale Saint Gatien.