Le laborieux accompagnement des jeunes alsaciens catholiques
Les JMJ diocésaines ont rassemblé près de 160 jeunes catholiques de toute l’Alsace le week-end dernier. Un chiffre peu élevé pour un diocèse qui porte deux villes étudiantes, une certaine attractivité auprès des jeunes actifs et une culture chrétienne encore vivante. Au-delà du nombre, les activités se poursuivent sans équipe dédiée. Décryptage.
Aumôniers lors des JMJ diocésaines 2025 - Diocèse de Strasbourg / DRDepuis le départ du dernier salarié il y a 3 ans, il n’existe plus de service spécifique ni de personnes dédiées à l’accompagnement des jeunes adultes sur l’ensemble de l’Alsace. A la place, des initiatives locales ou des personnes nommées pour organiser des rassemblements ponctuels. Temporaire d’abord, cette manière de faire tend à se pérenniser.
Des équipes tournantes au service d’une certaine vitalité
“Nous n’avons en effet pas de service ni de vicaire épiscopal dédiés pour la pastorale des jeunes”, confirme Marie-Antoinette de Gasquet. Avant de changer de mission au sein du diocèse à la rentrée 2025, cette laïque de 53 ans s’est occupée de l’accompagnement des adolescents et des jeunes adultes au sein de l'Eurométropole de Strasbourg pendant 8 ans, dont 3 passées comme accompagnatrice au sein de la précédente équipe diocésaine pour les jeunes adultes. “Lorsque nous sommes arrivés, nous avions entendu que la logique était plutôt de donner carte blanche aux paroisses et aux bonnes volontés pour proposer des choses”, se rappelle Don Vianney Colin, prêtre de la communauté Saint-Martin installée à la paroisse des Portes de Mulhouse depuis 2021.
La pastorale actuelle s'organise ainsi autour de grands événements rassembleurs et ponctuels comme les JMJ diocésaines qui fonctionnent comme une sorte de tremplin vers les rassemblements d’Eglise plus larges tels que le Jubilé à Rome l’an dernier ou les JMJ de Séoul à l’été 2027. “Cela peut donner ensuite aux jeunes l'envie d'aller se former dans leur paroisse ou sur un certain nombre de sujets plus en local, justifie Marie-Antoinette de Gasquet. Cela leur permet aussi déjà de créer un réseau et de connaître les prêtres qui peuvent être disponibles pour eux.”
En l’absence d’une présence de coordination plus globale, les organisateurs successifs tentent donc de tuiler au maximum entre eux. Marie-Antoinette y voit même une certaine opportunité: “Ne pas forcément avoir une équipe fixe oblige chacun à faire un réseau. ”
Persistance des problèmes de communication
Août 2023. Le jeune salarié de l’équipe diocésaine des jeunes adultes vient de partir sans que soit prévu un successeur. Le siège de Strasbourg est vacant, l’archevêque ayant démissionné 5 mois plus tôt. Un petit groupe composé d’étudiants ayant participé aux JMJ de Lisbonne (120 participants) décide alors de monter des JMJ diocésaines qui réunit à Strasbourg cette année-là une cinquantaine de jeunes, principalement originaires du Haut Rhin. L’équipe de la zone pastorale de Strasbourg dont fait partie Marie-Antoinette de Gasquet les soutient alors dans la logistique, avant d’être chargée par l’archevêque d’organiser le rassemblement l’année suivante (140 participants), ainsi que le Jubilé à Rome (200 participants).
En 2025, c’est à l’équipe du doyenné de Mulhouse que l’organisation échoit. L’ancienne responsable de l’événement reconnaît des difficultés indéniables à ce type d'organisation : “Nous n'avions pas vraiment de réseau diocésain pour pouvoir toucher les jeunes de Mulhouse et de Colmar.” Problème que tempère Don Vianney Colin, aumônier des étudiants mulhousiens et chargé de l’organisation des JMJ diocésaines de 2025 (160 participants) : “C’est à la fois un manque sans être la cata. En termes de communication entre aumôniers de jeunes, cette situation ne facilite pas le travail. Mais les voies institutionnelles ne sont pas non plus les plus efficaces pour faire venir les jeunes. Le bouche à oreille fonctionne bien mieux.”
C'est un manque, sans être la cata.
Comme pour lui donner raison, Tiana* explique qu’elle a “les infos des rassemblements diocésains par le groupe Whatsapp des participants des JMJ de Lisbonne”. Depuis 3 ans, cette jeune enseignante originaire d’un village bas-rhinois où elle est la seule paroissienne de moins de 50 ans ”ne rate pas un seul des rassemblements qu’elle attend avec reconnaissance. Je suis aussi la page Instagram “JMJ Alsace”. Sinon, impossible de savoir.” Cette dernière affiche 850 followers contre les 258 de “Rayonne Alsace” la page officielle de l’ancienne pastorale des Jeunes. De son côté Thomas* est assez perplexe quant à la situation après quelques années passées à Paris. “Quand je suis arrivé à Strasbourg en 2020, j’étais halluciné de galérer à trouver un groupe de jeunes pros. J’ai appris la veille l'existence d’un pèlerinage annuel au Mont Sainte-Odile, presque par hasard. Le Covid n’excuse pas tout.” A noter que depuis plusieurs années, ce pèlerinage organisé par le prêtre référent des étudiants à Strasbourg rassemble entre 50 et 100 jeunes venus pour la plupart de Strasbourg.
Le parent-pauvre du diocèse
Suite à ses visites pastorales à travers toute l’Alsace l’an dernier, l’archevêque de Strasbourg Mgr Pascal Delannoy avait admis que le rapport aux jeunes adultes constituait “l’un des points des faibles du diocèse”. Ce dernier a d'ailleurs marché aux côtés des jeunes lors des JMJ organisées à Murbach fin novembre. Au micro de RCF, il avait annoncé fin août la nomination prochaine d’”une personne en charge de remonter une équipe de coordination”. Annonce encore sans effet à ce jour, d’autres dossiers plus brûlants ayant depuis sans doute davantage occupé le centre de l’attention de l'archevêché.
La difficulté n’est cependant pas nouvelle. “Mgr Luc Ravel ne croyait pas au système des pastorales”, rapporte une source proche du dossier à l’époque. Il avait embauché deux jeunes avec une formation un peu légère mais ne les a pas du tout suivis ni encouragés.” L’archevêque démissionnaire faisait toutefois partie du Service National pour l'Évangélisation des Jeunes et pour les Vocations (SNEJV) qui a dû, lui aussi, se réinventer après le confinement en développant davantage des formats séparés entre étudiants et jeunes professionnels (avec la mise en place du Festival Santos par exemple).
D’où vient la difficulté ?
“J'ai entendu dire plusieurs fois que ceux qui ont fait de la pastorale des jeunes se sont cassé les dents", évoque Marie-Antoinette qui reste pudique quant à sa propre expérience. En interrogeant les uns et les autres, les raisons restent obscures… Pour certain, le statut concordataire des postes que le diocèse offre, ne serait que peu adapté au mode de vie des jeunes (les salariés embauchés sous statut concordataire doivent s’engager à travailler au minimum 10 ans pour toucher leurs droits de retraite) voire même à “un roulement nécessaire” à cette mission.
Un bruit court : ceux qui ont fait de la pastorale des jeunes se sont cassé les dents.
Le Concordat : un frein ?
Un regard du côté du diocèse de Metz soumis lui aussi au Concordat met en doute cette remise en question catégorique. La Moselle est en effet dotée d’une organisation qui perdure depuis de nombreuses années et qui tend même à évoluer vers un renforcement. Prêtre accompagnateur du Service diocésain pour l’Evangélisation des jeunes (SDEJ) qui englobe les 11-35 ans depuis 5 ans, le père Emmanuel Ecker peut également s’appuyer sur une animatrice laïque de la pastorale pour la partie étudiante et d’un bureau entièrement géré par des étudiants bénévoles à Metz où se concentre les étudiants du 57 dont deux aumôneries et un groupe de jeunes professionnels.
“Alors que tout était concentré à Metz ou à Thionville, on voit depuis peu se développer un mouvement du côté des jeunes professionnels dans des villes comme Sarrebourg et Sarreguemines,” observe le prêtre également en charge de la pastorale des vocations sur le département ainsi que celle des jeunes adultes sur Metz. “D’ici un ou deux ans, l’un des objectifs du SDEJ est d’avoir une personne dédiée pour créer un réseau de jeunes adultes sur l’ensemble de la Moselle. ” Il admet d’ailleurs qu’il n’y a pas encore de lien entre les différents groupes.
Un appel pressant à remonter une coordination ?
Avec 18% des 15-29 ans dans le Bas Rhin et le Haut Rhin, et avec près de 11 000 étudiants à Strasbourg et 6 000 à Mulhouse, l’Alsace constitue un vivier non négligeable de jeunes, d’autant que 50% des 166 adultes ayant demandé le baptême l’an dernier avaient entre 18 et 25 ans, un chiffre qui tend à augmenter depuis 2 ans. Le public est donc là. Leurs besoins aussi. Ceux d'être écoutés et formés principalement d'après plusieurs accompagnateurs de ces jeunes adultes.
“Le Seigneur passe de toute façon”, résume Marie-Antoinette de Gasquet qui appelle de ses vœux “un chantier sur la communion entre les acteurs du diocèse” plutôt que de s’attaquer directement à l’élaboration d’une nouvelle pastorale diocésaine pour les jeunes.
Plusieurs aumôniers interrogés apprécient d’ailleurs le fait de jouir “d’une grande liberté”. C'est le cas du frère Benoît Delhaye, aumônier du Domino qui touche "une centaine d’étudiants sur le groupe whatsapp, une trentaine lors de nos rencontres du jeudi soir. Il est bon que les étudiants se retrouvent dans le groupe qui leur convient le mieux et qu’on ne soit pas tout le temps ensemble. L’offre est suffisamment variée sur Strasbourg.” Pour autant, maintenir le lien reste un défi. “Le monde étudiant à Mulhouse est assez dispersé, explique Don Vianney dont l’aumônerie rassemble régulièrement une quarantaine de jeunes. Les étudiants sont isolés. Il y a tout un travail de maillage du terrain à faire, que nous réalisons de manière assez limitée aujourd'hui.”
Une coordination serait mieux, à tout point de vue.
Quid de la relation entre différentes villes ? “Quand je dis aux étudiants strasbourgeois que les JMJ diocésaines ont lieu à côté de Mulhouse, ils se sentent moins concernés que si elles se déroulaient à Colmar ou à côté de Strasbourg, avoue frère Benoît Delhaye. En revanche, ils sont plus de 600 lors de la messe de rentrée à la cathédrale pour rencontrer l’archevêque. Il serait bon que l’on se connaisse davantage et que nous ayons conscience les uns des autres. Une coordination serait mieux, à tout point de vue.”
*Les prénoms ont été changés


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