France
La profession se mobilise depuis lundi contre une proposition de loi qui espère résorber les déserts médicaux en contraignant les médecins à s’installer où les praticiens manquent. Pour les praticiens, c’est une mesure qui ne passe pas du tout. Didier Legeais, président du Syndicat des Médecins de l'Isère. Entretien.
La grève des médecins se poursuit ce mardi 29 avril en Isère. Les grévistes, dont une large partie d’étudiants, vont converger vers Lyon pour une manifestation.
Ils se mobilisent contre une proposition de loi qui prévoit de réguler l'installation des praticiens afin de mieux lutter contre les déserts médicaux. Au coeur de la colère des docteurs : le conditionnement de leur installation à une autorisation de l’Agence régionale de Santé (ARS)
Les étudiants, les médecins libéraux et une bonne partie de la profession proteste également contre les deux jours que le gouvernement souhaiterait leur imposer chaque mois dans une zone sous-dotée
Une solution inadaptée, selon Didier Legeais, président du syndicat des médecins de l'Isère
RCF Isère : Quelle est votre réaction à cette annonce du Premier ministre ?
Didier Legeais : “C'est une réponse complètement inadaptée à une vraie problématique.
La première raison des déserts médicaux en France, ce sont les gros centres urbains, comme Grenoble, où on manque de médecins généralistes. Cette problématique dans l'Isère, comme au niveau national, c'est un problème de coûts immobiliers quand vous louez un cabinet.
Dans les villes, la loi « accès handicapé » a fait fermer les cabinets médicaux en étage et on aimerait que les cabinets médicaux, demain dans centres urbains, s'installent au rez-de-chaussée sur des bails commerciaux. En fait, c'est essentiellement des problèmes immobiliers et des problèmes de revenus. On n'obligera pas les médecins à venir travailler deux jours par mois ou même par semaine dans des centres urbains où il n'y a pas de cabinets médicaux.
La deuxième réalité des déserts médicaux, c'est les banlieues populaires difficiles, des quartiers tendus, où il y a parfois un taux de violence qui est important et où il y a une grosse population qui a besoin de soins. Les médecins n'y vont pas parce que la sécurité de leur exercice est compromise.”
On a une explosion de la demande de soins
Et dans les zones rurales ?
"Un certain nombre de villages de montagne qui n'ont pas de médecins ou alors les médecins sont plutôt à distance. Là, il y a une problématique de désert tout court. Certains villages sont des déserts alors que la station de sport d'hiver d’à côté a des médecins qui viennent et qui vont être en activité importante l'hiver mais ont très peu d'activité à l'intersaison. C'est des problématiques de désert où il faudrait probablement revoir le mode d'exercice, que ce soit avec des consultations mieux payées et certaines libertés tarifaires (…) casser un peu les modes d'exercice qui aujourd'hui sont plutôt très rigides.”
Les médecins ont décidé, eux aussi, de ne plus travailler 70 heures par semaine mais 40
“87% du territoire français est en désert médical. Ce n'est pas qu'on manque de médecins, c'est qu'on a une explosion de la demande de soins. Elle explose parce que le Baby-boom de 1945 et de 1947 est en train de devenir un Papy-boom, et que chacun d'entre nous consacre 90% de ses dépenses de santé dans les dernières années de sa vie.
Les médecins ont décidé, eux aussi, de ne plus travailler 70 heures par semaine mais 40. Donc on a changé le modèle. Tout ça, ça se réfléchit. La position politique de M. Garot, rejoint aujourd'hui par le Premier ministre, c’est de penser qu'on va pouvoir améliorer l'accès aux soins par la coercition. C’est faux et c'est très dangereux parce que ça va entraîner un effondrement encore plus rapide de l'offre de soins médicaux.”
Et plus particulièrement, quel état des lieux pouvez vous faire ici en Isère ?
“En Isère, on se situe à peu près comme partout en France, avec une différence géographique qui fait que l'Isère a une vraie problématique de village, de montagne, très isolés. C'est pour eux que la difficulté est la plus importante. Néanmoins, la majorité de la population iséroise existe en gros centres urbains, et en particulier à Grenoble.
On a plusieurs cabinets de médecins généralistes à Grenoble qui ont fermé. On a eu des dizaines de milliers de patients qui, au cœur de Grenoble, n'ont plus de médecin du tout.
Dans les déserts de haute montagne, quand un médecin s'installe, c'est un vrai désert aussi pour sa famille. Pour un problème d'école, de commerce, pour plein de raisons. Ce n'est pas très facile. Il faut réfléchir à ce moment-là à remettre en place ce que la déontologie a interdit pendant longtemps : la médecine foraine. Permettre à un médecin d'exercer un jour dans un village, dans un autre le jour suivant, ou mettre un médecin dans un car (…) et faire de la médecine mobile.”
Résoudre le problème de l'accès aux soins à tout prix, de façon autoritaire et coercitive, ça ne marchera pas
Quelles solutions proposez-vous ?
“On a proposé, depuis des mois, que les médecins qui continuent à exercer alors qu'ils sont à l'âge de la retraite puissent bénéficier de l'absence de cotisation aux caisses de retraite et l'absence de cotisation Urssaf.
Dans les déserts médicaux des gros centres urbains, annuler l'application de la loi « accès handicapés » et permettre aux médecins d'exercer en liberté tarifaire cela permettrait très rapidement d'améliorer l'accès aux soins.
Ces mesures simples sont refusées, non discutées (…).
Nous, on a des propositions depuis des années. Il y a même des propositions qui ont été présentées à l'Assemblée nationale (…). S'ils pensent, nos députés et nos sénateurs, qu'ils vont pouvoir imposer aux médecins la perte de leur liberté fondamentale, ils se trompent, ils vont perdre le combat. (…)
Les Français ont besoin de leurs médecins et de leurs infirmières. Aujourd'hui, leurs médecins et leurs infirmières, mais aussi les kinés, les dentistes, les pharmaciens, les biologistes… on est tous en grande souffrance. La réalité fondamentale, c'est d'essayer de faire des économies à tout prix et aujourd’hui, de résoudre le problème de l'accès aux soins à tout prix, de façon autoritaire et coercitive, ça ne marchera pas.”
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