Démission surprise de Sébastien Lecornu : la France à nouveau sans gouvernement
Démission surprise de Sébastien Lecornu ce matin, au lendemain de la nomination du gouvernement dimanche soir. La France se retrouve de nouveau avec un gouvernement démissionnaire. Décryptage avec Thibaud Mulier, constitutionnaliste et maître de conférences en droit public à l’Université Paris-Nanterre.
Sébastien Lecornu lundi 6 octobre © Blondet Eliot/ABACALe Premier ministre avait enfin dévoilé son gouvernement avec finalement peu de changements, si ce n’est l’arrivée notable de Bruno Le Maire au ministère des Armées. Éric Woerth également à la décentralisation. Les oppositions se sont étouffées, avec un coup de grâce porté par Bruno Retailleau, qui avait acté dimanche après-midi une participation des Républicains au gouvernement, convoque finalement lundi matin un comité stratégique.
Une rupture jugée insuffisante
Il a fallu 26 jours pour former un gouvernement qui est très similaire aux deux précédents. Cela peut sembler étonnant au premier abord, mais s’explique probablement par de nombreux refus, observe Thibaud Mulier. “On appelle les derniers fidèles. Impossibilité d'ouvrir à gauche. Les LR sont déjà dedans. Donc le spectre ne peut pas être élargi à l'extrême droite puisqu'il n'y a pas de volonté d'alliance, en tout cas explicite. Et donc, par voie de conséquence, on fait avec les mêmes et on recommence.”
Impossibilité d'ouvrir à gauche. Les LR sont déjà dedans. Donc le spectre ne peut pas être élargi à l'extrême droite puisqu'il n'y a pas de volonté d'alliance, en tout cas explicite. Et donc, par voie de conséquence, on fait avec les mêmes et on recommence.
Le manque de rupture, pourtant annoncé par Sébastien Lecornu lors de la passation de pouvoir avec François Bayrou, a provoqué la chute du nouveau gouvernement. Bruno Retailleau a, en effet, seulement une heure après l’annonce du gouvernement, dénoncé les choix pris par le locataire de Matignon. Sébastien Lecornu avait pourtant souhaité marquer la rupture lors de son annonce de la renonciation à l’usage du 49 alinéa 3. Pour Thibaud Mulier, cette annonce était insuffisante. “Ce n’est pas prendre beaucoup de risques. Nous sommes sous la Ve République et la Constitution du 4 octobre 1958 donne des dispositifs assez autoritaires, mis à disposition du gouvernement pour faire avancer l’adoption d’un texte et même d’un texte budgétaire. Il y a tout un tas de dispositifs moins connus, moins radicaux, mais qui sont là et que, manifestement, M. Lecornu ne compte pas s’en passer.”
L’urgence de la question budgétaire
Certains dossiers urgents posent question dans le contexte d’un gouvernement très fragile, notamment la question du budget. Celui-ci, répondant au principe d’annualité, le budget de 2025 va arriver à échéance le 31 décembre, nécessitant un accord avant cette date. Le constitutionnaliste se veut rassurant : on ne risque pas de voir tous les services du gouvernement s’arrêter du jour au lendemain, mais d’avoir un budget très dégradé. “On a des dispositifs qui permettent au 1er janvier d’avoir un budget ou un semblant de budget très dégradé, soit par le recours à une loi spéciale si on n’arrive à rien faire, soit si on arrive à déposer, avec un gouvernement de plein exercice ou pas, un projet de loi de finances et qu’il ne serait pas adopté dans un délai constitutionnel de 70 jours, c’est-à-dire de passer par des règlements qu’on appelle des ordonnances budgétaires.”
Il paraît très peu probable que, du point de vue de la légitimité, il y ait une acceptation que, pendant plusieurs mois, voire jusqu’à la présidentielle, parce que les acteurs sont obnubilés par cette échéance , on gère le pays avec un budget très dégradé.
Ces ordonnances permettent de gérer les affaires courantes du pays, mais d’une manière très dégradée. Thibaud Mulier souligne cependant le problème de légitimité que cette situation poserait. “Il paraît très peu probable que, du point de vue de la légitimité, il y ait une acceptation que, pendant plusieurs mois, voire jusqu’à la présidentielle, parce que les acteurs sont obnubilés par cette échéance , on gère le pays avec un budget très dégradé.”
La fin de la Ve République ?
Bien que, selon le spécialiste de la Constitution, la situation ne soit pas comparable à celle de la fin de la IVe République lors de la guerre d’Algérie, la France traverse actuellement une crise politique qui peut devenir, dans les heures qui viennent, une crise institutionnelle. “Sous la Ve République, on oublie souvent de rappeler que les principaux responsables, parce qu’ils sont constitutionnellement puissants et institutionnellement puissants, c’est l’exécutif et notamment le président de la République.” Le président peut notamment avoir recours, dans les jours qui viennent, au référendum ou à la dissolution — des outils puissants en cas de blocage du gouvernement ou du Parlement.


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