De nombreux poissons du Grand-Est menacés d'extinction
L’Office français de la biodiversité et l’Odonat, l’Office des données naturalistes d’Alsace ont publié une liste rouge des poissons du Grand-Est. Cet inventaire inédit a révélé que 20% des espèces de poissons de la région sont menacées d’extinction. Pour en parler, Sébastien Manné, chef du service Connaissance de l'Office français de la biodiversité à la direction régionale du Grand Est avec l'Office des données naturalistes d'Alsace, qui a piloté cette étude.
© canvaRCF Alsace : Vous avez piloté l'animation du groupe de travail Liste rouge des Poissons du Grand Est qui répertorie les espèces menacées. Il y a déjà eu pour la région des listes rouges pour les amphibiens, les oiseaux ou les mollusques continentaux, mais pas pour les poissons. Alors, pourquoi maintenant ?
SM : Pour les poissons, il y a eu une liste rouge qui a été établie en 2014, mais uniquement pour l'Alsace. Depuis qu'on connaît les nouveaux contours des nouvelles régions, cette évaluation-là n'avait pas été faite à cette échelle. De plus, il convient en général de remettre à jour ces listes rouges tous les dix ans.
RCF Alsace : Comment avez-vous procédé pour établir cette liste rouge?
SM : Nous avons essayé de rassembler un maximum d'informations relatives à la connaissance des espèces qui sont présentes en région Grand Est. Il y en avait à peu près 130 000, je crois, qui ont été identifiées et recensées et regroupées pour être analysées. La plupart de ces données là concernent des données de pêche à l'électricité, C'est donc le moyen d'échantillonnage le plus fréquemment utilisé à large échelle pour avoir des informations sur les espèces et les peuplements. Plus spécifiquement pour les grands migrateurs. Cependant, ces grands migrateurs sont suivis par des méthodes un petit peu plus spécifiques, notamment par vidéo comptage. C'est par ce moyen là que nous avons les informations les plus précises sur ces espèces. C'est essentiellement Rameuses Migrateurs qui assurent ces suivis là. Il y a un protocole. Une grille d'analyse standardisée de l’UICN [union internationale pour la conservation de la nature, ndlr] qui nous permet d'expertiser le degré de menace qui pèse sur l'ensemble des espèces que nous avons pu identifier en Grand Est.
RCF Alsace : Vous avez parlé des poissons migrateurs. Est-ce que ce sont vraiment les poissons migrateurs qui sont, en particulier, concernés par une extinction dans le Grand Est ?
SM : Effectivement, concernant les grands migrateurs, sur le Grand Est, il y a près de 60 espèces qui ont été clairement identifiées. Sur ces 60 espèces, 42 ont été évaluées selon cette grille. Pourquoi uniquement 42 ? La méthodologie prévoit d’’expertiser et évaluer uniquement les espèces qui étaient présentes sur notre territoire avant l'année 1500. Donc il restait au final 42 espèces qui ont été évaluées pour le pour le Grand Est. Neuf sont classées menacées, avec des différents degrés. Sur ces neuf espèces, une a disparu, l’esturgeon européen, qui est également un grand migrateur. Cinq sont très fortement menacées, classées en danger critique d’extinction. Ces cinq espèces sont toutes des grandes migratrices. Qu’est-ce qu’un migrateur ? C'est une espèce qui, pour accomplir son cycle biologique, va devoir impérativement vivre à la fois en mer et en eau douce, soit pour se reproduire ou pour grossir. Par exemple, l'anguille, classée en danger critique d’extinction, va se reproduire en mer et grossir en eau douce. Mais il y a également le saumon, la truite de mer, la grande alose, les lamproies marines et fluviatiles. Ces dernières vont se reproduire en eau douce et grossir en mer, et sont également classées en danger critique d'extinction. Ensuite, nous avons également des espèces menacées avec un niveau plus faible de menace, classées en danger. Pour illustrer cela, nous avons la loche d'étang et la lotte de rivière. Enfin, en troisième niveau de menace appelée vulnérable, nous allons trouver l'ombre commun et la grémille.
RCF Alsace: Quelles sont les causes de cette extinction ? Et pourquoi est-ce que les grands migrateurs sont les plus concernés ?
SM : Des problèmes de continuité sur les cours d’eau en sont probablement à l’origine.
Lorsqu'il y a des seuils ou des grands barrages qui sont érigés et construits sur les cours d'eau, il va y avoir des problèmes de continuité à la fois pour la montaison. Il y a un risque que les poissons migrateurs rentrent dans les turbines, avec un risque de mortalité. Mais il y a également d’autres raisons, comme le changement climatique, qui a une forte incidence pour la phase marine. Cependant côté marin c'est une sorte de boîte noire, on ne sait pas exactement ce qui se passe. Il y a probablement des modifications au niveau de l'atrophie. Tout ce qui relève de la chaîne alimentaire, des modifications des courants marins, conditions environnementales générales, qui font qu'il y a probablement une mortalité plus importante sur la phase marine aujourd’hui. C’est le même problème en eau douce. Sur les milieux continentaux, il y a eu des modifications profondes des cours d'eau, souvent depuis de nombreuses décennies. Des modifications de l’habitat de ces poissons qui dérèglent les cycles biologiques. Parfois, il peut y avoir des problèmes de qualité d'eau localement. L'assèchement des zones humides ne favorise pas les choses. Il peut également y avoir des liens avec des espèces exotiques envahissantes qui peuvent venir en compétition avec certaines espèces. Par ailleurs, pour les grands migrateurs, on peut aussi évoquer éventuellement l'impact de certains prédateurs. Même si cela est surtout vrai au niveau des obstacles à la migration. Lorsque les poissons sont bloqués, il peut y avoir certains prédateurs, notamment le silure ou éventuellement le cormoran, qui peuvent avoir un impact local assez important.
RCF Alsace : Quelles sont les conséquences de cette extinction de fin des poissons sur la biodiversité ?
SM : Bien souvent, ce sont des espèces, qui sont qualifiées de parapluie. Cela signifie que si ces espèces se portent bien, on peut supposer que c'est un reflet de la bonne santé des cours d'eau. Et si effectivement ces espèces ne vont pas bien, ça peut être un symptôme très fort de dysfonctionnement de la fonctionnalité écologique de certains secteurs de cours d'eau en l'occurrence. Ces grands migrateurs reflètent l'état de fonctionnement général de nos cours d'eau et du lien avec la mer qui effectivement est fortement perturbée.
RCF Alsace : Quel est l'intérêt de ces listes rouges pour les scientifiques mais aussi pour le grand public ?
SM : Normalement, ces listes aident à apporter des éléments pour les discussions qui mènent à des aspects réglementaires, puisqu’il existe également des textes qui permettent de protéger les espèces. Ces listes ne sont pas forcément identiques. L'évolution des textes réglementaires permettent de protéger des espèces. Il faut espérer qu'elles puissent contribuer à l'évolution de la réglementation et faire en sorte que si une espèce est nouvellement réputée “fortement menacée” et qu'elle n'est pas encore protégée, elle pourrait devenir menacer. La réglementation devrait suivre l'état de conservation de ces espèces. C'est surtout une information qui amène tout un chacun, surtout pour les citoyens qui ont une sensibilité vis-à-vis de la biodiversité.
RCF Alsace : En tant que citoyens ou particuliers, comment est-ce qu'on peut agir au quotidien pour préserver ces espèces ?
SM : Les raisons peuvent être multifactorielles et c'est surtout au niveau des politiques publiques. Je pense que des bonnes décisions doivent être prises pour préserver les secteurs de cours d'eau qui fonctionnent encore bien. En ce qui concerne les secteurs qui sont dans un état de fonctionnement un peu moins bon, il faut essayer de les restaurer dans la mesure du possible. C’est aussi individuellement que l’on peut peser sur le débat public pour essayer de faire en sorte que les bonnes décisions soient prises.


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