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Dans les prisons françaises, « une densité en-deça des normes pour les chenils » : entretien avec l'aumônier national catholique

Dans les prisons françaises, « une densité en-deça des normes pour les chenils » : entretien avec l'aumônier national catholique

Un article rédigé par la rédaction RCF Lyon - le 25 avril 2025 - Modifié le 25 avril 2025
Les Voix de l'actu · RCF Lyon et RCF Pays de l'AinAttaques contre les prisons françaises : l'aumônier national nous répond

Plus de 60 faits de violences commis en seulement une dizaine de jours, saisis par le Parquet national anti-terroriste (PNAT) : les attaques contre les prisons françaises et leurs agents pénitentiaires se poursuivent. Quarante-huit heures après la visite à Saint-Quentin-Fallavier (38) du Premier ministre et des ministres de l'Intérieur et de la Justice, éclairages sur la situation des prisons de notre pays avec le diacre lyonnais Bruno Lachnitt, aumônier national catholique des prisons.

De nouvelles attaques ont eu lieu contre des services pénitentiaires en seulement une dizaine de jours - 7500 RPM via UnsplashDe nouvelles attaques ont eu lieu contre des services pénitentiaires en seulement une dizaine de jours - 7500 RPM via Unsplash

RCF Lyon (Johan Fresse) : Vous dénoncez régulièrement les conditions de vie dans les centres pénitentiaires, notamment la surpopulation carcérale dans le pays. Il fallait s'attendre à ce que ça s'embrase ?

Bruno Lachnitt : Sans doute. Nous, les aumôniers, nous ne pouvons que nous émouvoir de ces actes à l'encontre de personnels, de ces intimidations, de ces agressions. Ce n'est pas acceptable. Après, il est sûr que la situation de surpopulation carcérale que nous connaissons, qui atteint des sommets inégalés, et chaque mois de nouveaux records sont battus, ce n'est pas supportable, et, à un moment, ça ne peut pas tenir.

RCF Lyon : Vous qui êtes auprès des prisonniers au quotidien dans votre rôle d'aumônier, comment est-ce que cette actualité est vécue par les prisonniers que vous accompagnez ? Est-ce que ça fait partie des discussions du moment ?

BL : Oui, bien sûr. On se retrouve avec des matelas par terre en cellule : alors ce n'est pas nouveau, les matelas par terre, le problème c'est que le nombre ne cesse d'augmenter. Donc les conditions sont insupportables. Quand on parle de conditions de détention, on est dans des réalités très différentes selon qu'on est en maison d'arrêt ou en établissement pour peine, centre de détention ou maison centrale. Maison centrale, a fortiori, là, ce sont des conditions très différentes, parce que ce sont de très longues peines avec une dangerosité particulière. La surpopulation se concentre sur les maisons d'arrêt et sur certains centres de détention où, du coup, on met des courtes peines dans des établissements qui ne sont pas prévus pour ce type de public, et avec un encellulement individuel qui est remis en question sur ces établissements pour peine, ce qui pose aussi d'autres problèmes.

RCF Lyon : En ce moment, on parle de taux de 120 %, 130 %. Pour ce qui est de la maison d'arrêt de Saint-Quentin-Fallavier (Nord-Isère), qui a été récemment visitée par François Bayrou, Bruno Retailleau et Gérald Darmanin, on parle même de 192 % de surpopulation carcérale. À quoi cela correspond-il très concrètement dans la vie quotidienne d'une prison ?

BL : Cela veut dire que toutes les cellules individuelles sont doublées. À Lyon-Corbas, depuis l'ouverture, toutes les cellules individuelles sont doublées avec des lits superposés : 9 m² prévus pour une personne, un placard pour le rangement, une table pour manger, tout cela pour deux personnes. La surpopulation que l'on connaît aujourd'hui, cela veut dire que dans des cellules doubles, on va rajouter un matelas par terre, voire maintenant deux matelas par terre, et que dans des cellules avec deux lits superposés (9 m²), on va éventuellement rajouter un matelas par terre pour une troisième personne.

On est aujourd'hui, dans les maisons d'arrêt, sur une densité au sol qui est en-dessous des normes européennes pour les chenils pour chiens : c'est 5 m² par chien, on est en-dessous dans les cellules, et c'est 22 heures sur 24, quand ce n'est pas plus, dans ces conditions-là.

Certains qui, pour des raisons de crainte de se faire agresser, ne sortent pas en promenade : dans ce cas, c'est 24 heures sur 24 en cellule.

RCF Lyon : Que répondre à cette opinion publique qui, au fond, se désintéresse finalement des conditions de vie des détenus en France ?

BL : On entend parfois « C'est le Club Med, c'est l'hôtel 3 étoiles » : cela veut dire que ces gens-là ne sont jamais allés en prison. Il n'y a évidemment aucun lien entre un hôtel 3 étoiles et la réalité de la prison. Mais malheureusement, l'opinion publique est peu sensible à l'indignité des conditions de détention. Par contre, l'opinion publique est très sensible à la question de la sécurité. Or, la prison telle qu'elle dysfonctionne aujourd'hui est un facteur d'insécurité. Comment pouvez-vous imaginer qu'une personne détenue dans les conditions que je viens de décrire, inférieures aux normes pour les élevages de chiens, va ressortir meilleure qu'elle n'est rentrée ?

Or, toute personne qui rentre en détention va sortir un jour, à quelques rares exceptions près. Donc demain, ça va être votre voisin, quelqu'un que vous allez croiser dans la rue. C'est votre intérêt, c'est l'intérêt des victimes, c'est l'intérêt de la société qu'ils sortent meilleurs. Or, on sait que la prison est un facteur aggravant de récidive. Et la prison, dans des conditions dégradées comme cela, est encore plus un facteur aggravant de récidive. Le taux de récidivistes parmi les personnes condamnées est passé, pour les délits, de 0,7 % en 1984 à plus de 19 % en 2021.

Plus les conditions sont dégradées, plus les gens vont revenir en prison. Et plus les gens vont revenir en prison, plus les conditions vont être dégradées parce que ça fait de la surpopulation : c'est un cercle vicieux, ça fait boule de neige.

RCF Lyon : La sévérité gouvernementale aujourd'hui affichée par Gérald Darmanin, garde des Sceaux, Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur, notamment en réponse à cette opinion publique qui pense que la prison serait « le Club Med », est-ce contre-productif ? Est-ce que le gouvernement se trompe sur sa politique ?

BL : Moi, j'espèrerais que les politiques informent l'opinion plutôt que de la suivre, ou de suivre ce qu'ils pensent être l'opinion. Ils ont un rôle d'éducation de l'opinion. On a vu, par exemple, l'histoire des activités dites ludiques en détention il y a quelque temps, c'était consternant. C'est quand même le rôle des responsables politiques d'informer l'opinion sur une activité qui, en l'occurrence, n'était pas du tout ludique mais était une activité sur l'estime de soi avec des femmes détenues dans le but de la réinsertion.

RCF Lyon : On a notamment vu des vidéos fleurir sur les réseaux sociaux, de détenus qui faisaient parfois des courses de karting au sein même des prisons.

BL : Alors ça, ça avait été il y a quelques années à Fresnes. Là aussi, à l'époque, les responsables politiques, au lieu d'expliquer, de faire de la pédagogie sur ce type de projet qui contribuait aussi à apaiser la relation entre surveillants et détenus, ont cédé le pas à ceux qui criaient haro sur le baudet. Moi, j'attendrais des politiques qu'ils fassent un peu de pédagogie, et effectivement qu'ils expliquent.

Il faudrait que les choix politiques ne reposent pas sur des mensonges. Quand on voit la surpopulation carcérale, l'opinion publique peut penser que s'il y a une telle surpopulation, c'est parce qu'il y a une hausse massive de la délinquance. Or, rien n'est moins évident quand on regarde les chiffres.

Les causes de la surpopulation sont multifactorielles, mais ce n'est pas une hausse massive de la délinquance. C'est notamment un allongement des peines, une hausse de la récidive. Les peines plancher ont contribué à l'époque à une hausse de 7 % du taux d'incarcération. Si on laisse penser des choses fausses aux gens qui alimentent une opinion qui se fonde sur des contre-vérités, quand on voudrait nous faire croire qu'il va suffire d'expulser les détenus étrangers qui sont en prison pour résoudre la surpopulation carcérale, ce n'est pas vrai.

Le solde entre les entrées en prison et les sorties de prison, chaque mois, c'est +600 : cela veut dire que chaque mois, il faudrait construire une maison d'arrêt comme la maison d'arrêt de Nanterre pour absorber le surplus d'entrées en prison.

RCF Lyon : Quel rôle doivent jouer les 760 aumôniers catholiques que vous représentez ?

BL : D'une part, concrètement, être des artisans de paix sur le terrain. Ça, c'est notre rôle et je l'ai d'ailleurs écrit dans le courrier de soutien que j'ai envoyé au directeur de l'administration pénitentiaire par rapport aux événements récents. Nous continuerons, dans le contexte quel qu'il soit, à être des artisans de paix à l'intérieur de la détention.

Je pense aussi que les aumôniers ont un rôle auprès de l'opinion, notamment dans les paroisses autour d'eux, dans l'Église, parce qu'ils sont des témoins autorisés à parler de cette réalité. Malheureusement, dans nos paroisses, il y a des gens qui se soucient peu de l'indignité des conditions de détention et véhiculent aussi des discours pour toujours plus de prison, toujours plus d'enfermement, toujours plus de longue peine, sans réfléchir et sans prendre de recul et de hauteur par rapport à cette question. Donc je pense que les aumôniers ont aussi un rôle d'éducation de l'opinion, notamment dans l'Église, par rapport à ces sujets.

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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