"Continuer à faire vivre Alain" : le récit poignant de Frédérique Ethoré-Blétry, après le décès de son mari, atteint de la maladie de Charcot
S.L.A, trois lettres, Sclérose Latérale Amyotrophique, plus connue sous le nom de maladie de Charcot, qui touche un peu plus de 6000 personnes en France. Une maladie incurable, sans espoir de guérison, qui affaiblit progressivement les muscles, jusqu’au dernier souffle du malade. Une histoire qui pourrait s’arrêter là, d’autres ont le courage de la raconter. Sous un autre regard, celui d’une épouse vers son mari, atteint de la maladie de Charcot. L’histoire de Frédérique et d’Alain, racontée dans ce livre autobiographique "Viens, on rentre à la maison", aux éditions Bookélis.
Frédérique Ethoré-Blétry, épouse d'Alain, disparu en janvier 2025, de la maladie de Charcot. ©Victorien Duchet/RCF Haute-SavoieRCF : Vous vous êtes installés avec Alain, à Juvigny, non loin d’Annemasse, en 2013. Il est alors formateur en bâtiment et génie civil à Genève. Vous coulez ensemble plusieurs années de félicité, comme vous le rapportez dans votre livre, jusqu'au voyage de noces en 2022 à Venise. Et puis il y a ces premiers signes, qui le préoccupent. Il ne vous en parle pas dans un premier temps, mais vous le remarquez. C’est dans ces moments là où il n’y a pas besoin de mots pour savoir ce qui va ou ce qui ne va pas chez l’autre ?
Frédérique Ethoré-Blétry : Les premiers symptômes m'ont tout de suite parlé. Nous avions perdu un ami qui est décédé de la maladie de Charcot. Quand les premiers signes sont apparus, nous avions un contrat tacite avec Alain. Sans en parler, nous le savions. Mais nous nous sommes protégés, comme nous l'avons fait jusqu'à la fin de sa vie. Nous nous sommes portés mutuellement.
Peut-être que ce qu'il y a de plus dur dans cette maladie qui est terrible, c’est sa rapidité. Trois ans avant son décès, Alain n’avait aucun symptôme, aucun signe avant-coureur, et en deux ans à peine, il ne parvient plus à s’exprimer librement, il ne parvient plus à se tenir correctement…
F.E-B : Ce qui est déstabilisant, c'est la rapidité de la maladie. Il y a tout le temps de nouveaux symptômes. La maladie nous rattrape. Tout d'un coup, la difficulté à se mouvoir, les premières chutes très traumatisantes, la perte de l'usage des jambes, des bras, des mains. Une suite de petits évènements qui chaque fois marquaient davantage le fait que cette maladie était en train de nous envahir.
Dans votre livre, il y a cette question d’un jeune médecin, quand la maladie s’était déjà bien installée : “En cas de complication, Mr Blétry, souhaitez vous que nous procédions à une réanimation ?”. Question brutale ! Votre mari a répondu ce jour-là : "mais oui, bien sûr", comme si c’était une évidence. Il avait toujours ce secret espoir de guérison ?
F.E-B : Oui, il m'observait toute le temps quand les gens me parlaient. Et tant qu'il voyait dans mes yeux de l'espoir, de la joie, de la vie, il y croyait aussi. Même quand moi j'ai cessé d'y croire, j'ai bien compris qu'il fallait que je continue de raconter cette histoire.
Est-ce qu’il a pensé au suicide assisté, et l’a-t-il envisagé ?
F.E-B : Jamais. Alain était persuadé qu'il allait vivre. On a mis en place tous les deux une multitude de choses qui permettaient de garder cet espoir.
Il y a aussi dans votre livre le rapport de la maladie avec la famille, les amis. A l’apparition des premiers signes, vous n’en parlez pas. Une fois que le diagnostic est tombé, il fallait en parler à l’entourage ?
F.E-B : Oui, il fallait en parler. On les a appelés nos soldats du cœur. C'était notre armée du cœur. On n'a jamais vu dans leurs yeux tout ce qui ressemble à de la pitié.
Et puis il y a cette incompréhension involontaire des gens qui vous entourent, presque maladroite. Quand ces "personnes bien intentionnées", comme vous les qualifiez dans votre livre, peinent à comprendre pour quelles raisons par exemple, vous n’avez pas investi dans un lit médicalisé.
F.E-B : C'est très difficile d'entendre ce type de phrase, parce personne ne savait ce qu'on était en train de vivre. Tous nos choix étaient dirigés par le bien-être d'Alain. Il fallait sauver notre âme. La nuit, on ne pouvait pas être séparés. Et j'ai eu le sentiment de toujours faire le bon choix. Y compris quand j'ai tenu tête à la chef de service pneumologie qui souhaitait mettre Alain sous respirateur la nuit. Quand je lui ai demandé quelle était la raison, elle m'a répondu que c'était pour maintenir ses muscles, et ne pas affaiblir son cœur. Et là, j'ai eu une révélation ! Pourquoi pas affaiblir son cœur pour éviter la douleur, l'étouffement, et éviter qu'il ne soit branché sur un lit comme terminent de nombreux malades de Charcot.
Alain est décédé d'un arrêt cardiaque en janvier 2025. Pourquoi est-ce important de parler de cette maladie aux Français, de parler de votre quotidien, d’ouvrir presque votre vie intime, alors que cette maladie est incurable, et que nous, simples gens, sommes impuissants ?
F.E-B : J'avais envie d'inspirer les gens qui vivent cette situation. Je les appelle les aimants aidants. Parce qu'il y a une autre manière de parler de la maladie que d'en parler de manière dramatique. Nous avons vécu avec Alain plusieurs vies en une seule avec Alain. Nous avons profité de chaque minute de notre vie en étant en permanence l'un avec l'autre. Et puis j'ai envie de transmettre notre histoire pour continuer à faire vivre Alain.


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