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« Est-ce qu'on va devenir comme Gaza ? » : Israël-Iran, l'angoisse d'une Franco-Iranienne face au conflit

« Est-ce qu'on va devenir comme Gaza ? » : Israël-Iran, l'angoisse d'une Franco-Iranienne face au conflit

Un article rédigé par Johan Fresse - le 26 juin 2025 - Modifié le 26 juin 2025
Les Voix de l'actu · RCF Lyon et RCF Pays de l'AinIsraël-Iran : l'angoisse d'une Franco-Iranienne face au conflit

Le ciel s'est embrasé une nouvelle fois le 13 juin dernier au Moyen-Orient, cette fois-ci entre Israël et l'Iran, qui se livraient depuis des années une guerre de l'ombre : l'État hébreu a décidé d'attaquer frontalement le régime iranien sur la base d'inquiétude concernant une éventuelle menace nucléaire. À des milliers de kilomètres de Téhéran, une Franco-Iranienne installée à Lyon livre ses inquiétudes.

La Franco-Iranienne Hadis Nabizadeh vit en région lyonnaise depuis seize ans - © RCF LyonLa Franco-Iranienne Hadis Nabizadeh vit en région lyonnaise depuis seize ans - © RCF Lyon

Une escalade sans précédent en seulement quelques jours de conflit ouvert, un cessez-le-feu fragile, et les États-Unis désormais impliqués en arbitre. Des répliques de part et d'autre, des dégâts sur des infrastructures, mais aussi sur des civils : la peur s'empare des populations locales, mais aussi des ressortissants notamment en France.

Hadis Nabizadeh est Franco-Iranienne, ex-journaliste en Iran, installée en France depuis maintenant 16 ans.

 

RCF Lyon : Vous avez encore des proches sur place, notamment à Téhéran. Que se passe-t-il dans votre tête le 13 juin dernier, quand vous apprenez que votre pays se fait attaquer ?

Hadis Nabizadeh : Ma famille est effectivement à Téhéran et à Tabriz. C'était un choc. Je suis née pendant la guerre, j'ai appris l'alphabet quand j'avais 5 ans en Iran sur la télé, parce que les écoles étaient fermées. C'était une école à distance à cause de la guerre Iran-Irak. Et cette fois, c'est une deuxième guerre.

Vous savez, je suis contre le régime iranien, mais je ne voulais pas la guerre pour mon pays. Je ne voulais pas voir mon pays attaqué, bombardé, je ne voulais pas voir la pauvreté qui vient après la guerre. Je ne voulais pas voir les terres de mon pays, ma ville natale, détruites. Je ne voulais pas voir la peur chez les enfants. Je ne voulais pas voir les enfants qui auront encore, dans 20 ans, des cauchemars à cause de la guerre : moi, j'en ai encore maintenant, après 35-36 ans. Je ne veux pas voir mes parents avoir peur pour l'avenir.

Communiquer avec la famille en Iran : « Il m'a dit "Ne t'inquiète pas, on va bien" »

Je ne voulais pas la guerre pour mon pays. Moi, je pense que le changement, ça ne vient pas avec la guerre. La guerre empire notre situation, ne nous aide pas pour les droits des femmes ni des enfants. J'ai un enfant de 14 ans, il va avoir 15 ans dans un mois. Le matin, au réveil, il a compris que l'Iran était attaqué : il m'a dit « Je vais prendre ma douche », mais il n'arrivait plus à sortir de la salle de bain. Parce que lui aussi, même n'a pas vu la guerre, il a grandi dans une famille iranienne avec moi. Et il sait ce qui se passe, même 35 ans après, même dans un autre pays, s'il a une maman qui vient d'un pays où elle a vécu la guerre.

RCF Lyon : Quel est votre premier réflexe à ce moment-là, le 13 juin, quand vous apprenez ces frappes israéliennes sur votre pays ? Appeler vos proches qui sont encore là-bas, sur place ?

HN : J'ai essayé de téléphoner à ma famille : je n'arrivais pas, je ne pouvais pas. J'ai contacté mon travail, je leur ai dit que je ne pouvais pas venir. J'ai contacté le collège de mon fils en leur disant qu'il allait avoir du retard, sans savoir combien de temps. J'ai continué à appeler, pleurant en même temps. J'ai essayé d'envoyer un message à tous les gens que je connais en Iran : finalement, je crois que vers 9h30, mon père a répondu. Il m'a dit « Ne t'inquiète pas, on va bien ». Mais on sait très bien que quand on dit « ça va, tout va bien, ne t'inquiète pas », en même temps qu'on est bombardé, ce que ça veut dire...

La peur de l'avenir : « Est-ce qu'on va devenir comme Gaza ? »

RCF Lyon : C'est ce que vous dites notamment à votre fils aujourd'hui ? Est-ce que vous dites ça aussi, vous aussi, en écho, vous essayez de le rassurer en lui disant « tout va bien » ?

HN : Mon fils, les premiers jours, il n'arrêtait pas de demander « Est-ce qu'on va revoir notre famille ? ». C'est un très bon vivant, il est très sportif : mais certains jours, il était tellement pris par l'émotion, et on ne pouvait pas contacter nos familles, il ne bougeait pas du canapé. Je lui disais « va voir tes amis », il ne voulait pas, « va faire du sport », il ne voulait pas. Et moi, je ne pouvais pas lui dire « On va les voir » : je lui disais « J'espère, j'espère, on va essayer ! ».

J'ai vécu la guerre, et vous savez, je sais qu'il n'y a rien de sûr. Bien sûr, on dit que c'était des points visés, mais à côté de ces points visés, il y a des gens qui vivent. Il y a des hôpitaux qui ont été touchés, 5 hôpitaux en Iran : de la nurserie, [le personnel] était obligée d'amener les petits-enfants, les bébés, dans un autre endroit parce qu'ils étaient touchés. C'était dans un quartier pour lequel Israël avait dit « il faut le libérer très rapidement, il faut quitter ce quartier ». Du coup, comment je pouvais dire à mon fils « On va aller les voir » ?

RCF Lyon : Le 20 juin dernier, l'ONG Human Rights Activists a tenté de faire un décompte du nombre de victimes sept jours après le début du conflit : à cette date-là, 263 civils, dont plus d'une vingtaine d'enfants, ont été tués en Iran. Au moment où vous comprenez que les civils aussi sont touchés, est-ce que ça amène une escalade d'angoisse pour vous, pour votre famille, pour vos proches ?

HN : Vous savez, depuis les premiers jours, quand ils ont attaqué les généraux à Téhéran, on savait très bien qu'il y avait des innocents aussi, parce qu'on ne peut pas seulement attaquer un seul appartement dans un bâtiment, il y a des voisins. Il y a toujours des innocents. Ça nous fait peur, ça nous fait énormément peur. On a très peur d'aller trop loin, que ça dure très longtemps. J'avais tellement peur que je me disais « Est-ce qu'on va devenir comme Gaza ? ».

Intervention américaine : « Ce n'est pas en attaquant notre pays qu'on va obtenir la liberté et le changement »

RCF Lyon : Le 25 juin, un cessez-le-feu très fragile est entré en vigueur, formulé et mis en place par les États-Unis. Où est-ce que votre espoir réside, aujourd'hui ?

HN : Il faut que je garde l'espoir. Mais je pense que la guerre nous a éloigné encore plus du minimum de liberté qu'on avait sur la Terre. Vous savez, la prison d'Evin a été attaquée : ils disent que c'était symbolique, que c'était la porte... Mais aujourd'hui, les femmes, les prisonnières, sont déplacés à la prison de Qarchak. Là-bas, il n'y a pas d'urgences médicales, il n'y a pas d'endroit pour dormir, il n'y a pas de salle de bain, il n'y a pas de douche, il y a une seule toilette pour toutes les personnes déplacées.

Ça ne donne pas espoir, je me dis que ça empire la situation. Et c'est la seule chose que je veux croire, mais je pense que c'est tellement loin que peut-être, là, le régime iranien sent qu'il a perdu le peuple iranien. Il faut qu'il fasse quelque chose, parce que je ne crois pas que là, on va avoir un changement de régime. Donald Trump, clairement, il a dit qu'il ne voulait pas le changement. Même avant, quand il parlait de changement, je n'y croyais pas.

RCF Lyon : Donald Trump a notamment annoncé, en effet, qu'un changement de régime aujourd'hui n'est pas souhaitable, puisque ce serait le « chaos ».

HN : Je ne voulais pas que Trump ou Israël nous amènent la liberté [avec un changement de régime], comme Irak, en Afghanistan, au Moyen-Orient, des endroits que l'Europe et l'Amérique ne connaissent pas. Et ce n'est pas avec la guerre, ce n'est pas en attaquant le pays qu'on va avoir la liberté au changement de régime.

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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