Tradition, silence, prière et choix : le Père Philippe Bastié, chancelier du diocèse d’Albi et spécialiste du droit canon, nous plonge au cœur de l’un des moments les plus mystérieux et décisifs de la vie de l’Église.
Il fascine autant qu’il intrigue. À chaque conclave, les regards du monde entier se tournent vers Rome, vers cette chapelle Sixtine fermée à clé, d’où surgira la fumée blanche. Mais derrière cette image symbolique se cache un processus complexe, ancien et profondément spirituel. “Le conclave n’est pas une élection comme une autre. C’est un acte de foi, un temps de prière, un événement profondément liturgique”, insiste le Père Philippe Bastié.
Le conclave est aujourd’hui régi par la constitution apostolique Universi Dominici Gregis, promulguée par Jean-Paul II en 1996, et amendée par Benoît XVI en 2013. “Ce texte organise tout : du nombre de cardinaux électeurs (134 aujourd’hui) aux modalités du vote, en passant par l’isolement total des participants”, explique le chancelier du diocèse d’Albi.
Le mot “conclave” vient du latin cum clave : fermé à clé. Une image forte qui traduit bien la nature de cette assemblée strictement fermée au monde extérieur. “Ce verrouillage physique est le signe visible d’un isolement spirituel”, souligne le Père Bastié. “Il ne s’agit pas d’un huis clos pour négocier des alliances, mais d’un retrait du monde pour écouter l’Esprit Saint.”
Contrairement à une idée reçue, les cardinaux ne se rendent pas immédiatement en conclave. Avant cela, ils participent aux congrégations générales, véritables temps de dialogue. “Ce moment est essentiel”, explique le Père Bastié. “Les cardinaux y partagent leur vision de l’Église, leur perception des urgences spirituelles, sociales ou géopolitiques. C’est un moment d’écoute mutuelle, pas encore de discernement personnel.”
C’est aussi un temps où l’on prend conscience de l’universalité de l’Église. “Un cardinal africain, asiatique ou latino-américain n’a pas le même rapport à la mission, à la pauvreté ou aux tensions ecclésiales”, observe-t-il. “Ces différences enrichissent le regard collectif.”
Lorsque le pape meurt ou renonce, une période s’ouvre : la vacance du Siège apostolique. Durant ce temps, aucun document officiel ne peut être signé au nom du Saint-Siège. C’est alors le cardinal camerlingue qui entre en scène. Il veille à l’administration temporaire du Vatican.
“Il doit poser les scellés sur l’appartement pontifical, briser l’anneau du pêcheur et le sceau de plomb, symboles de l’autorité du pape défunt. C’est un moment très solennel”, décrit le Père Bastié. Ce même cardinal supervisera l’organisation du conclave, accompagné d’un petit groupe de cardinaux tirés au sort tous les trois jours.
Le jour de l’entrée en conclave, les cardinaux prêtent serment de confidentialité, sous peine d’excommunication. “Ils s’engagent à ne communiquer avec personne, à ne pas former de groupes ou conclure des alliances. C’est un des points les plus insistants de la constitution : il faut préserver la liberté intérieure de chacun”, insiste le spécialiste du droit canon.
Mais plus encore que le silence extérieur, c’est un silence intérieur qui est attendu : “Le conclave est une retraite. Il y a des temps de prière, des messes, des moments de solitude. On peut comparer cela à une Pentecôte : les cardinaux sont réunis dans l’attente d’une lumière venue d’en haut.”
Chaque jour, plusieurs scrutins ont lieu. Les bulletins sont brûlés, et la couleur de la fumée qui s’échappe de la cheminée indique le résultat : noire en cas d’échec, blanche en cas d’élection. “Cela peut paraître désuet, mais c’est un des derniers signes visibles d’un processus entièrement caché, sacré, mystérieux”, commente le Père Bastié.
Et puis un nom surgit. L’élu est aussitôt questionné : Acceptasne electionem de te canonice factam in Summum Pontificem ? — “Acceptes-tu ton élection comme Souverain Pontife ?” Si oui, il devient pape sur-le-champ. “Il ne rentre pas chez lui. Il change de nom, de vie, et endosse une mission immense. C’est un vertige spirituel”, souligne le chancelier.
Le conclave n’est pas seulement une affaire de cardinaux. “C’est toute l’Église qui est en prière pendant ce temps. C’est le peuple de Dieu qui attend, qui espère, qui soutient dans le silence”, conclut le Père Bastié.
C’est cette dimension que l’on oublie souvent : derrière les murs du Vatican, c’est un discernement communautaire et universel qui s’opère. L’élection d’un pape n’est pas un tournant institutionnel. C’est un acte de foi.
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