Comment lisait-on la Bible au Moyen-Âge ?
La Bible historiale, rédigée par Guyart des Moulins vers la fin du XIIIème siècle, est l'une des premières traductions du livre sacré en langue française. Xavier-Laurent Salvador, professeur agrégé de lettres modernes et maître de conférences en langue et littérature médiévales à l’Université Sorbonne Paris Nord, a écrit le livre "Les Secrets de la Bible au Moyen-Âge" aux éditions du Cerf pour apporter un éclairage historique.
Guyart des Moulins © Wikimedia CommonsContrairement à une idée reçue, l’intérêt pour la Bible ne commence pas avec Luther et la réforme.
"Si je prends l’exemple de la Bible historiale en particulier, c’est une Bible des familles, sans aucun doute", affirme Xavier-Laurent Salvador. Pour ce dernier, le livre était lu par des personnes lettrées, via une lecture à haute voix. "On ne lit pas au Moyen-Âge comme on lit aujourd’hui pour soi", souligne-t-il.
Une Bible enrichie d'images
Sans doute considéré comme une encyclopédie et un ouvrage didactique, l'autre particularité est que le livre est enrichi par des images, comme celle d'un chamois dans le passage de la Création, par exemple. "Sans doute qu'il a été ajouté pour faire plaisir aux enfants de la famille du seigneur local", selon X.-L. Salvador.
L'auteur, considéré comme l'un des trois spécialistes mondiaux de la Bible historiale, s'est déjà consacré à cet ouvrage avec un fac-similé, une reproduction à l'identique, publié aux éditions des Saints-Pères. Cela a fait l'objet d'un reportage dans le journal de TF1.
Lors de ce passage dans la British Library, il raconte : "Au moment où nous avions ouvert le manuscrit, il est tellement beau et tellement riche que les caméras n’arrivaient presque pas à le filmer, tellement il y avait d’or. La pièce était enluminée par le livre. On aurait dit ces images de dessins animés avec la lumière qui jaillit du livre et la pièce complètement baignée de lumière".
Un ouvrage pourtant méconnu
Pour autant, la Bible historiale reste méconnue, hormis chez les médiévistes. Pour l'auteur, "sans doute parce que l'histoire moderne de la philologie et ensuite, la grande tradition avec en Angleterre, King James Version (la Bible du roi Jacques, ndlr), la Bible d'Olivétan et puis la grande tradition de l'école de Port-Royal au XVIIème siècle, qui ont voulu doter la Bible d'une élégance et d'un raffinement, ont fini par effacer ou réformer en tout cas le rapport au texte".
Il ajoute : "Ce dont témoigne la Bible historiale, c'est que le rapport qu'on a au texte au Moyen-Âge n'a rien à voir avec le rapport qu'on a aujourd'hui".
La présence d'histoires juives
Pierre le Mangeur (1100-1179) a été chancelier de l'université de Paris, un siècle avant la publication de la Bible historiale par Guyart des Moulins. Le professeur agrégé rappelle que ses recueils encyclopédiques se faisaient "au prisme des histoires de la Bible", dont ses sources tirent en partie d'histoires juives, notamment celle de Flavius Joseph.
Par ailleurs, de nombreuses histoires juives se retrouvent dans la Bible historiale. X.-L. Salvador fait référence à celle de Moïse, selon laquelle il serait bègue, après avoir dévoré un charbon. Cet élément historique, connu des Juifs, a pourtant disparu des enseignements.
Pour expliquer l'expurgation du texte par les protestants, jugeant les éléments cités précédemment comme fabuleux ou historiquement datés, l'auteur met en avant l'Hebrica veritas (la vérité est en hébreu) de Saint-Jérôme. Pour lui, il doit être compris de deux façons, dans la lettre et dans l'esprit. "En réalité, la Grande Réforme et même la tradition catholique moderne retournent à la lettre du texte", dit Xavier-Laurent Salvador.
Sur ce dernier point, le maître de conférences ajoute : "Moi, souvent, je dis que si vous pensez que la vérité est dans l'hébreu ou dans l'araméen, convertissez-vous et apprenez l'araméen. C'est la vérité dans la lettre".
Il estime que les médiévaux avaient une approche "très moderne" en raison de l'attachement à la transmission de l'esprit, plutôt qu'à la lettre. "Ils font parler Pharaon et la mère de Moïse comme un homme du XIIIème siècle", a-t-il affirmé.
Pour M. Salvador, bien qu'on ait conservé l'esprit, les enseignements et les histoires, par tradition, il n'y a pas forcément de compréhension.


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