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Chanvre en Auvergne Rhône-Alpes : un nouveau filon textile ?

Un article rédigé par Anaïs Sorce - RCF Lyon, le 14 juin 2024 - Modifié le 14 juin 2024
Tempo · Le podcast d'actualité de RCF LyonLe chanvre, avenir de la filière textile dans la région ?

Alors que l'industrie textile serait la deuxième industrie la plus polluante dans le monde, des initiatives émergent pour rendre la production de vêtements plus vertueuse. En Auvergne Rhône-Alpes, une start-up s'est lancée le défi un peu fou de monter une filière de chanvre.

La filière chanvre textile n'en est qu'à ses balbutiements en Auvergne Rhône-AlpesLa filière chanvre textile n'en est qu'à ses balbutiements en Auvergne Rhône-Alpes

Il faut s'éloigner de la route départementale 75, dans le Nord-Isère, pour trouver le champ de Didier Boichon. Á proximité de Crémieu, rien ne semble particulièrement différencier sa parcelle de celle de son voisin. Pourtant, en s'y penchant de plus près, les petites feuilles vertes qui y poussent ressemblent à s'y méprendre à celles de cannabis. Et pour cause : il s'agit de chanvre, à destination de l'industrie textile. Les deux plantes appartiennent à la même espèce, Cannabis sativa L, mais leur désignation diffère selon leur teneur en THC : le chanvre en contient moins de 0,2 %, contrairement au cannabis thérapeutique ou récréatif, qui en comprend entre 5 % et 20 %. 

Chanvre : le démarrage d'une filière innovante en Auvergne Rhône-Alpes

Didier Boichon est céréalier à Chozeau, paysan depuis 23 ans. Il transforme ses céréales en pains que sa compagne vend aux particuliers à la ferme Grains de Farines​​​​​. Leur GAEC est discret et les ventes tournent bien, les mardis et vendredis après-midis. Ce n'est donc pas une question d'argent uniquement si l'agriculteur s'est lancé, il y a deux ans, dans l'aventure Aura Chanvre.

Ce qui a motivé Didier Boichon à planter un peu plus de deux hectares de chanvre parmi sa centaine d'hectares en culture bio, c'est le projet. « J'avais déjà fait un petit peu de chanvre et j'avais trouvé cette culture très intéressante, assez résiliente. Pas forcément simple à produire mais simple au niveau intrants. Donc quand j'ai entendu parler de ce projet de chanvre textile qui cherchait des producteurs, j'ai levé le doigt. Ce qui m'a plu surtout, c'était le démarrage d'une filière, quelque chose d'innovant. Peut-être que ça n'aboutira pas à un côté industriel mais je trouvais ça joli de porter ma pierre à l'édifice » explique-t-il en souriant.

Didier Boichon a planté 2,2 ha de chanvre sur sa parcelle
En trois mois, le chanvre peut atteindre trois à cinq mètres de hauteur
La feuille de chanvre ressemble à la feuille de cannabis

Le chanvre, une culture de rotation pour l'été

La filière n'en est qu'à ses balbutiements : seuls quatre agriculteurs produisent dix hectares de chanvre dans le Rhône, l’Ain et l’Isère. D'autres se lancent dans la Loire. Grâce à Aura Chanvre, Didier Boichon est payé pour sa production mais il n'a aucune certitude qu'elle deviendra un tee-shirt demain. « C'est joli parce que c'est une exploration, c'est quelque chose qu'on découvre tous ensemble avec Aura Chanvre et c'est un peu une aventure !  » se réjouit le nouvel administrateur de la start-up lancée en 2020 par Charlotte, juriste et professionnelle du textile, et Margaux, ingénieure en mécanique. Tous sont « convaincus de l’importance de créer des projets viables économiquement, socialement et écologiquement ».

Depuis deux ans, les producteurs tâtonnent, essaient et découvrent comment appréhender cette culture qui se présente comme une nouvelle culture d'été. Semé en mai, récolté à la fin de l'été, le chanvre peut mesurer jusqu'à cinq mètres en quelques mois. Le tout, sans intrants, en étouffant les mauvaises herbes et en demandant peu d'eau, sans être sujet au stress hydrique comme le sorgho. Ça tombe bien : Didier Boichon n'irrigue jamais ses cultures.

Des premiers essais de chanvre textile concluants

Dans son hangar, au milieu de ses tracteurs, trône une petite vingtaine de bottes de chanvre, récoltées l'an dernier. Si elles ne sont pas encore parties au défibrage, c'est-à-dire en usine pour devenir le fil le plus long possible, « on travaille avec Aura Chanvre avec les industriels et les filatures au sein du réseau pour qu'ils nous apportent leur expertise et leurs attentes » explique Didier Boichon. Et ça avance : début juin, un premier test de broyage de bottes rondes entières dans un broyeur lent a été réalisé avec succès chez Dombes Compost. L'occasion pour le réseau régional de confirmer, notamment, que les fibres sont assez longues pour un usage textile même s'il reste encore du travail pour parfaire la séparation de la chènevotte, partie ligneuse du chanvre, et des fibres.

Le textile se réinvente dans la région Auvergne Rhône-Alpes

Dans la profession, les producteurs de chanvre restent malgré tout perçus comme des excentriques. Pierric Chalvin, le délégué général d’Unitex, la plus importante organisation professionnelle régionale textile de France, rappelle que la production de chanvre textile régional reste minoritaire et qu'en France, l'industrie textile serait particulièrement vertueuse. Pourtant, des initiatives sont montées pour permettre de réduire les dépenses d'énergie notamment. D'autres misent plus clairement sur de nouvelles fibres moins polluantes.

C'est le cas des Tissages de Charlieu, entreprise dans la Loire engagée dans la structure Nouvelles Fibres Textiles, à Amplepuis, qui vise à réemployer des textiles pour en faire des fibres recyclées. « Pour nous, les fibres écoresponsables, c'est les matières recyclées, les fibres issues de l'agriculture française, en particulier le lin, le chanvre et la laine et le coton bio » détaille Eric Boël, président des Tissages de Charlieu et de Nouvelles Fibres Textiles. « Le recyclé pour l'instant, c'est les plus gros volumes mais elles sont toutes bonnes, il ne faut pas polariser les fibres les unes par rapport aux autres ». 

Si des prototypes de fil de chanvre à partir de matière première produite en Auvergne-Rhône-Alpes ont été réalisés, le chemin à parcourir avant de développer une filière industrielle est encore long. Et il passera forcément, à la fin, par un choix des « consomm'acteurs » comme les appelle Didier Boichon. 

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