Cédric Villani : l’émerveillement du vivant et la joie des mathématiques
Invité des Grandes Conférences Catholiques à Bruxelles, Cédric Villani a fait salle comble à Bozar devant deux mille personnes. Le mathématicien médaille Fields, ancien député et écologiste convaincu, offre à Jacques Galloy sur RCF / CathoBel un échange où les équations côtoient la poésie, Darwin, Rilke, saint François d’Assise et le pape François.
Cédric VillaniCe qu'il faut retenir :
- Cédric Villani, mathématicien et poète, chiffres et lettres
- Nouveau livre "leçons de mathématique joyeuse"
- L'émerveillement du vivant et des équations
- Cédric Villani proche de la pensée du pape François et de Laudato Si'
Le besoin d’engagement de Cédric Villani
Derrière la lavallière et la célèbre broche en forme d’araignée, se cache un homme sensible habité par la curiosité et la contemplation. « J’ai toujours été attiré par les questions d’organisation, de débat public », confie-t-il. De la présidence de l’association des élèves de l’École normale supérieure à la direction de l’Institut Henri Poincaré, Villani a toujours ressenti le besoin de s’engager : « C’était quelque chose qui me possédait et me forçait à prendre position sur la place publique ».
Sur le plan politique, il assume son évolution : « Je me suis gauchisé avec le temps. » Et d’expliquer ce mouvement intérieur comme un choix du cœur : « Le monde dans lequel nous sommes est en mauvaise santé. Il a besoin d’être bouleversé pour sa propre survie. »
Laudato si’, un chef-d’œuvre écologique
Ce bouleversement, Villani le relie à une vision chrétienne et humaniste, inspirée du pape François. « S’il y a un projet politique avec lequel je me suis senti en phase, c’est celui du pape François », affirme-t-il. Cédric Villani a rencontré le pape François quelques fois en tant que membre de l’académie pontificale pour les sciences depuis 2016. L'Académie pontificale pour les sciences est une institution du Vatican qui a pour mission de promouvoir la science, avec un accent sur les sciences naturelles et mathématiques, afin de servir le développement de l'humanité. Elle rassemble des scientifiques du monde entier, des hommes et des femmes, choisis pour leurs compétences scientifiques, indépendamment de leur confession.
L’encyclique Laudato si’ demeure, selon lui, « le texte le plus abouti, le plus organisé jamais écrit par un chef d’État sur le dérèglement écologique en général, climatique en particulier. » L’encyclique a pour lui une force politique et intellectuelle qui dépasse le cadre religieux : « Même à l’agnostique que je suis, [elle] avait une résonance extraordinaire, intellectuelle et politique. »
Il juge que Laudato si’ pourrait servir de base à un grand projet écologiste mondial : « La vision qui est évoquée est tellement forte et tellement œcuménique qu’elle pourrait facilement servir de base à une sorte de manifeste écologiste international. » Il insiste sur le fait que le texte part d’un “fond matériel” commun à tous les humains : « Commençons par nous accorder sur ce fond matériel qui nous relie tous… et sur lequel nous devrions tous être d’accord. » Il apprécie aussi la rigueur scientifique de l’encyclique : « Le texte a été rédigé avec l’aide de scientifiques internationalement reconnus. Il est très précis sur les références. »
Replacer l’humain au centre
Bref, pour Cédric Villani, Laudato si’ est à la fois un chef-d’œuvre écologique, un texte politiquement inspirant, et un pont entre croyants et non-croyants autour de la protection du vivant et de la “maison commune”.
Pour le mathématicien devenu militant, l’écologie et la justice sociale sont indissociables : « Les rapports équitables entre les humains, entre les peuples et avec la planète font partie du même combat. » Il admire chez le pape François cette capacité à replacer l’humain au centre, tout en reconnaissant « le pouvoir d’inspiration des peuples premiers », dont les savoirs ancestraux sur la nature « peuvent aujourd’hui nous apprendre à gérer durablement nos ressources ».

Sources d’inspiration de Cédric Villani
Interrogé sur son enfance, Villani évoque un livre fondateur : La Vie sur Terre, inspiré de Darwin. « J’étais un petit enfant timide, passionné de livres. Ce livre m’a fasciné : la diversité du vivant, la symbiose entre les espèces, la beauté des forêts tropicales… » Cet émerveillement ne l’a jamais quitté. « Le vrai sujet qui a été l’amour de ma vie, c’est la contemplation du vivant dans sa grande diversité. »
Ses sources d’inspiration se prolongent à travers des figures comme Jane Goodall. « À 90 ans, elle parlait sans effort, avec passion. C’était le visage d’une femme qui avait passé sa vie à chercher, comprendre et s’émerveiller. » L’émerveillement, encore et toujours — jusque dans les mathématiques.
Poète à ses heures, Cédric Villani cite avec ferveur Le Livre de la pauvreté et de la mort de Rainer Maria Rilke, hommage à Saint François d’Assise. « Il y a d’abord la mort, source de toute chose », explique-t-il, « puis la pauvreté, non pas le dénuement, mais la sobriété qui vous ramène à l’essentiel. » Il récite les vers du poète : « Où est-il, le frère aux pieds nus des bêtes des champs, qui savait voir l’éternité dans toute chose ? Où est celui qui sut trouver sa force dans la grande pauvreté ?… Il allait par les prés en parlant aux fleurs, comme on parle à des frères. » Et d’ajouter : « Le poète, c’est celui qui trouve les mots qui éveillent en vous. » Pour Villani, Rilke et François partagent cette même sagesse : « La faculté de s’émerveiller devant les choses banales, la lumière du monde vivant et la beauté du dépouillement. » Chez lui, la science et la poésie se rejoignent dans une même quête d’émerveillement et d’unité.
La beauté d’une équation mathématique
Pour le célèbre mathématicien, la beauté d’une équation est comparable à celle d’un poème : « Une équation peut être belle et merveilleuse parce qu’elle met en relation des choses inattendues. » Son sujet de recherche, l’équation de Boltzmann, illustre cette poésie cachée du monde : « La science, comme le vivant, se nourrit en permanence des idées passées. C’est un écosystème. »
Face à l’intelligence artificielle, il appelle à la lucidité : « Ce qu’il faut craindre, ce ne sont pas les machines, mais les humains asservissant les autres humains à l’aide des machines. » Il distingue les usages vertueux, « lorsqu’elle sert à soigner, à éduquer, à mieux comprendre », de ceux qui nourrissent la domination et la guerre. Pour lui, « le défi principal est de maintenir la motivation pour travailler et comprendre, car c’est là que réside la vraie joie de la connaissance ».
Cédric Villani publie un nouveau livre : "Leçons de mathématiques joyeuses"
Son nouveau livre, "Leçons de mathématiques joyeuses" (Cherche Midi), prolonge cette conviction : la joie de découvrir, d’apprendre et de relier les mondes. « Les mathématiques sont une démarche poétique », dit-il, « une façon d’exprimer la beauté du réel. » Avec Cédric Villani, les chiffres se font musique et les équations deviennent prières silencieuses à la gloire du vivant.


