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Budget de la Sécurité Sociale : "le feuilleton est loin d'être terminé", affirme le politologue Jean Petaux

Budget de la Sécurité Sociale : "le feuilleton est loin d'être terminé", affirme le politologue Jean Petaux

Un article rédigé par PHD - RCF, le 10 décembre 2025 - Modifié le 10 décembre 2025
L'Invité de la MatinaleLe budget de la Sécurité Sociale adopté : la fin des ennuis pour Sébastien Lecornu ?

C'est une victoire pour Sébastien Lecornu. Malgré un vote très serré - gagné à 13 voix près -, le Premier Ministre a réussi son pari : faire passer le vote du budget de la Sécurité sociale à l'Assemblée sans recourir à l'article 49.3. Au prix de sérieux compromis : suspension de la réforme des retraites jusqu'à la prochaine présidentielle, et hausse de la CSG. Au micro de Pierre-Hugues Dubois, Jean Petaux analyse les conséquences sur la vie politique. 

Jean Petaux est politologue. Crédits : DRJean Petaux est politologue. Crédits : DR

Retrouvez ici la vidéo intégrale de l'invité de la matinale, tous les jours en direct à 8h10 sur la chaîne Youtube de Radio Notre-Dame.

Nouveau coup de poker donc pour Sébastien Lecornu. Il avait eu l'audace de la démission et en était sorti renforcé. Cette fois, il n'utilise pas le 49.3. Peut-il se réveiller avec l'esprit plutôt léger ce matin ?

Jean Petaux : Oui, alors ça peut être d'une courte durée parce que vous avez dit vous-même que le feuilleton est loin d'être terminé. On est sur une séquence longue. Pour le projet de loi de finances sur la sécurité sociale, il doit y avoir une troisième lecture à l'Assemblée nationale dite définitive la semaine prochaine, où il y a fort à penser ou parier que le vote soit à peu près comparable à celui qui est advenu hier. Plus compliqué, c'est le budget général de la France qui doit être voté si on ne veut pas passer par d'autres mécanismes avant le 31 décembre.

C'est la première fois depuis 2022 que le projet de loi de financement de la sécurité sociale est adopté sans l'article 49.3. Sébastien Lecornu a pris un risque. Peut-il prendre le même risque pour le budget de l'État ?

Oui, d'une certaine façon, il y est presque conduit puisqu'il a pris cet engagement dès le début de ce nouveau gouvernement. Vous vous souvenez des péripéties qui ont vu naître ce gouvernement dit Lecornu 2 : de ne pas utiliser cet outil constitutionnel du 49.3. Malgré d'ailleurs un certain nombre de conseils, y compris qu'ils viennent des rangs du Parti socialiste. On peut rappeler que François Hollande lui-même estime que se priver du 49.3  restreint la marge de manœuvre de l'exécutif. Ce projet de loi de financement sur la sécurité sociale est un dispositif mis en place sous Alain Juppé après les grèves de 1995 ; c'est la première fois qu'un PLFSS est voté ainsi après une aussi longue période de discussion.

On n'a pratiquement pas vu Sébastien Lecornu depuis un mois, et pourtant il réussit à faire passer le budget de la Sécurité Sociale. Cela montre-t-il que le battage médiatique autour des précédents Premiers ministres n'apporte pas de résultats ?

C'est une très bonne remarque. En réalité, les parlementaires et surtout les députés ont beaucoup vu Sébastien Lecornu. Il a été très présent au banc des ministres, en particulier quand ça chauffait, ou quand il fallait arbitrer. Ce projet de loi de finances de la Sécurité sociale concentre sur lui un certain nombre de critiques, de plusieurs horizons, et pourtant il a été l'objet d'un compromis. Pour réaliser un compromis, il faut donner les moyens de le faire — et ce n'est pas forcément dans les studios de radio ou sur les plateaux télé que cela se passe.

Emmanuel Macron, lui, semble sorti plutôt affaibli. La suspension de la réforme des retraites était une de ses grandes mesures. Quel impact pour le Président ?

Je ne saurais sonder le cœur et l'âme du Président. C'est sûr que la réforme des retraites pour le second quinquennat était un totem, avec la politique de l'offre en économie. Le fait que Sébastien Lecornu ait osé, et ait mis la possibilité de revenir sur ce texte dans la balance pour accepter Matignon, c'est un caillou dans la chaussure du Président. Mais le fait essentiel est qu'il n'a pas de majorité parlementaire. Les 93 abstentions qui ont permis, au seuil de la majorité, de réduire l'écart à 13 voix entre pour et contre montrent bien qu'il n'y a plus de majorité présidentielle à l'Assemblée nationale.

Les députés apprennent-ils le difficile art du compromis ? Cela surprend certains observateurs.

Oui, c'est une nouveauté dans le paysage politique français. L'absence de culture du compromis tient à la matrice de la Ve République : pendant des décennies, la bipolarisation permettait de dégager une majorité claire. Depuis 2022, et surtout 2024, les blocs ont volé en éclats — on compte aujourd'hui onze groupes parlementaires à l'Assemblée nationale — et cela ouvre la voie à des pratiques plus négociées.

Si on peut revenir sur des lois déjà votées pour obtenir un accord politique, n'est-ce pas la porte ouverte à des dérives et à une instabilité chronique ?

On peut le lire ainsi, oui. L'autre lecture consiste à poser comme principe qu'en démocratie une majorité peut ce qu'une autre majorité a fait. Seuls les principes constitutionnels sont supérieurs et plus difficiles à modifier. La suspension de la réforme est symbolique : ce n'est pas la suppression, mais une suspension jusqu'à la prochaine présidentielle, donc jusqu'en janvier 2028 dans les faits, et elle comporte des effets concrets — par exemple certains retraités pourront partir à 62 ans et 9 mois au lieu de 63.

Analysons les conséquences pour les partis : les insoumis accusent Olivier Faure d'avoir allié le PS à Lecornu. Qu'en est-il ?

Le vocabulaire politique doit être relativisé. Les noms d'oiseaux pleuvent des deux côtés. Le parti socialiste, engagé depuis le gouvernement précédent dans une voie de compromis, a choisi de ne pas provoquer une dissolution — ligne "Hollande" qui a emporté la décision, avec Olivier Faure et Boris Vallaud. L'idée était de gagner du temps pour aller jusqu'à la présidentielle. L'ultime ratio du groupe socialiste a été d'éviter la dissolution, d'où ce soutien au PLFSS, qui devrait se renouveler au prix de nouvelles discussions pour le budget général.

Les prochaines élections, ce sont les municipales. Dans certaines communes, il y a une alliance entre les socialistes et les insoumis. Est-ce que cette bisbille, à l'échelle nationale, entre insoumis et socialistes, ne risque pas d'affaiblir certains candidats de gauche aux élections municipales ?

Il faut à la fois comprendre que les élections municipales fonctionnent comme la partie d'un tout, qui est la vie politique nationale, mais également avec des spécificités locales et des nuances qui correspondent à autant de configurations territoriales et municipales. Et c'est ça qui est très intéressant dans ce scrutin, dans ce scrutin qui est hybride, selon une expression, selon un terme qu'on emploie de plus en plus. C'est un mélange, on se rappelle, des facteurs locaux de la vie politique et des éléments de structure nationale. Et par exemple, dans la vie politique française, on a vu comme ça, y compris d'ailleurs, par exemple en 1977, où l'Union de la gauche fonctionnait, on a vu des situations locales qui étaient dérogatoires. au programme commun du nord de la gauche, où vous aviez des socialistes qui, d'une manière ou d'une autre, siégeaient encore dans des municipalités, y compris les villes moyennes, avec des gens du centre droit qui étaient, par exemple, proches de l'UDF.

On a parlé de l'union des gauches, parlons de l'union des droites, puisque Nicolas Sarkozy, qui sort aujourd'hui son livre, parle justement de la disparition du front républicain. Le temps de l'union des droites est-il venu ?

Écoutez, c'est un des aspects pertinents et importants des besoins qui vont venir par rapport à la future présidentielle. La question, c'est est-ce qu'on va assister à une recomposition des droites entre la droite vite républicaine et la droite vite nationale, au profit de la droite nationale, au profit du rassemblement national, bien sûr, comparable à ce qu'on a connu à gauche dans les années 70 jusqu'en 81, entre le PC, le parti communiste français, et le parti socialiste. Ça s'appelait l'union de la gauche, avec l'ajout du mouvement des radicaux de gauche à l'époque, l'actuel PRG. Ou est-ce qu'il va y avoir le maintien, dans des couloirs séparés, de la droite héritière du gaullisme, d'un côté, et du frontisme et du lepénisme de l'autre. Ça, c'est la question qui va être l'une des trois questions futures. Moi, j'aurais tendance à considérer que la droite vite républicaine, c'est-à-dire celle de M. Retailleau évoquée, est quand même dans un état de faiblesse tel qu'il va être compliqué de résister à la force magnétique que représente aujourd'hui le rassemblement national.

Edouard Philippe, lui, a choisi une option audacieuse en appelant à demi-mot à la démission du chef de l'État. Edouard Philippe est-il prêt à jouer le tout pour le tout, quelque part, pour obtenir une place sur la ligne de départ de la présidentielle de 2027 ?

Alors, à mi-mot, permettez-moi de vous dire que c'est un peu euphémisé. J'aurais plutôt tendance à dire à trois quarts de mot, maintenant. Le comportement du groupe Horizon montre bien qu'en choisissant l'abstention, hier, pour le vote, il n'a pas participé, il n'a pas voulu qu'on le rende responsable d'un échec gouvernemental. Je crois qu'Edouard Philippe est assez marqué, lui et son entourage en particulier, son conseiller politique, un des plus proches, Gilles Boyer, parlementaire européen, ils sont assez marqués par l'échec d'Alain Juppé à la primaire de 2016, la primaire de la droite et du centre, pour la présidentielle de 2017.

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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