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Bac et inégalités scolaires : « La mobilisation financière de l'État dans les quartiers populaires est bien moindre »

Bac et inégalités scolaires : « La mobilisation financière de l'État dans les quartiers populaires est bien moindre »

Un article rédigé par Anaïs Sorce, Manon Cobham - le 24 juin 2025 - Modifié le 24 juin 2025
L'invité de M Comme Midi · RCF LyonFace au bac, les inégalités territoriales mettent en difficulté les élèves

Le mois de juin sonne l'heure du bac pour les lycéens. L'édition 2025 s’est ouverte vendredi 13 juin pour un demi-million d’élèves de première qui ont passé l’épreuve anticipée de français. Des épreuves qui ne sont pas préparées de la même manière partout dans la métropole de Lyon. Thomas Rigaud, délégué métropolitain de l'AFEV, association qui lutte contre les inégalités éducatives, revient sur les différences sur le territoire.

Face au bac, les inégalités territoriales mettent en difficulté les élèves - Mche Lee via UnsplashFace au bac, les inégalités territoriales mettent en difficulté les élèves - Mche Lee via Unsplash

RCF Lyon : Le ministère de l’Éducation nationale publie depuis 2023 les indices de position sociale (IPS) des écoles. Il prend en compte le diplôme des parents, leurs revenus, leurs pratiques culturelles ou encore leurs conditions de logement. Dans la métropole de Lyon, on note de profondes inégalités sociales entre les établissements de l’est et de l’ouest lyonnais, et ce dès le collège. Est-ce que ça veut dire que les élèves de l'est de la Métropole partent d’office désavantagés face aux examens ?

Thomas Rigaud : Ça veut dire que oui, il y a de profondes inégalités sociales, en tout cas. Dès le collège, et je dirais plus, dès l'école primaire, même dès la maternelle, on constate de grandes différences et des inégalités sociales très criantes qui jouent sur la réussite des élèves.

« Leur donner les billes pour réussir, les aider à faire leurs devoirs, à comprendre ce que l'école attend d'eux »

RCF Lyon : Quand on croise ces données de l'IPS avec la réussite au bac, il y a des similitudes. Quelles sont les inégalités territoriales les plus marquantes ? Il y a des vraies différences selon qu'on soit à Vaulx-en-Velin, à Neuville-sur-Saône ou à la Croix-Rousse ?

TR : Oui, il y a de vraies différences et elles ont lieu tout au long de la scolarité. Prenons l'exemple de la question des cours particuliers. En réalité, il y a une différence sociale profonde. Les familles aisées ont les moyens de payer des cours particuliers pour leurs enfants, du coaching scolaire. Aujourd'hui, il y a des plateformes en ligne payantes qui permettent aux élèves de mieux réussir. Ce qui n'est pas le cas des familles populaires. Elles peuvent se tourner vers des associations comme l'AFEV ou des structures d'éducation populaire locale. En réalité, notre travail n'est pas tellement axé sur le renforcement dans une matière.

Quand on va mobiliser un étudiant au domicile d'une famille, ce n'est pas pour l'aider à avoir une meilleure note en anglais, c'est pour l'aider à mieux réussir son parcours scolaire, son année, de la primaire jusqu'au bac.

On va chercher des étudiants parce qu'ils ont réussi un parcours scolaire, pas parce qu'ils sont bons dans une matière. L'enjeu, c'est de leur donner les billes pour qu'ils réussissent, pour qu'ils réussissent à faire leurs devoirs, à comprendre ce que l'école attend d'eux et qu'ils se remettent dans leur parcours scolaire.

On entend souvent le discours qu'il y a des moyens supplémentaires très forts dans les quartiers populaires. Rien que cet exemple montre une vérité tout autre. Les familles aisées peuvent déduire des impôts les factures qu'elles payent aux structures privées. Une structure comme l’AFEV est financée par l'État. Certes, c'est des moyens supplémentaires mais ce n'est pas tout à fait la même chose. Quand on touche cinq enfants, dix enfants, quinze enfants d'une école, c'est un maximum. Sur 300, 400, 500 élèves, ça n'a pas le même impact.

En réalité, la mobilisation financière de l'État dans les quartiers populaires est bien moindre. On peut prendre la question du salaire des enseignants, avec des enseignants qui sont plus anciens et qui, a priori, ont une meilleure expérience, qui sont mieux payés et qui ne sont pas dans les quartiers populaires.

Ou alors moins, même s'il y a des aides aujourd'hui qui viennent un peu contrebalancer ça. Mais si on fait la somme, la différence est palpable. Et ce n'est pas les dédoublements de classes ou autres qui vont combler cette différence.

« D'année en année, des familles de plus en plus pauvres arrivent dans ces quartiers »

RCF Lyon : Cette différence-là, qu'est ce qui peut la combler ? Parce que ce n'est pas la faute uniquement des professeurs, ni de l'Éducation nationale s'il y a ces écarts à ce sujet aujourd'hui.

TR : Non, ce n'est certainement pas la faute des profs qui font bien leur possible aux côtés de tous les autres acteurs pour y arriver. Ce n'est pas la faute des jeunes et des familles eux-mêmes. Il y a des questions très scolaires, après, il y a des questions sociales. Aujourd'hui, où vont les personnes les plus en difficulté ? Elles vont dans les quartiers populaires. L'ensemble des acteurs accompagne beaucoup de gens à la réussite, parfois à sortir du quartier. Quand ces familles sortent du quartier, elles sont remplacées par des familles encore plus en difficulté. Du logement très social, on n'en trouve que dans ces quartiers populaires.

Donc en fait, d'année en année, c'est des familles de plus en plus pauvres qui arrivent dans ces quartiers, c'est cela qui crée un écosystème qui ne fonctionne pas.

Je vais vous donner un exemple : 2011, la guerre en Syrie vient de se déclarer. Je travaille à ce moment-là pour l’AFEV à la Duchère. Le proviseur de l'époque m'appelle au milieu de l'année en me disant « Thomas, est-ce que tu peux m'aider ? J’ai une famille qui ne parle pas français, qui vient de vivre la guerre, le bombardement, qui a fui seule avec ses affaires sous le bras… » Où est-ce qu'on les met ? On ne les met pas dans l'ouest lyonnais, on les met au collège de la Duchère qui est déjà en bas des classements de réussite sociale. Parce que c'est là où on a du logement. Alors que c'était un collège qui était déjà en grande difficulté, c'est à eux qu'on donne la mission de faire réussir.

RCF Lyon : Pour vous la mixité sociale, c'est la solution ?

TR : Oui, la mixité sociale est une condition de base. Quand vous concentrez uniquement des personnes qui sont en difficulté sociale dans un quartier, ce n'est pas facile. Ça ne suffit pas de le faire au niveau du logement, on le voit aujourd'hui sur les quartiers populaires avec les programmes de rénovation urbaine qui se font : il y a une certaine mixité qui peut arriver mais il y a un évitement scolaire très important.

Les familles les plus en capacité de connaître le système scolarisent leur enfant dans d'autres établissements.

Individuellement, il ne s'agit surtout pas de leur en vouloir, il s'agit plutôt de se demander comment créer des conditions qui soient plus favorables pour tous les élèves et pas des établissements, notamment dès le collège, mais c'est maintenant largement le cas en école élémentaire également, qui concentrent les enfants les plus en difficulté réunis.

Accès aux transports, illettrisme : « c'est presque encore plus difficile de comprendre le système scolaire »

RCF Lyon : Qu'est-ce qu'il faudrait faire pour commencer à casser ce cercle vicieux ?

TR : Le point de départ c'est la mixité sociale, que tout le monde joue le jeu de la construction des logements sociaux. C'est primordial, le point de départ est là. Des moyens importants doivent être mis pour désenclaver les quartiers. Je vous donnais l'exemple de l'aide aux devoirs mais on peut prendre celle du transport : quand vous faites un tramway dans un quartier populaire c'est la politique de la ville, les financements supplémentaires pour les quartiers populaires ; vous le faites en centre-ville, c'est du droit commun. Il y a un enjeu central à construire une carte scolaire qui puisse être différente et plus mixte. Il y a des expérimentations, à Paris notamment, qui marchent !

Après, on n'enlèvera pas les difficultés individuelles et l'environnement familial, chaque personne n'a pas le même parcours. On a aujourd'hui 4 % des personnes de 18 à 64 ans qui ont été scolarisées en France qui sont en situation d'illettrisme.

L'illettrisme, il ne s'agit pas de personnes qui arrivent et qui n'ont pas été scolarisées ! Donc autant vous dire que ces personnes qui ont sûrement été en échec scolaire dans leur parcours, en décrochage scolaire à un moment donné, pour accompagner un enfant dans sa scolarité, ce n'est pas facile. Parce que ça reste l'élément central de la réussite d'un élève : comment est-ce que sa famille va l'accompagner tout au long de sa scolarité jusqu'à la préparation du bac pour qu'il réussisse ? Ce n'est déjà pas facile pour une famille qui a été diplômée d'arriver à accompagner un enfant qui lui-même peut être en difficulté, alors imaginez pour quelqu'un qui est en situation d'illettrisme…

Imaginez maintenant que la personne vienne de l'étranger, ne parle pas le français, n'ait pas été scolarisée dans son pays, c'est presque encore plus difficile de comprendre le système scolaire. On est là sur des difficultés très importantes.

« Quand vous n'avez pas une chambre à vous pour réviser au calme le bac, forcément c'est plus difficile »

RCF Lyon : Ce que vous nous dites c'est que l'environnement socio-familial compte. Le bruit, un logement surpeuplé, des responsabilités familiales, ça pèse aussi sur un enfant qui a moins la possibilité de se préparer au bac ?

TR : Oui, les conditions matérielles sont centrales. Quand vous n'avez pas une chambre à vous pour réviser au calme le bac, pour travailler et faire vos devoirs tout au long de votre scolarité, forcément c'est plus difficile. Quand vous n'avez pas vos parents derrière vous : dans les quartiers populaires, on a 32 % des familles qui sont monoparentales. Ça veut dire qu'il n’y a qu'une seule personne pour s'occuper de l'enfant, très souvent une mère. Une mère qui peut avoir un boulot précaire, je pense aux femmes de ménage qui ont souvent des horaires décalés, qui travaillent avant et après tout le monde.

Elles ne sont pas chez elles pour aider leurs enfants à faire leurs devoirs. C'est une réalité sociale. On pourrait prendre la difficulté du travail en 3×8 avec ce qu’il représente en termes d'horaires et de difficultés pour le corps.

RCF Lyon : Pourtant, l'accompagnement personnalisé intégré dans les emplois du temps des élèves est censé compenser ces écarts ?

TR : Ces dispositifs sont réels. Il y a des moyens qui sont mis. Des volontaires en service civique de l'AFEV interviennent dans des collèges du réseau d'éducation prioritaire, aux côtés des enseignants pour proposer des activités autour des devoirs et pour rendre autonome les élèves. Mais ce n'est pas suffisant.

Malgré les différentes annonces qui sont faites, les restrictions budgétaires en cours sont en train de restreindre ces dispositifs-là et, globalement, l'ensemble du secteur associatif. On constate depuis un an une multiplication des plans sociaux dans le monde associatif. Ça va avoir un impact durable.

C'est long de construire des structures associatives qui soient solides, qui ont une action durable. Et avoir des coupes budgétaires comme on le connaît aujourd'hui, ça fragilise durablement le milieu associatif.

Donc j'appelle les pouvoirs publics, l'État et toutes les structures qui gravitent autour à continuer leur soutien. Et puis aux collectivités locales qui sont à nos côtés, qui sont elles-mêmes mises en difficulté par ces problématiques financières, à ne pas renier sur l'appui au secteur associatif, parce que l'impact social sera considérable et sera durable. On ne reconstruira pas ça d'un claquement de doigts.

 

Pour en savoir plus sur les actions que mène l'AFEV en faveur de ses publics, notamment des actions de mentorat, d'accompagnement scolaire : renseignements sur le site afev.org

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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