Abbé Tartu. De nouvelles plaintes et un collectif : ces hommes témoignent.
Elles sont huit désormais : huit personnes au total ont porté plainte contre l’abbé Bernard Tartu pour des faits d’abus sexuels. Un comité de soutien, “Voix libérées”, s’est officiellement réuni ce mercredi 8 décembre à Tours.
Les témoignages s’ajoutent au fil des semaines : cinq nouvelles personnes ont porté plainte ces trois dernières semaines contre Bernard Tartu. Cet abbé a créé en 1954 et dirigé la chorale des Petits chanteurs à Loches, Tours et à Amboise dans les années 1990.
C.D* est un des derniers petits chanteurs à avoir porté plainte. “Je ne veux pas qu’il aille en prison. Je ne veux pas de sous, mes sous, je les construit avec mes deux mains. Je veux qu’il pardonne et qu’il avoue. C’est tout ce que je veux. Et je ne veux surtout pas que ça se reproduise sur des enfants, lâche-t-il, en sanglots. Je ne veux pas. Un enfant, c’est fragile.”
Ce Tourangeau de 56 ans a porté plainte il y a trois semaines après avoir été contacté et écouté par deux anciens chanteurs, notamment Christian Guéritauld.
“Christian est venu à la maison. Il y avait ma femme, qui n’était pas du tout au courant. Il a eu les mots et j’ai craqué. J’ai dit, “oui, moi aussi j’ai été touché”, raconte-t-il, toujours la gorge serrée. Je ne voulais pas le dire.”
Eglise : une instance de réparations
Cet ancien soliste a chanté dans cette chorale de ses six à ses 15 ans et a gardé ses souvenirs pendant près de 40 ans. “C’était présent dans ma tête, mais j’avais mis un mur, j’avais soudé le couvercle et je m’étais dit que j'emmènerai [ces souvenirs] jusqu’à ma mort”.
Ce quinquagénaire se souvient avoir subi des attouchements réguliers pendant quatre ans environ.
“Il [Bernard Tartu] nous disait, “passe à l’infirmerie, je vais te recaler la voix". Il nous masturbait, mais c’était peut-être un acte médical ? Il nous mettait les doigts dans l’anus et nous prenait les testicules, mais on ne savait pas. [...] C’était une salle, il y avait un siège comme chez le kiné, avec plein de médicaments, des gels, des dolipranes. Et pour nous, on est enfant… Et en plus, il nous disait qu’il avait fait des études de médecine… ”
Ce Tourangeau compte annoncer bientôt cette histoire à ses trois enfants, “mais ça va être dur… J’ai honte, j’ai honte. Je me suis laissé faire à l’époque…”, lâche-t-il en pleurant.
*Il souhaite rester anonyme
Comme C.D, le comité Voix libérée ne cherche pas à se substituer à la justice, mais il a, en premier lieu, permis aux victimes présumées de se retrouver et d’échanger. Ce collectif également, recherche et contacte d’anciens chanteurs pour, “que chacun parle. Que tout le monde dise la vérité. Que Tartu dise la vérité. Et que les copains qui ont malheureusement été abusés puissent parler et se libérer”, explique Christian Guéritauld.
L’autre objectif également est de retrouver de potentielles victimes dont les faits ne sont pas prescrits pour espérer relancer et rouvrir l’enquête.
"J’ai voulu en parler à mes parents en 2006 et ils ne m’ont jamais cru et m’ont injurié."
Le comité s’est en quelque sorte formé autour de la première personne qui a porté plainte en 2006 : Gilles Martin. Lui aussi a subi des agressions pendant plusieurs années, jusqu’à ses 18 ans, voire 19 ans.
Autant d’années qui ont impacté sa vie et sur plusieurs plans : "ça a brisé ma vie. J’étais en échec scolaire. Je suis devenu alcoolique. Et j’ai perdu ma famille aussi : j’ai voulu en parler à mes parents en 2006 et ils ne m’ont jamais cru et m’ont injurié. Je n’avais plus de contact avec mes parents. Il n’y a que ma femme et mes enfants qui m’ont cru".
"J'attends réparation"
Et ensuite, Gilles Martin s’est reconstruit, petit à petit. Après une dépression, il a été suivi et soigné pendant une dizaine d'années.
Aujourd’hui, il n’est plus alcoolique, il a repris ses études et dit-il, "je n’ai plus de colère. Et déjà, j’arrive à en parler sans pleurer…” Gilles Martin attend maintenant que “la justice fasse son œuvre. Qu’il [l'abbé Tartu] passe au tribunal et qu’il soit jugé. Il a brisé nos vies, répète-t-il. J'attends réparation ! ”
La plainte de Gilles, comme celles de Frédéric et Olivier Mardi en 2019, ont donné lieu à des enquêtes, à des auditions de l’abbé, mais les faits sont prescrits, donc aucun procès n’a démarré.
Mais si la justice ne peut pas donner suite à ces plaintes, en revanche, l’Eglise a démarré des actions.
Début novembre, les évêques de France ont lancé l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr). Les victimes pourront dès le mois de janvier s’adresser à cette instance qui proposera un parcours de réparation, notamment financière en fonction des cas.
Sur le cas précisément de l’abbé Tartu, peu après son arrivée en 2020 au diocèse de Tours, l’archevêque Vincent Jordy a pris des mesures pour limiter les contacts de ce prêtre.
“Il est actuellement prêtre d’une communauté religieuse où il a un rôle de célébrant. C’est dans ces conditions-là, très précises et très fermes, qu’il n’a pas d’autorisation pour quelconque autre ministère.”
L’abbé Bernard Tartu réside encore dans cette communauté, à Chinon mais, il ne devrait pas y rester”, explique le diocèse, sans plus de précisions pour le moment.
Ils attendent des actions du diocèse de Tours
Malgré tout, les frères Olivier et Frédéric Mardi, qui ont eux, porté plainte en 2019, attendent plus de l’Eglise. Ils ont récemment rencontré la cellule d’écoute du diocèse de Tours, "j’ai proposé des choses et j’attendais des contre-propositions. Comment on fait maintenant avec l’Eglise, moi qui suis catholique ? Comment je fais de nouveau confiance ? Il y a des choses qui ont été brisées. J’aimerais participer à la restauration de l’Eglise. Qu’est-ce qu’on fait ensemble ?", se demande Olivier Mardi. L’Eglise m’a beaucoup écouté, mais j’attends une mise en action.”
Pour contacter le comité Voix libérées : pcantores37@gmail.com
France Victime 37 est aussi en lien avec le collectif sur le plan juridique. La fédération nationale France victime est aussi en lien avec la Conférence des évêques de France. Une messagerie dédiée est accessible : paroledevictimes@cef.fr et une plateforme d'aide aux victimes d'abus sexuels au sein de l'Eglise est aussi disponible sur le 01 41 83 42 17.
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