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« 1 femme chrétienne sur 4 est victime » : les violences conjugales en milieu d'Église, entre déni et prévention

« 1 femme chrétienne sur 4 est victime » : les violences conjugales en milieu d'Église, entre déni et prévention

Un article rédigé par Anaïs Sorce - RCF Lyon, le 5 novembre 2025 - Modifié le 5 novembre 2025
Vitamine C autour de Lyon« 1 femme chrétienne sur 4 est victime de violences conjugales » : la théologienne Valérie Duval-Poujol, spécialiste du sujet, en conférence à Lyon

« Les auteurs de violences sont aussi de bons paroissiens ». Comment détecter les violences conjugales ? Comment mieux prendre en charge les victimes de violences physiques ou psychologiques dans l'Église ? Avant sa conférence du jeudi 6 novembre à Lyon, la théologienne spécialiste du sujet en milieu chrétien Valérie Duval-Poujol revient sur les réalités chiffrées de ces rapports de domination dans les couples, et sur les signaux qui peuvent alerter.

« La violence conjugale, que font nos Églises ? » : la plus grande spécialiste du sujet dans le milieu chrétien Valérie Duval-Poujol donne une conférence à Lyon le 6 novembre 2025 - image d'illustration Felicity Lynn via Unsplash« La violence conjugale, que font nos Églises ? » : la plus grande spécialiste du sujet dans le milieu chrétien Valérie Duval-Poujol donne une conférence à Lyon le 6 novembre 2025 - image d'illustration Felicity Lynn via Unsplash

Comment prendre en charge les violences conjugales dans l'Église ? L'Institut Pastoral d'Études Religieuses de l'université Catholique de Lyon propose une conférence sur le sujet jeudi 6 novembre. Elle sera donnée par Valérie Duval-Poujol, théologienne baptiste et vice-présidente de la Fédération protestante de France, fondatrice en 2018 de l'association Une place pour elles.

Sur RCF Lyon, elle revient sur les réalités chiffrées de la violence dans les couples dans les milieux chrétiens, et sur les signaux qui peuvent alerter.

« On a tendance à croire que nos valeurs nous protègent »

RCF Lyon (Anaïs Sorce) : Vous avez fondé en 2018 l'association Une place pour elles. Vous menez des formations auprès de pasteurs, notamment contre les violences conjugales. Quels constats dressez-vous sur ce sujet dans nos Églises ?

Valérie Duval-Poujol : Dans l'idéal, j'aurais voulu qu'il n'y ait aucune violence conjugale dans nos Églises, toutes chapelles confondues. Malheureusement, je me suis rendu compte, au fil des formations données sur d'autres sujets (les femmes de la Bible, etc.), qu'il y avait un certain nombre de victimes dans les couples chrétiens. J'ai voulu creuser davantage la question.

En effet, on estime qu'une femme chrétienne sur quatre est victime de violences conjugales. Pas seulement la violence physique (c'est bien sûr celle à laquelle on pense, on parle de « femmes battues »), mais il y a aussi la violence psychologique, la violence sexuelle, économique, et puis spirituelle, également.

Corps des femmes et violence volontaire : « Des textes bibliques mal compris, mal interprétés, ont pu devenir des armes de soumission massive »

RCF Lyon : Une femme sur quatre, c'est énorme. Pourtant, on a souvent tendance à croire que nos valeurs nous protègent. Ce n'est finalement pas du tout le cas ?

VDP : Non, surtout si l'on s'est marié à l'église : on s'est marié devant le prêtre, devant le pasteur. On a l'impression que ça va garantir quelque chose.

On se rend compte qu'en fait, les auteurs de violences sont aussi de bons paroissiens [...] avec un double jeu et une grande hypocrisie. Ce qui se passe derrière les portes est en fait souvent assez terrible.

C'est ce qui fait la difficulté des victimes aussi, c'est qu'on ne va pas les croire, c'est qu'elles ont honte, c'est que l'auteur va les isoler. Et donc, c'est d'autant plus difficile pour les victimes de nos milieux de pouvoir parler. Il y a ce qu'on appelle des facteurs aggravants : le christianisme, avec toute sa beauté, a aussi certains enseignements qui, ayant été trop poussés ou trop surlignés, ont pu rendre les choses plus difficiles pour les victimes.

Je pense à certains enseignements sur la soumission, sur le consentement, sur le pardon. Des textes bibliques mal compris, mal interprétés, ont pu devenir des armes de soumission massive.

RCF Lyon : Quels sont aujourd'hui les premiers signes que les responsables d'Église peuvent essayer de repérer dans un couple ou dans une famille ?

VDP : La violence est quelque chose de délibéré, de volontaire. C'est ça, la différence avec un conflit. Ce n'est pas une histoire de conflit, c'est une histoire d'emprise et de pouvoir. L'auteur va essayer d'isoler sa victime.

On peut voir comme un signal, [le fait d'avoir] du mal à voir la personne toute seule : si elle ne peut pas venir seule à un groupe, si elle va s'isoler et être isolée, trouver des excuses pour ne pas pouvoir venir. Ça peut contribuer justement à ces signaux faibles, à ces repères.

Mais après, c'est surtout, dans un climat de confiance, pouvoir oser poser la question régulièrement, par exemple dans les préparations au mariage, et puis avec nos proches, oser régulièrement se poser la question « est-ce que ça va bien ? » : qu'on puisse être des personnes à qui on puisse se confier et confier une situation de violence. Parce que la première difficulté des victimes, c'est la peur de ne pas être crues.

RCF Lyon : L'une des grandes craintes, quand on aborde ces questions-là, c'est d'interférer dans le couple. Comment est-ce qu'on passe de la détection à l'accompagnement de la bonne manière ?

VDP : Oui, c'est ça. La croyance, c'est de se dire « Oh, c'est du domaine de la vie privée, cela ne me regarde pas, après tout, qu'est-ce que je sais de ce qui se passe réellement ? Peut-être qu'elle n'est pas "facile" ». Alors qu'en fait, la violence conjugale, c'est de l'ordre du crime, c'est quelque chose que la loi condamne, la loi de la République, et puis aussi bien sûr la loi biblique, les textes bibliques, qui nous parlent d'amour du prochain, de respect l'un de l'autre, et du corps comme temple du Saint-Esprit, etc.

On voit que la violence conjugale est quelque chose de condamnable et qui n'est pas du domaine de la vie privée, mais qui nous concerne tous : quand nos sœurs (ce sont majoritairement des femmes, même s'il y a aussi des hommes victimes, bien sûr) en humanité, quand nos sœurs dans nos familles, nos collègues, nos voisines sont concernées, alors à ce moment-là, il s'agit, quand on a le moindre doute, de composer le numéro d'urgence, le 39 19. C'est un numéro gratuit qui n'apparaît pas sur les relevés de téléphone, et on peut poser ses questions face à des professionnels qui peuvent nous aider.

Un début de prise de conscience : « C'est quelque chose qui n'a pas été abordé dans les formations des prêtres »

RCF Lyon : Scandales sexuels, violences : depuis quelques années, les Églises sont agitées. Quelle est la prise de conscience, aujourd'hui, dans le cadre de ces violences conjugales ? Est-ce que l'Église a pris conscience de ces violences, du fait qu'elles existent aussi entre ses murs ? Comment est-ce qu'elle se positionne ?

VDP : On peut dire qu'on est au début de la prise de conscience, alors que c'est en effet l'éléphant au milieu de la pièce. J'étais très encouragée de voir que la Conférence des évêques de France [l'instance représentative de l'Église catholique en France, ndlr], par exemple, a lancé l'année dernière une formation sur le sujet, la première du genre, pour tous les acteurs de pastorale familiale. Cela, c'était de l'ordre de la prise de conscience, et on voit bien qu'il y en a la nécessité, puisque c'est quelque chose qui n'a pas été abordé dans les formations des prêtres, ou dans les formations de toutes les personnes qui sont amenées à faire de l'accompagnement.

Là, il y a un manque, et donc il y a un début de prise de conscience. Des ouvrages sont sortis, des outils et des ressources pour les Églises. On ne peut que s'en réjouir, mais maintenant il faut les faire connaître, et c'est pour cette raison qu'il y a notamment cette conférence à l'IPER sur le sujet [jeudi 6 novembre à l'université catholique de Lyon, ndlr], pour tous ceux qui ont envie de s'intéresser à la question, soit qui connaissent quelqu'un [concerné], soit qui prennent tout simplement au sérieux ces chiffres et veulent faire leur part en étant informés, sensibilisés. C'est le premier service qu'on peut rendre à des victimes potentielles, c'est d'avoir ces antennes sorties en étant informés et sensibilisés.

De l'accompagnement des victimes à la justice restaurative pour les auteurs

RCF Lyon : Quel rôle peuvent jouer les Églises dans la prévention de la violence conjugale aujourd'hui ?

VDP : Il est majeur. C'est l'enseignement que l'on va apporter à toutes les tranches d'âge : sur le consentement, par exemple. Le consentement, ce n'est pas que le jour du mariage : c'est au quotidien, dans la vie des époux. C'est l'enseignement qui va aussi être apporté aux futurs mariés, dans les préparations au mariage.

En fait, il y a aussi tout un enseignement sur que dit la Bible sur le couple, la beauté du couple : [il faut] tordre le coup à ces versets qui ont été instrumentalisés, sortis de leur contexte. « Femmes, soyez soumises à vos maris » (Éphésiens 5:22), « Le corps de la femme ne lui appartient pas » (1 Corinthiens 7:4) : on leur a fait dire ce qu'ils ne voulaient pas dire.

Là, il y a une grande responsabilité de l'Église. Mais l'Église, en fait, c'est chacun de nous.
Et donc, on peut, chacun d'entre nous, essayer de se former, de s'informer sur ce sujet.

RCF Lyon : Vous aviez participé au synode extraordinaire sur la famille au Vatican. Comment la foi et l'engagement des communautés peuvent œuvrer à la restauration des personnes qui ont été ou qui sont concernées par la violence conjugale ?

VDP : Oui, il y a d'une part la restauration des victimes, bien sûr, pour qu'elles puissent être à nouveau des personnes debout. Mais il y a aussi l'accompagnement des auteurs. Et là aussi, il y a des démarches qui sont possibles avec une justice restaurative.

On se rend compte que cette justice d'accompagnement préventive est beaucoup plus efficace que simplement les peines de prison. Mais en effet, ce travail-là, il est encore devant nous.

Un déni collectif qui concerne « tous les milieux »

RCF Lyon : Les responsables religieux que vous côtoyez, est-ce qu'ils ne voulaient pas voir ou bien qu'ils s'imaginaient que ça ne pouvait pas arriver chez eux ?

VDP : C'est un déni collectif, en se disant « Mais enfin, dans une famille de croyants où on prie, on va à l'église, ça ne peut pas exister ». Depuis la CIASE [Le 5 octobre 2021, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église, présidée par Jean-Marc Sauvé, remettait son rapport à la suite de la demande des évêques. En France, 330 000 enfants ont été victimes de violences sexuelles au sein de l’Église catholique entre 1950 et 2020, ndlr], on a bien conscience que malheureusement, l'Église n'est pas le royaume de Dieu, que l'Église n'est pas faite que de « parfait ».

Je circule dans toutes les Églises, toutes les chapelles, même dans d'autres religions : on se rend compte que c'est quelque chose qui concerne tous les milieux. C'est ça le message qu'on doit faire passer : toutes les catégories socioprofessionnelles, et donc aussi tous les milieux religieux, notamment chrétiens, sont concernés.

 

Valérie Duval-Poujol est l'autrice de Violences conjugales, accompagner les victimes (éditions Empreinte temps présent, 2020) et de La Bible est-elle sexiste ? (éditions Empreinte temps présent, 2021).

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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