
Le Grand Témoin RCF - page 4
Chaque jour, Louis Daufresne apporte convivialité et regard positif, dans un esprit critique, sur l'actualité au sens large, en compagnie d'une personnalité reconnue et issue du monde intellectuel, religieux, etc.
Episodes
26 septembre 2025La famille doit être reconnue comme un acteur économique majeur
Jean-Didier LECAILLON, économiste, professeur émérite à l’université Paris-Panthéon-Assas, spécialiste de la famille, prix Jean-Paul II 2025. Auteur de La famille au cœur de l’économie (Salvator)
C’est un peu un paradoxe de la politique et des media que l’on parle peu de ce que les gens placent au cœur de leur vie. La famille n’est plus un mot très sollicité. Sans doute l’a-t-elle abusivement par d’autres régimes en d’autres temps. En France, près de 80 % des Français vivent en famille. 71 % des enfants mineurs vivent avec les deux parents. 90 % des Français considèrent qu’avoir un enfant est source de bonheur pour les parents. Pourtant, malgré ce caractère plébiscitaire, de moins en moins d’attention est portée à la famille, qui n’a plus de ministère propre et dont les avantages fiscaux et sociaux se sont réduits depuis François Hollande. Beaucoup d’associations familiales avaient alors dénoncé une érosion de l’universalité des allocations familiales. Aujourd’hui, et pour la première fois depuis 1945, le solde naturel est négatif : entre juin 2024 et mai 2025, 651 200 décès ont été enregistrés contre 650 400 naissances. Si la politique familiale concerne l’éducation, la politique nataliste renvoie à l’incitation. Dans les deux cas, il s’agit d’un investissement. Or la science économique ne reconnaît pas la création de richesse de l’unité domestique, laquelle est perçue sous le seul angle de la consommation (ménages familiaux). Le fait qu’elle soit placée sous la tutelle des affaires sociales, comme le chômage ou la maladie, témoigne du peu de cas qu’on lui porte. Pourtant, la famille conditionne pourtant toute l’équation économique et budgétaire.
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25 septembre 2025Le bien commun, quelle efficacité politique et économique ?
Bénédicte RENAUD-BOULESTEIX, haut fonctionnaire, docteur en études politiques de l’EHESS. Co-auteur de Bien commun : quelle efficacité politique et économique de la prescription morale ? (Hermann)
Pour l’Église catholique, le bien commun est « l’ensemble des conditions sociales qui permettent à la personne, aux familles et aux groupes, d’atteindre plus pleinement et plus facilement leur perfection propre ». Il ne s’agit donc pas d’une addition ou d’une juxtaposition d’intérêts particuliers, ni d’un intérêt général abstrait. C’est ce qui rend possible l’épanouissement de chaque personne, eu égard à sa dignité et à sa vocation. Le bien commun requiert la participation de chaque citoyen qui a une responsabilité, selon ses moyens. La finalité est transcendante : le bien commun trouve son accomplissement ultime en Dieu. L’ordre social n’est pas une fin en soi mais doit ouvrir à la vie spirituelle et au salut. Un ouvrage collectif, fruit d’un colloque qui s’est tenu en 2023 à l’Institut catholique de Paris, éclaire les diverses significations de la notion de bien commun en retraçant sa généalogie de saint Thomas d’Aquin à nos jours. Mais une question demeure : quelle peut être l’efficacité de cette notion ? Comment la mettre en pratique dans une société éclatée où il existe une impossibilité de l’action commune ? Et puis, le bien commun risque d’être victime de son succès : c’est une notion miroir où chacun projette son désir d’influence, ce qui est sans doute le moins bon service à lui rendre.
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24 septembre 2025Voyage au cœur des contradictions françaises
Gilles-Martin CHAUFFIER, ancien journaliste à Paris-Match, romancier. Auteur de Les lettres qataries (Albin Michel)
C’est l’autre qui nous révèle à nous-mêmes, nous dit qui nous sommes. Quand Montesquieu écrit ses fameuses lettres persanes, c’est le regard neuf d’un étranger qui rend compte au plus juste de la réalité qu’il observe. Bien sûr, il s’agit d’un artifice, d’un procédé un peu déloyal, car ce décentrement est factice. Montesquieu n’avait rien de persan. Ce truchement littéraire, Gilles-Martin Chauffier, notamment distingué par le prix Interallié, l’utilise dans ses lettres qataries dont l’idée est de faire apparaître les bizarreries, les contradictions françaises : celles-ci font le charme de cette nation dont l’étoile brille encore, même si elle illumine moins le monde. Surtout, ce qui est typiquement français se perd ; notre pays se normalise, même si son art de vivre, où prime ce charme de l’inutile, attire encore. Il y a une impertinence, une attitude à la fois moqueuse et joyeuse, qui font l’âme de la France et qui, aujourd’hui, souffre sous les injonctions sectaires de toutes les ligues de vertus, d'une laïcité intégriste aussi, qui érigent partout des interdits de penser et de faire.
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23 septembre 2025Qu'est-ce qui nous rend humain et… inhumain ?
Martin STEFFENS, agrégé de philosophie, enseignant en classes préparatoires à Strasbourg. Auteur de Ce qui nous fait humains - une métaphysique des marges (DDB)
Les crimes contre l’humanité, expression usitée depuis les opérations menées à Gaza par l’armée israélienne, appartiennent au lexique du droit international dont ils constituent des violations très graves. Ils forment à ce titre une catégorie à part destinée à réprimer des actes commis à grande échelle contre des populations civiles. Mais, au juste, comment distinguer ce qui est humain de ce qui ne l’est pas ? La frontière ne passe pas seulement entre l’homme et l’animal mais entre les humains eux-mêmes. Martin Steffens réfléchit notamment à la notion de non-emprunt de Marcel Mauss : on choisit d’être et le groupe, craignant que son existence s’arrête, pose une limite à sa compassion. Dans quelle mesure cette conception coïncide-t-elle avec la vision chrétienne du prochain ? Le philosophe distingue en outre trois idéaux-types : le migrant, qui ne va nulle part et n’est nulle part chez lui, le touriste, qui va partout et se sent partout chez lui, et le pèlerin - que nous sommes tous - et dont il décrit le caractère singulier.
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22 septembre 2025L’euro ne pourra pas longtemps masqué l’irresponsabilité française
Didier CAHEN, économiste, délégué général d’Eurofi. Auteur de L’euro en danger (Odile Jacob)
Depuis le rapport Werner et le sommet de La Haye en 1969, les pays européens n’ont cessé d’avancer pas à pas vers l’intégration économique et monétaire. Celle-ci a servi de boussole et d’horizon à tout un discours performatif sur le progrès social que ce mouvement engendrerait, même si l’opinion se montra beaucoup plus timide, comme l’illustra le oui du bout des lèvres au traité de Maastricht en 1992 et le non à massif à la Constitution européenne en 2005. Une question se pose : la monnaie unique a-t-elle tenu ses promesses ? Ou plutôt : n’a-t-elle pas été dévoyée ? L’euro a encouragé l’indiscipline budgétaire en apportant une protection sans contrepartie, c’est-à-dire sans la responsabilité. Ainsi l’endettement est-il devenu abyssal et la dépense publique incontrôlée : elle représente environ 57 % du PIB, ce qui place la France parmi les pays les plus dépensiers d’Europe. L’union monétaire est-elle possible sans discipline économique ? Pour Didier Cahen, économiste, il faut dépenser moins, taxer moins, et travailler plus. Or, la France prend le chemin inverse de cette politique. Ce n’est pas d’argent dont notre pays a besoin mais d’investissement productif, de rémunération du risque. Si d’ici à 2027, la trajectoire de la France ne s’infléchit pas, les marchés risquent de se manifester d’une manière aussi vive que brutale.
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19 septembre 2025Couleur framboise, le spectacle de Mehdi Djaadi sur l’infertilité masculine
Mehdi Emmanuel DJAADI, comédien
Il s’était fait connaître avec le seul-en-scène Coming out, de 2019 à 2024, qui avait attiré quelque 100000 personnes. Mehdi Djaadi y retraçait son odyssée spirituelle de l’islam au catholicisme, spectacle qui lui a valu d’être nommé aux Molières 2023. L’humoriste sait aborder les questions sensibles. Comme le relève avec justesse une critique à son endroit « l'humour n'est jamais bien loin de la profondeur. Le rire, ici, c’est un liant. Une forme. Une manière de raconter. Mais ce n’est pas le rire que Mehdi Djaadi cherche à faire passer avant tout. (…) Il parle de lui, de ce qui l’a construit, de ses doutes, de ses choix, de ses failles ». À plus forte raison sur un sujet intime comme celui de l’infertilité masculine, thème de son dernier opus intitulé Couleur framboise, (mercredi et jeudi jusqu’au 11 décembre au Studio des Champs-Élysées, Paris VIIIe, mise en scène Thibaut Evrard). En ce temps d’effondrement démographique, où l’on projette qu’à terme seul un quart de l’humanité pourra engendrer, Mehdi Djaadi interroge un sujet à la fois intime et social. Il amène aussi à considérer le regard que l’homme porte sur lui, cette masculinité dont on dit parfois qu’elle est toxique. Son regard puise dans trois consciences qu’il fait dialoguer, islamique (celle de son héritage), chrétienne (celle qu’il a choisie) et athée (celle qui occupe toujours une part en nous).
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18 septembre 2025Dans quelle mesure la morale catholique peut-elle évoluer ?
Thibaud COLLIN, professeur agrégé de philosophie en classes préparatoires, chroniqueur à L’Homme nouveau. Auteur d’Un changement de paradigme dans la morale catholique ? (éditions de l’Homme nouveau)
Comme le disait Jean Daniel, grande figure du journalisme et mort centenaire, la tentation est toujours grande de « préférer l’erreur qui rapproche à la vérité qui sépare ». Cela concerne autant les hommes que les institutions. Par exemple, très tôt, l’Église milita contre l’esclavage à une époque où il était la norme. Sa lutte constante, notamment avec sainte Bathilde, lui permit d’en venir à bout mais il fallut des siècles pour cela. De même, l’Église batailla-t-elle durement pour que le consentement fût le socle et la raison d’être du mariage. Au fond, ce qui lui importe, c’est la dignité de l’homme mais cette dignité ne va pas de soi, n’est pas un donné de sa nature pêcheresse. En vertu de cette dignité, miroir de celle infinie de Dieu, l'Église, à l’époque contemporaine, prend des positions fort éloignées de l’évolution des mœurs qui s’emballa à partir des années soixante. En 1968, Paul VI publie l’encyclique Humanae Vitae. Beaucoup s’attendent à une ouverture sur la contraception artificielle mais le pape réaffirme que chaque acte conjugal doit rester ouvert à la transmission de la vie. Jean-Paul II assoit cette position dans encyclique Veritatis splendor (1993) et Benoît XVI continue dans cette voie. Le pape François marque une inflexion dans Amoris laetitia (2016). D’un texte pontifical à l’autre, la morale peut-elle évoluer ? Le philosophe Thibaud Collin s’interroge sur un changement de paradigme, expression à laquelle il préfère le développement homogène. Car inflexion ne rime pas avec contradiction. La question profonde est : sur des sujets intimes et sensibles, qui engage le corps mais aussi tout le corps social, que croire et qui croire et quelle attitude adopter devant la vie et le mystère de notre condition ?
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17 septembre 2025L'intelligence artificielle mérite d'être régulée...intelligemment, afin de protéger les plus vulnérables
Laurence DEVILLERS, professeur à la Sorbonne, chercheuse au Laboratoire d’informatique pour la mécanique et les sciences de l’ingénieur (Limsi) du CNRS. Auteur de l’IA, ange ou démon - le monde de l’invisible (éditions du Cerf)
De la reconstruction de Notre-Dame de Paris à celle, virtuelle, d'Angkor au Cambodge ou à la surveillance de sites remarquables en zones de guerre, les technologies numériques et l'IA révolutionnent la sauvegarde du patrimoine mondial. Là où Eugène Viollet-Le-Duc (1814-1879) faisait ses relevés à la main et se livrait à des campagnes de moulages en plâtre pour restaurer Notre-Dame, architectes et spécialistes du patrimoine ont aujourd'hui accès à des doubles numériques très précis du chef d'œuvre de l'art gothique, dévasté par un incendie en 2019. L’intelligence artificielle joue ici son rôle d’auxiliaire du beau et du bien. La même innovation peut se livrer à une forme de brigandage : c’est le cas avec les géants de la tech qui ont aspiré la « totalité de la musique mondiale » sans respecter le droit d'auteur, selon une organisation internationale d'éditeurs de musique. Puissance de l’invisible, l’IA n’a jamais fini de faire réfléchir aux promesses venimeuses qu’elle contient. Une sujet aussi inépuisable que la logorrhée souvent pâteuse et aseptisée de ChatGPT. La question est : comment l’IA pourrait modifier non seulement ce que nous faisons mais aussi ce que nous percevons du réel et de l’intime. Ces machines sont arrivées en 2022 sans aucun mode d’emploi, sans que l’on mesure les conséquences de leur usage sur les esprits jeunes ou fragiles. ChatGPT envisage même de s’intégrer au fabricant de poupées Mattel. Laurence Devillers ne tombe ni dans la peur irrationnelle ni dans l’enthousiasme aveugle. Elle plaide pour la régulation intelligente, alors que le discours sur l’IA est souvent l’apanage des milieux économiques qui perçoivent le gain qu’ils peuvent en faire, tant sur le plan financier qu’humain. Ne pas céder à cette vision irresponsable sera sans doute l’une des priorités du pape Léon XIV dont on pense qu’il pourrait consacrer sa première encyclique à ce sujet.
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16 septembre 2025Se souvient-on qu'Albert Camus vénérait la personne du Christ ?
Véronique ALBANEL, professeur de philosophie aux Facultés Loyola Paris, spécialiste d'Albert Camus. Auteur de Le Christ d’Albert Camus (DDB)
Sans doute, en nous écoutant, cherchez-vous un sens à votre vie, laquelle est probablement tiraillée entre le désir d’unité et le chaos du monde auquel l’actualité nous confronte tous les jours. Albert Camus, face à l’absurde, avait esquissé trois issues : le suicide (qu’il rejette), l’illusion religieuse ou métaphysique (qu’il refuse), et enfin l’acceptation lucide. Camus fut animé par une vision négative du christianisme historique, faisant reposer le monde sur la compréhension, la part d’innocence de chacun, plutôt que sur la condamnation. Il estime que l’Eglise a trahi le message du Christ, qu’il voyait aux côtés de pauvres sans terre et sans pain et non du côté des puissants et du jugement. Peut-on accepter le Christ souffrant et rejeter le salut, le sens métaphysique de ses souffrances ? Quel est ce Christ de l’homme révolté ? S’il est « impossible de christianiser Camus », ainsi que le dit Véronique Albanel, il n’est pas non plus possible de passer à côté du dialogue auquel il invite entre croyants et non-croyants. Si ses échanges avec François Mauriac ont pu être marquants, ceux-ci ne dispensent, le temps faisant son œuvre, de renouer avec sa pensée et ceux qui s’en réclament. Mort en 1960, le clergé de l’époque préconciliaire se prêtait guère au dialogue avec les subtilités camusiennes. Il y eut donc un rendez-vous manqué. Les choses eussent sans doute été différentes si l’écrivain avait vécu plus longtemps. L’écho de son œuvre étant encore si puissant qu’il n’est pas trop tard pour l’aborder sous l’angle du Christ.
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15 septembre 2025La France, terrain de chasse de la criminalité verte
Marc LOMAZZI, journaliste, ancien rédacteur en chef adjoint du Parisien., spécialiste des questions d’environnement. Auteur de Le livre noir de la criminalité verte (Calmann Lévy)
On connaissait le narcotrafic, moins l’écotrafic. De toutes les formes de criminalité, il en est une dont on parle peu, alors qu’on pourrait s’attendre que le discours politique s’en fît l’écho d’une manière aussi bruyante que résolue. Il s’agit de la criminalité verte. Jusqu’à présent, le discours écologique s’efforce de sensibiliser le citoyen, de le rendre vertueux, pour qu’il trie ses déchets et ne jette pas ses gravats n’importe où. Mais il s’intéresse peu à une réalité qui prend de plus en plus d’ampleur, à mesure que la mondialisation permet aux flux de circuler librement : c’est le brigandage de l’environnement, le pillage des forêts, des espèces protégées, l’arnaque aux dispositifs de rénovation énergétique ou le trafic de déchets. Sur tous points, la France est un terrain de chasse de premier choix. Pourtant, les autorités agissent, autant qu’elles le peuvent, dans l’attente de la création d’un parquet national et d’une structure policière centralisée et dédiée.
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12 septembre 2025Quand un banquier pratique le dénuement volontaire
Hugues LE BRET, ancien membre du comité exécutif de la Société Générale, ancien président de Boursorama, cofondateur du compte Nickel. Auteur de Le chemin de soi, une traversée des Pyrénées par le GR10 (Les Arènes)
Sortons de la politique et de ses impasses pour s’ouvrir un chemin, le chemin de soi, sur lequel a marché Hugues Le Bret, chef d’entreprise et randonneur, à l’aune d’une traversée des Pyrénées par le GR 10 qu’il a accomplie en 2023, en Saint-Jean-de-Luz et Banyuls. Les vertus de la marche sont connues et on sait que la randonnée est pratiquée par 27 millions de Français. Hugues Le Bret l’envisage sous l’angle d’un ermitage, afin que la solitude fasse éclore le bouquet de toutes les senteurs de la vie, loin de toutes les pollutions, atmosphériques ou médiatiques. L’ancien cadre de la Société Générale, très marqué par l’affaire Kerviel, s’exprime aussi sur l’état de la France, société fracturée et hystérique si l’on écoute les media, société unifiée et pacifiée si l’on se met à marcher sur le chemin.
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11 septembre 2025Pourquoi l'intelligence ne protège pas de l'erreur
Samuel FITOUSSI, 28 ans, diplômé d'HEC, essayiste, entrepreneur, chroniqueur au Figaro. Auteur de Pourquoi les intellectuels se trompent (éditions de l’Observatoire)
Samuel Fitoussi a 28 ans et travaille dans un fonds d’investissement. Rien ne le prédestinait à s’intéresser à la formation des idées. Sauf qu’il est passionné par la psychologie des croyances et c’est sous cet angle qu’il faut apprécier sa réflexion, non comme un pamphlet contre les intellectuels de gauche. Ce qui lui importe, ce sont les bulles cognitives et l’influence qu’exercent ceux qui font métier de penser et disposent de relais très puissants pour les faire infuser dans les esprits. Sa thèse va à rebours de l'idée souvent énoncée selon laquelle le peuple se tromperait, serait perméable à la désinformation, se livrerait à l’intoxication des cerveaux. En fait, le peuple n’est pas assez instruit pour se tromper. Pour Samuel Fitoussi, l’intelligence ne protège pas de l’erreur quand le réel n’en sanctionne pas les postulats. De ce point de vue, les intellectuels traînent un passif très lourd quand leur aveuglement volontaire s'est fondé sur le principe que la fin justifie les moyens. Ainsi ont-ils rempli charniers et goulags. Le plus injuste, c’est que ces intellectuels ne subissent pas le coût social de leurs erreurs.
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10 septembre 2025Est-il moralement fondé de « tout bloquer » ?
Philippe CHALMIN, historien, économiste, professeur émérite à l’université Paris-Dauphine. Auteur de Journal de la dissolution - juin-septembre 2024 (Economica)
L’arrivée d’un nouveau Premier ministre ajoute une séquence à cette période d’instabilité chronique dans laquelle est plongée la vie politique française depuis la dissolution du 9 juin 2024. Le mouvement Bloquons tout exprime la colère des Français devant tant de gâchis, de temps, d’énergie, d’argent. La France, malgré le taux de prélèvements le plus élevé du monde, n’échappe pas au déclassement, lequel sera peut-être illustré par la note que l’agence de notation Fitch rendra vendredi. Philippe Chalmin, qui a écrit les carnets de la dissolution de juin à septembre 2024, constate qu’un an plus tard, l’exécutif n’est pas plus avancé. Néanmoins, il estime que la perspective d’une dissolution paraît peu probable, laissant une chance à Sébastien Lecornu. Dans ce contexte, est-il moralement fondé de « tout bloquer » ? Philippe Chalmin répond en faisant référence à saint Thomas d’Aquin : il faut que l’objet soit juste, l’intention droite et la réaction mesurée.
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9 septembre 2025Après la chute de François Bayrou, le compromis, c'est possible
Dominique POTIER, agriculteur, député PS de Meurthe-et-Moselle, président d’Esprit civique
Une page de la Ve République vient de se refermer, une autre va bientôt s’ouvrir - qui risque de lui ressembler : de la dissolution surprise en juin 2024 à la chute du gouvernement Bayrou sur un vote de confiance, la France a vécu, ces 14 derniers mois, une série de moments politiques inédits : une dissolution ratée, la première depuis 1997, la campagne électorale la plus courte (3 semaines), un nombre record de députés RN, le plus long interrègne (51 jours), le Premier ministre le plus âgé Michel Barnier (73 ans), le plus court passage à Matignon (3 mois à peine), quatre gouvernement en l'espace de 12 mois, le budget le plus tardivement adopté (en février dernier), pour finir par la première chute d’un Premier ministre sur un vote de confiance. La politique française est comme frappée par un dérèglement de ses mœurs, un emballement de ses usages et, au bout du compte, une forme d’impéritie. Dominique Potier, l’un des deux députés de gauche du grand quart nord-est de la France (avec François Ruffin), est persuadé qu’un compromis est possible, pour peu que trois chantiers soient mis en œuvre, ce dont il s’explique dans cet entretien.
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8 septembre 20258 mai-8 septembre 2025 : les quatre mois du pape Léon XIV
Christophe DICKÈS, historien, vaticaniste. Auteur de Pour l’Église - ce que le monde lui doit (Perrin)
C’était il y a quatre mois, le 8 mai : le prélat américain Robert Francis Prevost devenait le 267e pape de l’histoire, succédant ainsi au pape François. Le mot qui accompagna son apparition médiatique fut celui d’ « apaisement ». Dans « apaisement », il y a paix : paix à l’extérieur, la paix des armes à laquelle le pape ne cesse d’appeler. Encore récemment, le 31 août, il fustigeait la « pandémie des armes ». Paix à l’intérieur, dans l’Église, chahutée par le caractère autoritaire et solitaire du précédent pontificat. Des livres sont très vite sortis sur le nouveau pontife, sans dissiper un certain mystère qui continue d’entourer les orientations qui sont les siennes. À 69 ans, il a certes du temps devant lui, sauf que le temps médiatique est toujours enclin à en vouloir davantage. Ce pontificat est jugé « sobre » et « tout en retenue ». Au bout de quatre mois, dispose-t-on déjà d’éléments permettant d’esquisser les chemins ouverts par Léon XIV ? Le pape écrit tout ce qu’il dit, se tient à l’écart des mises en scène et de l’improvisation. Il apparaît comme un homme d’écoute et de dossiers capable de faire la synthèse et de concilier les oppositions.
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5 septembre 2025Comment Carlo Acutis est-il devenu saint ?
Antonia SALZANO ACUTIS, mère de Carlo Acutis. Auteur de Le secret de mon fils - comment il est devenu saint (Artège)
« Moins de moi pour laisser de la place à Dieu. » Cette phrase, que Carlo Acutis répétait volontiers, résume le secret d’un adolescent mort à 15 ans, béatifié en 2020, et aujourd’hui modèle de sainteté pour de nombreux jeunes. Dans Le secret de mon fils, sa mère, Antonia Salzano Acutis, livre un témoignage sur celui qu’elle décrit comme un « phare dans la nuit ». Sa parole cherche à comprendre et à partager le mystère de son fils : comment un garçon ordinaire, passionné d’informatique et de jeux vidéo, a pu marquer son entourage par une foi lumineuse et une charité sans faille ? « Carlo m’a catéchisée », reconnaît-elle, avouant que c’est son fils qui l’a ramenée sur le chemin d’une vie spirituelle profonde. Carlo a une prescience du destin : par exemple, il dit à sa mère qu’Antonio, son grand-père maternel mort quand il avait trois ans, est au purgatoire. Dès son enfance, le jeune homme manifeste une sensibilité religieuse inhabituelle. Attiré par l’Eucharistie, il assiste chaque jour à la messe et passe de longues heures en adoration. Sa foi n’est pas tournée vers lui-même mais vers les autres : les pauvres, les marginaux, les camarades isolés. Sa mère souligne ce charisme discret : un simple bonjour, dit-elle, « était comme une flèche d’or qui pénétrait le cœur des gens ». Antonia décrit aussi la maturité étonnante de son fils, sa capacité à unir modernité et spiritualité. Passionné de technologies, il met son talent au service de l’évangélisation, créant une exposition numérique sur les miracles eucharistiques qui a depuis fait le tour du monde. Dans son quotidien, pourtant, Carlo reste un adolescent simple, humble et joyeux, attentif aux autres. En retraçant ce parcours, la mère de Carlo insiste sur le cœur de son message : viser l’infini plutôt que le fini, mettre Jésus au centre. « L’éternité, pas l’instant », répétait son fils. Pour elle, ce témoignage est une manière de dévoiler les « trésors » de Carlo, et d’inviter chacun à vivre la sainteté dans la vie ordinaire et à être soi-même : « Tous naissent comme des originaux, mais beaucoup meurent comme des photocopies. » Par cette formule, Carlo dit que chacun reçoit de Dieu une identité unique et une mission singulière, mais que beaucoup, en se laissant happer par la banalité, la mode ou le conformisme, perdent leur singularité profonde.
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4 septembre 2025Pier Giorgio Frassati, l’edelweiss des taudis turinois
Bénédicte DELELIS, diplômée de l’École du Louvre, enseignante en théologie au collège des Bernardins, chroniqueur à Famille Chrétienne. Auteur de Pier Giorgio Frassati (éditions de l’Emmanuel)
Sans oublier ceux qui sont en bas, on peut monter très haut. Parcourir les taudis et gravir les sommets. En voilà un premier de cordée ! À force de monter, il finit par toucher le Ciel et à y demeurer, dès l’âge de 24 ans. Il y a du saint François d’Assise dans cette courte vie de Pier Giorgio Frassati, mort en 1925. Sa famille ne comprit point jusqu’où allait sa générosité. C’est à sa mort, due à une poliomyélite foudroyante, que les pauvres de Turin, affluant à ses funérailles, rendirent le premier hommage aux vertus de ce jeune italien, passionné d’alpinisme, béatifié par Jean-Paul II en 1990 et canonisé par le pape Léon XIV le 7 septembre 2025. Son père, fondateur du journal La Stampa, appartenait à la haute société piémontaise. Il sera aussi ambassadeur à Berlin. Il voulait que son fils lui succédât mais n’osa jamais le lui dire en face. Sa mère, moralement stricte, préférait qu’il fût mort plutôt que prêtre. Pier Giorgio Frassati était joyeux, parlait fort et chantait faux (on le surnommait « fracassati »). Sa tendresse et son espièglerie répondaient aux injonctions de son milieu. Il devait réussir, alors qu’il peinait dans ses études, et ne pourrait épouser celle que son statut social lui interdisait. Avec sa Compagnie des types louches, groupe d'amis chahuteurs qui partent souvent en montagne, il donna des jambes à son esprit de foi, lequel portait son engagement social et secret dans les quartiers défavorisés de Turin. Sa mort surprendra tout le monde. Le bon Dieu cueillit son « ange des pauvres » comme un edelweiss sur le fumier de la misère. Sa soeur Luciana, qui mourut à 105 ans en 2007, contribua beaucoup à sa mémoire.
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3 septembre 2025Quel rapport les Français entretiennent-ils avec leur logement ?
Jean-Louis ANDRÉ, normalien, journaliste, réalisateur de documentaire. Auteur de Notre chez-soi : la maison des français depuis les Trente Glorieuses (Odile Jacob)
Peut-être avez-vous déménagé en cette rentrée. C’est alors le moment d’occuper l’espace d’un nouvel intérieur. Y mettrez-vous un bouddha ou un crucifix ? Notre chez soi ne se résume pas à quatre murs surmontés d’un toit. Dans nos espaces intimes s’écrivent nos vies. Mais ceux-ci sont aussi des projections mentales, l’œuvre d’architectes et d’urbanistes qui ont les ont pensés. Comment ? Pourquoi ? L’architecture nous reflète, nous conditionne aussi. Depuis la Seconde Guerre mondiale, on est passés des papiers peints fleuris aux murs blancs, du Formica à Ikea, des grands ensembles aux pavillons. Normalien, journaliste, réalisateur de documentaire, Jean-Louis André refait cette histoire de la maison des Français depuis les Trente Glorieuses. C’est depuis l’appel de l’abbé Pierre en 1954 que l’État s’implique massivement dans une politique du logement qui, pendant vingt ans, va couvrir la France de grands ensembles. Valéry Giscard d’Estaing y met fin en 1974. Le consumérisme, allié au clocher de la France tranquille des années Mitterrand, inaugure une ère nouvelle, plus individualiste, celle des lotissements pavillonnaires, lesquels sont décriés aujourd’hui pour leur empreinte écologique. Le pavillon demeure toutefois le rêve des Français. Le chez soi est aussi une source de tensions, qu’il s’agisse des résidences secondaires ou des AirBnB.
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2 septembre 2025Avec l’IA, apprendre oui mais comment ? La question demeure
Philippe MEIRIEU, spécialiste des sciences de l’éducation, professeur émérite à l'université Lumière Lyon 2
À l’occasion de la rentrée scolaire et de l’arrivée d’un nouveau secrétaire général à la tête de l’Enseignement catholique, RCF-Radio Notre Dame et Famille Chrétienne publient un sondage exclusif sur l’image et les attentes des Français à l’égard de l’école catholique, réalisé avec l’IFOP. Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion de l’IFOP, en parlera à 8h10. Ce sondage explore trois grands axes : la liberté de choix entre école publique et privée catholique, la place des temps spirituels, et l’adaptation des cours d’éducation affective et sexuelle à la vision chrétienne de l’homme.
L’école continue de cristalliser les passions françaises, où les relents de guerre scolaire ne sont jamais loin. L’école continue aussi d’interroger : apprendre oui mais comment ? C’est la question que l’on se pose en cette semaine de rentrée scolaire. C’est aussi le nom d’un essai qu’avait publié la personnalité l’une des personnalités les plus influentes du système éducatif, Philippe Meirieu, inspirateur de nombreuses réformes, des IUFM aux TPE. Théoricien engagé à gauche, Philippe Meirieu a également été vice-président du conseil régional de la région Rhône-Alpes, qu’il a quitté il y a dix ans ans. Il est aujourd'hui président de l'association nationale des Ceméa (centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active). Décrié comme chef de file du pédagogisme, Philippe Meirieu dit n’avoir jamais voulu sacrifier les savoirs. Il s’est fait le promoteur d’une pédagogie différenciée fondée sur l’élève en tant que sujet, en faisant évoluer le rôle de l’enseignant vers celui d’accompagnant. Le courant auquel il se rattache est celui de l'éducation nouvelle qui postule la participation active des individus à leur propre formation. L'apprentissage, avant d'être une accumulation de connaissances, doit être un facteur de progrès global de la personne. Sur le papier, le discours séduit, la réalité est plus contrastée et l’insistance que l’on met aujourd’hui à parler des savoirs fondamentaux montre que l’école a du mal à transmettre ce qui permet d’être libre et autonome dans la vie.
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1 septembre 2025Plan budgétaire : et si François Bayrou s’inspirait de saint Thomas d’Aquin
Jean-Marc DANIEL, spécialiste de l’histoire de la pensée économique, professeur émérite à l’ESCP. Auteur de Nouvelles leçons d’histoire économique (Odile Jacob)
La confiance, voilà le mot de la rentrée. « Confiance » et « foi » ont la même racine, laquelle a aussi donné le mot de « crédit ». François Bayrou est-il crédible ? Avec le vote de confiance, préalable à toute discussion budgétaire, le Premier ministre n’organise-t-il pas son suicide politique ? En tout cas, il estime « qu'il n'y a aucune politique courageuse possible » sans « l'assentiment minimal des Français et de ceux qui les représentent ». Sans vote de confiance, juge le Premier ministre, sans « cette entente sur le diagnostic », alors la situation sera interprétée sur un mode conflictuel, « le pouvoir contre les Français, le haut contre le bas ». Comment faire en sorte que le chaos ne prévale point ? « Les bonnes idées existent », s’écrie l’économiste Jean-Marc Daniel, issu d’une famille protestante du pays foyen entre Libourne et Bergerac. La figure de saint Thomas d’Aquin lui est familière. Inspiré par Aristote et saint Paul, le Docteur angélique – dont la sépulture se trouve en l'église des Jacobins de Toulouse – est connu pour son concept de « juste prix » et sa distinction entre justice commutative et distributive. La justice commutative gouverne les relations de partie à partie ; elle a pour objet principal les transactions volontaires entre individus. Thomas d’Aquin se montre ainsi soucieux de fonder l’économie sur le marché et la liberté du contrat. Quant à la justice caritative, elle articule harmonieusement deux notions : la justice sans la charité risque de devenir dure, légaliste, froide et la charité sans la justice peut devenir arbitraire ou inefficace. Pour saint Thomas, la charité parfait la justice : celle-ci exige de payer son ouvrier le juste salaire et invite à l’aider encore s’il est dans le besoin, même si ce n’est pas « dû » selon le contrat. La justice caritative assure le juste salaire et considère la dignité de la personne.
Jean-Marc Daniel reprend ses Causeries au théâtre de poche samedi 13 septembre à 21h00 sur le thème : « économie, à quoi faut-il s’attendre ? »
Droits image: Jean-Marc Daniel © RCF-RND
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